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« Comment peut-on être Persan ? » Commentaire composé de Montesquieu

Publié le 12/11/2013

Extrait du document

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Texte
RICA AU MEME.
A Smyrne.
Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m'entourait. Si j'étais aux spectacles, je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. Chose admirable! Je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.
Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à la charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan, et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique; car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche; mais, si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: « Ah! ah! monsieur est Persan? C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan? «
A Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712
Commentaire composé
Introduction
Dans la lettre XXX, Montesquieu dévoile les pièges de l'apparence et démasque la curiosité des Parisiens en faisant se « masquer « Rica. Il montre, en effet, à travers une anecdote racontée par celui qui l'a vécue, à quel point le jugement peut être faussé par le jeu des apparences, qui évite ainsi de se poser les questions fondamentales. Vêtu à l'orientale, Rica se trouve immédiatement identifié à un Persan, sans que quiconque s'intéresse réellement à ce qui fait le caractère persan. Une fois « masqué « (c'est-à-dire réduit à l'apparence de ceux qui l'observent) il n'est plus reconnu pour ce qu'il est en réalité.
 
Cette subtile alternance entre la réalité et l'apparence, qui relève, de la part de Rica, d'une véritable expérimentation (le texte énonce en effet deux situations successives séparées par une phrase de transition explicitant les données de l'expérience) est doublement révélatrice. Sur un plan général, celui de la réflexion sociologique et philosophique, Montesquieu souligne la fragilité de ce sur quoi nous faisons reposer nos opinions et nos ...

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« jugements.

Sur le plan des Lettres persanes, on peut remarquer qu'avec un certain humour, Montesquieu attire l 'attention sur ce qui est la base même de sa démarche : faire éclater un système d'apparences au profi t d'une réalité peu satisfaisante qu'il faut revoir et corriger.

La question « Comment peut -on être Persan ? » conduit naturellement à poser d'autres questions du même type : Comment peut -on être ce que l'on est, comment le système dans lequel on vit peut -il être ce système ? ...

C'est la question préliminaire à toute remise en cause. On pourra montrer comment le récit anecdotique permet à Montesquieu, à travers un jeu de « masques », de critiquer les Parisiens et de mener une réflexion sociologique et phil osophique. I.

Le récit anecdotique La lettre est construite comme un récit illustrant l'affirmation de la première phrase relative à l'extra -ordinaire curiosité des Parisiens.

Il évolue en deux parties caractérisées par une différence de tonalité et par un e opposition de contenu.

Il présente une grande vivacité, qui lui donne la fantaisie d'une scène prise sur le vif. Les deux étapes du récit correspondent aux deux paragraphes et aux deux situations successives : un Persan selon les apparences, un vrai Pers an (sans les apparences). Première étape : récit constitué par une succession de petites scènes rapides marquées par la diversité des lieux (dans la rue, aux Tuileries, aux « spectacles »).

Cette diversité est soulignée par l'insistance sur les endroits où se trouvent les portraits (« partout », « toutes les boutiques », « toutes les cheminées »).

La vivacité tient à la diversité des scènes, aux énumérations ), au caractère visuel de ce qui est raconté (la multitude des gens, les couleurs), à la rapidité de succession des actions (« aussitôt », « d'abord »).

On peut aussi remarquer le pas -sage du récit au style direct donnant les réflexions « captées » au hasard (« Il faut avouer qu'il a l'air bien persan »).

Le récit est enfin agrémenté de fantaisie et d'hu mour : les images poétiques (« un arc -en -ciel ») ou insolites (« cent lorgnettes dressées contre ma figure ») soulignent une capacité d'observation précise et lucide chez le pseudo -narrateur qui, comme toujours, s'étonne de tout. Transition : ce bref passa ge entre les deux situations de Rica explicite la décision du changement de costume.

L'étonnement, né de la curiosité suscitée, le pousse à vérifier l'origine de cette curiosité.

Il s'agit donc d'une expérience dont les motivations et le contenu sont donné s de manière précise, lucide, raisonnée. Deuxième étape : comme dans la première partie de la lettre, le développement illustre l 'affirmation de la phrase d'ouverture (« Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement ».

La tonalité est nettement d ifférente.

Il s'agit toujours d'un récit, mais il est moins fantaisiste et moins vivant que le premier, plus orienté vers l'analyse.

Le contenu (découverte de l'indifférence) est traduit par une tonalité différente : la déception se révèle dans l'ironie d'un vocabulaire de l'affectivité douloureuse (« me plaindre », « un néant affreux »).

Plusieurs constats traduisent la perception amère de l'indifférence (l'absence de regards et de conversation, la disparition de toute forme de curiosité suscitée (« m'avai t fait perdre »). Avec la spontanéité qui caractérise la littérature épistolaire, Rica rapporte ici, en un récit organisé et lucide, une double expérience de « reconnaissance », et d'indifférence sociale essentiellement fondée sur l'apparence extérieure.

I l est intéressant d'analyser la manière dont se trouve exprimé, dans le texte, le jeu de l'apparence et de la réalité. II.

L'APPARENCE ET LA RÉALITÉ Le texte est dominé par le développement d'un très large champ lexical de la vue qui joue sur les notions d'apparence et de réalité.

L'opposition entre les deux correspond à la division en deux para -graphes et en deux situations successives.. »

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