Devoir de Philosophie

Comment Villemain a-t-il pu appeler les Lettres Persanes: le plus sérieux des livres frivoles

Publié le 10/02/2012

Extrait du document

La réponse à cette question est dans tous les manuels. La plupart abondent

dans le sens de Villemain et se rallient à cette antithèse qui nous rappelle les

« fausses fenêtres « de Pascal. En dépit de cette quasi-unanimité, nous nous

permettrons, après enquête personnelle et à la suite de critiques au moins

aussi avertis que l'éloquent Villemain, de soutenir, avec preuves à l'appui,

un avis diamétralement opposé. Nous savons à quoi nous nous exposons.

« retrancher.» En 1754- un an avant sa mort- l'édition définitive paraît.

Loin d'atténuer ce que certains 'tableauxf certaines aventures pouvaient avoir de fâcheusement immoral, l'auteur a augmenté le nombre des lettres ayant trait aux affaires du sérail.

Telle de ces lettres, écrite par un vieillard, éSt · aussi ridicule qu'odieuse, avec ses ·grâces maniérées, son air de corrup­ tion distinguée, ce « sourire oblique et pervers qui fait regretter le rire large et franc de Rabelais ».

Si le Roman - qui occupe une si large, une trop large :place dans ..les Lettres Persanes - ne peut être considéré comme la partie sérieuse de l'ouvrage, attribuerons-nous ce rôle aux « Caractères et Mœurs » observés par Montesquieu? Pas davantage.

Ce pamphlet où de pseudo-étrangers tour­ nent en ridicule notre pays ne mérite pas qu'on lui accolle l'épithète sérieux.

« Badinage irrespectueux » : c'est le seul nom t:{l:li lui convienne.

· · On a cependant fait grand cas de ces portraits, de ces petites scènes qui peignent les travers et les vices des Français de la Régence.

Très amusa'l.ts, en effet, ce « décisionnaire » que Sainte-Beuve estimait - à tort, selon nous __,_ supérieur à l' Arrias de La Bruyère, cet « homme à bonnes fortunes », ce médecin charlatanesque, ces « nouvellistes » habitués du café Procope, ce c vieux guerrier» tout plein de ses exploits; très piquantes, cette arrivée des Persans à Paris, cette promenade aux Tuileries, cette excursion en pro­ vince ou cette visite à la bibliothèque de l'abbaye de Saint~Vietor! ...

On pourrait allonger la liste, mais non point en déduire que Montesquieù fut un psY-chologue délié, un moraliste profond.

· • Emile Faguet a même soutenu le contraire.

Il a.

écrit, des Lettres Per­ sanes : « Elles sont d'une frivolité charmante.

En voulez-vous une preuve qui saute aux yeux? Elles font paraître La Bruyère profond.

Veut-on faire de La Bruyère un Pascal, on n'a qu'à commencer par les Lettres Persanes.

» Plus scrupuleux, dans ses analyses, ~ue Villemain enclin à voir les choses en gros et à porter des jugements d ensemble sans être descendu dans le détail, Faguet précise : « Ce sont là, dit-il, des observations de journali&te ...

Un geste caractéristique ne lui échappe·point; l'homme lui échappe ...

:Son peintre satirique, Montesquieu est un faible moraliste.

» En cela encore il est bien de son siècle.

Ajoutons que ces attitudes, ces manies, ces modes habilement.

croquées sont circonscrites non pas même à un siècle, mais à la période consécutive à la mort de Louis XIV.

Cette époque de la Régence ne saurait exprimer ni l'âme d'un pays et d'une race, ni, a fortiori, la civilisation occidenta:It,.

ou l'homme tout court.

Ce « directeur », en habits.

lugubres, mais à l'air gai et fleuri; ce «petit homme» qui a une manière hautaine de priser, un certain flegme dans la manière de cracher, qui caresse ses chiens d'une manière offensante eour les hommes; ce «corps de laquais», plus respectable en France qu'ailleurs, parce que « séminaire de grands seigneurs » ; ·cet abbé.

de Saint-Victor, entendant sonner l'heure du réfectoire et s'excusant•: «Ceux qui, comme moi, sont à la tête d'une communauté, doivent être le.s premiers à tous les exercices ...

» Que tout cela nous .Paraît loin de nous et archipassé! Images éphémères d'un monde à jamais disparu, sans écho dans nos âines; plaisanterie rebattue: y a-t-il de quoi se pâmer d'admiration? ...

Un ·FrartÇais sérieux, qui songe aux suites de ces badinages trop faciles, déplore plutôt la réputation surfaite de ce livre.

Les étrangers l'ont dévoré avec une joie malicieuse ou méchante, et il a largement contribué à répandre cette opi­ nion que dans le pays de Pascal, de Bossuet ...

et de Montesquieu tout n'est que frivolité, tout marche à rebours du sens commun.

Mais, dira•t-on, les Lettres Persanes renferment autre chose qu'un roman et un pamphlet; elles contiennent beaucoup d'idées et des idées sérieuses.

Le sont-elles tant .que cela? .

· On cite, d'ordinaire, les passages sur la tolérance, la justice éternelle, le suicide, la valeur des Lettres et de la civilisation, le droit public, le droit des gens.

la condition des femmes, la dépopulation, le m!,lriage, le divorcE', l'impôt, le despotisme; l'on vante la fameuse histoire des Troglodytes, et l'on conclut : ce livre, d'apparence frivole, est, à certains égards, un .

vrai traité de sociologie; il aborde hardiment les questions les plus scnbreuses, et par la manière originale et parfois profonde dont il les résout, il annonce l'auteur des Considérations et de l'Esprit des Lois.

.

La vérité est que s'il aborde beaucoup de questions il n'en traite aucune à fond, il ne fournit aucune solution sérieuse.

« De l'esprit sur les lois », dira M ...

du Deffand, parlant de l'œuvre maîtresse du Président, son ami.

De. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles