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Commentaire composé, Auguste de Villiers de L'Isle-Adam, L'Intersigne.

Publié le 30/07/2012

Extrait du document

auguste

Je m’attendais à dormir vite et profondément. J’avais fondé de grandes espérances sur une bonne nuit. Mais, au bout de dix minutes, je dus reconnaître que cette gêne nerveuse ne se décidait pas à s’engourdir. J’entendais des tics-tacs, des craquements brefs du bois et des murs. Sans doute des horloges-de-mort. Chacun des bruits imperceptibles de la nuit se répondait, en tout mon être, par un coup électrique.    Les branches noires se heurtaient dans le vent, au jardin. À chaque instant, des brins de lierre frappaient ma vitre. J’avais, surtout, le sens de l’ouïe d’une acuité pareille à celle des gens qui meurent de faim.    – J’ai pris deux tasses de café, pensai-je ; c’est cela !    Et, m’accoudant sur l’oreiller, je me mis à regarder, obstinément, la lumière de la bougie, sur la table, auprès de moi. Je la regardai avec fixité, entre les cils, avec cette attention intense que donne au regard l’absolue distraction de la pensée.    Un petit bénitier, en porcelaine coloriée, avec sa branche de buis, était suspendu auprès de mon chevet. Je mouillai, tout à coup, mes paupières avec de l’eau bénite, pour les rafraîchir, puis j’éteignis la bougie et je fermai les yeux. Le sommeil s’approchait : la fièvre s’apaisait.    J’allais m’endormir.    Trois petits coups secs, impératifs, furent frappés à ma porte.    – Hein ? me dis-je, en sursaut.    Alors je m’aperçus que mon premier somme avait déjà commencé. J’ignorais où j’étais. Je me croyais à Paris. Certains repos donnent ces sortes d’oublis risibles. Ayant même, presque aussitôt, perdu de vue la cause principale de mon réveil, je m’étirai voluptueusement, dans une complète inconscience de la situation.    – À propos, me dis-je tout à coup : mais on a frappé ? – Quelle visite peut bien ?...    À ce point de ma phrase, une notion confuse et obscure que je n’étais plus à Paris, mais dans un presbytère de Bretagne, chez l’abbé Maucombe, me vint à l’esprit.    En un clin d’oeil, je fus au milieu de la chambre.    Ma première impression, en même temps que celle du froid aux pieds, fut celle d’une vive lumière. La pleine lune brillait, en face de la fenêtre, au-dessus de l’église, et, à travers les rideaux blancs, découpait son angle de flamme déserte et pâle sur le parquet.    Il était bien minuit.    Mes idées étaient morbides. Qu’était-ce donc ? L’ombre était extraordinaire.    Comme je m’approchais de la porte, une tache de braise, partie du trou de la serrure, vint errer sur ma main et sur ma manche.    Il y avait quelqu’un derrière la porte : on avait réellement frappé.    Cependant, à deux pas du loquet, je m’arrêtai court.    Une chose me paraissait surprenante : la nature de la tache qui courait sur ma main. C’était une lueur glacée, sanglante, n’éclairant pas. – D’autre part, comment se faisait-il que je ne voyais aucune ligne de lumière sous la porte, dans le corridor ? – Mais, en vérité, ce qui sortait ainsi du trou de la serrure me causait l’impression du regard phosphorique d’un hibou !    En ce moment, l’heure sonna, dehors, à l’église, dans le vent nocturne.    – Qui est là ? demandai-je, à voix basse.    La lueur s’éteignit : – j’allais m’approcher...    Mais la porte s’ouvrit, largement, lentement, silencieusement.    En face de moi, dans le corridor, se tenait, debout, une forme haute et noire, – un prêtre, le tricorne sur la tête. La lune l’éclairait tout entier à l’exception de la figure : je ne voyais que le feu de ses deux prunelles qui me considéraient avec une solennelle fixité.    Le souffle de l’autre monde enveloppait ce visiteur, son attitude m’oppressait l’âme. Paralysé par une frayeur qui s’enfla instantanément jusqu’au paroxysme, je contemplai le désolant personnage, en silence.    Tout à coup, le prêtre éleva le bras, avec lenteur, vers moi. Il me présentait une chose lourde et vague. C’était un manteau. Un grand manteau noir, un manteau de voyage. Il me le tendait, comme pour me l’offrir !...    Je fermai les yeux, pour ne pas voir cela. Oh ! je ne voulais pas voir cela ! Mais un oiseau de nuit, avec un cri affreux, passa entre nous, et le vent de ses ailes, m’effleurant les paupières, me les fit rouvrir. Je sentis qu’il voletait par la chambre.    Alors, – et avec un râle d’angoisse, car les forces me trahissaient pour crier, – je repoussai la porte de mes deux mains crispées et étendues et je donnai un violent tour de clef, frénétique et les cheveux dressés !    Chose singulière, il me sembla que tout cela ne faisait aucun bruit.    C’était plus que l’organisme n’en pouvait supporter. Je m’éveillai. J’étais assis sur mon séant, dans mon lit, les bras tendus devant moi ; j’étais glacé ; le front trempé de sueur ; mon coeur frappait contre les parois de ma poitrine de gros coups sombres.    – Ah ! me dis-je, le songe horrible !

En effet, une rupture est marquée par les « Trois petits coups secs « L14, qui par son sens concret, prédispose à l'arrivé de quelque chose dans la chambre. Parallèlement, l'emploie d'un passif « furent frappés « implique une absence d'identification de la source du phénomène. Absence qui d'une par laisse libre cour à l'imagination de présager le pire, ainsi la mise en attente du lecteur est elle-même par contraste vecteur de crainte. Et de l'autre, il est presque considéré comme spontané par l'esprit brumeux du narrateur à ce moment de l'action. Progressivement, la réalité du phénomène vient s'imposer au baron, qui s'en interrogeant lui même L19 « mais on a frappé? « se prépare à l'accepter tout en posant implicitement la question de la nature du visiteur. Finalement, la certitude des coups sur la porte s'impose L29« on avait réellement frappé « et cette conception progressive est perverse. En effet, plus il prend conscience du caractère concret de l'évènement, plus celui-ci apparaît comme improbable et insidieusement annonce le pire, le plus inattendu.  Alors, quand le narrateur assiste à l'ouverture de la porte L37« la porte s'ouvrit « l'emploie du pronom réfléchit indique une action spontanée, comme si aucune force naturelle n'était à l'origine du mouvement, et les adverbes « largement, lentement, silencieusement « en renforcent le caractère étrange. Il est présenté comme tranquille, définitif, résolu : « solennelle «L39, pareil à l'attitude du prêtre. Le mouvement annonce en lui même la nature de qui peut en être la cause.

auguste

« Chose singulière, il me sembla que tout cela ne faisait aucun bruit. C'était plus que l'organisme n'en pouvait supporter.

Je m'éveillai.

J'étais assis sur mon séant, dans mon lit, les bras tendus devant moi ; j'étais glacé ; le front trempé desueur ; mon coeur frappait contre les parois de ma poitrine de gros coups sombres. – Ah ! me dis-je, le songe horrible ! commentaire : L'essence même du fantastique, est de provoquer, en lézardant le mur du réel, une faille d'où puisse surgir l'intolérable.

Il s'agit d'insinuer le doute dans l'esprit dulecteur.

Et par ce trouble, ce tremblement des certitudes, l'amener à mettre en question ce qu'il a de plus intimement acquis.Villiers narre, dans L'Intersigne, le 2e conte qu'il ait publié, l'histoire effarante d'un jeune aristocrate parisien, le baron Xavier, en proie à des trouble nerveux, suite àune séance de spiritisme.

Ce jeune homme, lors d'un voyage à valeur curative chez son ami l'abbé Maucombe, en Bretagne, subit le tourment de visions funestes, dontles images, comme il le découvre lors de son retour à Paris, annoncent la mort de l'abbé.

Le passage étudier ici est le rapport détaillé, que Xavier donne à ses amis, del'hallucination ou rêve porteur du message macabre.En réaction à une société qui à la fin du 19ème place toutes ses attentes dans la science, Villiers, aristocrate et catholique, démontre, au travers de ce témoignage(fictif), qu'il y a dans la vie de l'insaisissable, de l'occulte.

Il participe à cet axe du fantastique dont le rôle presque social est de réintroduire le mystère dans l'espritsurcharger de scientisme de ses contemporains.L'auteur établit, au travers d'un témoignage, une cartographie de signes inquiétant.

Et cette architecture d'augures, portée par des effets d'annonce et de ruptureentraine un crescendo dans le surnaturel où s'exprime une mise à mal du positivisme par l'occulte. Le récit fantastique visant le trouble du lecteur par une brutal émergence de l'irrationnel dans le réel, il y est nécessaire de faire croire à la vraisemblance des faiténoncés.

Aussi, Villiers choisit-il le témoignage comme vecteur de l'énonciation, à l'instar de Poe,.

En effet, est témoin celui qui peut énoncer la vérité parce qu'il avu, entendu et perçu.

C'est un acte persuasif en lui même, propre à susciter l'adhésion.Ainsi, en premier lieu, l'auteur choisit un cadre tout à fait réaliste où planter l'action, une chambre « dans un presbytère en Bretagne », participant à donner autémoignage un gage de crédibilité.

Nous nous situons dans le réel, le possible.De plus, il développe l'étrangeté par le prisme d'un locuteur à la fois personnage principal, comme en atteste le pronom personnel "je" omniprésents.

La significationdes événement prend donc forme à partir des sensations et impressions que le narrateur éprouve, comme le montre l'abondance des verbes de perception : L2« reconnaître », « j'entendais », L8 « regarder », L9 « regardais », L16 « je m'aperçus », L41 « je contemplais », L48 « me sembla » .

Ce regard de témoin porter surles chose entraine le lecteur par un phénomène d'identification à partager son ressenti, la terreur qui sera la sienne..

Aussi, le narrateur s'adresse une fois directement à son auditoire L16-17 « Certains repos donnent ces sortent d'oublis risibles ».

Le présent de vérité générale extraitce passage du temps du récit, pour le placer dans celui de la narration.

Il s'agit d' une explication positive du phénomène qui vient de se produire, à savoir la périodede latence entre le réveil et le moment où les repères spatio-temporels vont se réimposés à l'esprit, jugement que le narrateur n'a pu porter qu'a posteriori .

C'est doncun commentaire placé par Xavier dans le seul but de donner du réalisme à son discours.

Le destinataire ne peut qu'approuver la véracité d'un phénomène qu'ilreconnaît.Le narrateur se veut donc digne de crédit. Mais ce type de narration, voulant donner fois par la persuasion, implique par lui même une subjectivité.

Subjectivité dans le choix des éléments du décors surlesquels se portent la description.

subjectivité quand à leur perception même.En effet le narrateur sélectionne avec minutie tout ce qui dans son environnement va exciter son trouble.En premier, c'est l'atmosphère sonore qui résonne de signes inquiétant : en commençant par la chambre L2-3 « J'entendais des tics-tacs, des craquements brefs du boiset des murs ».

Les murs, éléments à proximité immédiate du narrateurs commencent à l'irriter, échauffer sa nervosité.

Puis de s'entendre au jardin L5 « les branchesnoires se heurtaient », « des brins de lierre frappaient » comme si par l'extension même du champs de la perception, le domaine tout entier de la cure se mettait àconspirer contre le Baron.

Et de se resserrer d'un coup sur un seul élément : la porte L14 « Trois petits coups sec (…) furent frappés » pour que l'attention du s'yconsacre exclusivement, chargeant l'objet de toutes les tensions sonores déployées jusque là.Ainsi, il y a un mouvement d'ensemble, d'ouverture puis de concentration, comme si l'environnement acoustique était chargé d'une volonté, investit d'une finalité :tendre toutes les craintes vers la porte de la chambre.A son tour, l'ambiance visuelle se teint de couleurs sinistres.

La rétine du personnage principal est d'abord frappé, lors de son premier réveil - que la fin nous révèletrompeur -, est frappée d'une « vive lumière » L23, l'adjectif, par le contexte, prend ici une valeur négative, il faut comprendre que cette lumière est presqueaveuglante, désagréable, phénomène d'autant plus troublant qu'il se passe de nuit.

L'attention du personnage, qui veut en connaître la source, est là encore portée versl'extérieur de la chambre.

Surgit alors le motif de « la pleine lune (…) au-dessus de l'église ».

Cette image investit l'extérieur d'une aura fantomatique, d'une ambiancefroide, blafarde et mystique.

Plus encore, cette lune brillant à la cime de l'église, trahit là aussi un complot de l'environnement contre le narrateur.

En effet, par saposition capitale, sa proximité et son rayonnement, la lune vient imprégner l'église de sa symbolique.

Laquelle nous est donnée L24-25 « flamme déserte et pâle sur leparquet ».

L'image de cette flamme déserte, c'est à dire abandonnée par la chaleur, où la notion même de feu est absente, et pâle, soit blafarde, lumière éclairantseulement en plaquant sa teinte morte, sans révéler les couleurs réels des objets qu'elle touche, rayonne des attributs de la mort.

Elle est semblable au cadavre : froid,vidé lui aussi de sa substance première : la vie; le corps mort dont le sang immobile a terni la rougeur.

La lune applique ainsi une touche morbide à l'église.

Et parextension, à l'abbé Maucombe.

De plus, le rayonnement funeste entraine un mouvement de retour vers la chambre : celui-ci découpant « son angle sur le parquet ».Et cette intrusion déverse toute l'étrangeté depuis extérieur vers l'intérieur de la chambre.En parallèle, cette lune attirant l'attention sur le bâtiment, désigne aussi l'heure au jeune homme : L26« Il était bien minuit », qui lestée de toutes les significationsprécédentes, devient à son tour un signe, une révélation de l'occulte.Ainsi les éléments du décors, par la nature de leur sélection entrainent des débordements sémantiques, s'empreignent les uns les autres, s'entrelacent et se confortentpour faire émerger l'impression d'une conspiration mystique. Cependant, la cabale qui se joue ici contre le Baron n'est-elle pas orchestrée par le dérèglement de sa perception?Effectivement, il se déclare lui-même atteint d'une « gêne nerveuse »L2.

Il a les nerfs à fleur de peau.

Et c'est pourquoi L2-3« Chacun des bruit imperceptibles (…) serépondait, en tout mon être, par un coup électrique ».

De même, nous informe-t-il de son « ouïe d'une acuité pareille à celle des gens qui meurent de faim » L6.

Toutles bruits déclenchent chez lui un stress, un contre coup nerveux qui vient inéluctablement en amplifier la réception.

Sa sensibilité auditive est décuplée : on passe del'« imperceptible » à la cacophonie insupportable.

Et par là, leur importance est surestimée.

C'est donc, avant tout, l'hypersensibilité du narrateur, son attentionsurexcitée qui révèle le potentiel anxiogène des éléments sur lesquels elle se fixe.

La signification qui s'en dégage peut être considérée comme pur fruit de la paranoïa.De fait, l'action conjuguée de tout ces phénomène investit son esprit, les graines jetées par tout les signe y germent en « idées » « morbides » L27.

On voit qu'untournant est ici opéré.

Toutes les balises de l'occulte qu'il perçoit dans le réels ont finit de corrompre l'analyse positive du narrateur.

Il est en quelque sorte mûr, prêt àaccepter l'intrusion, le déploiement de l'autre bord dans l'ordre du réel.

Ainsi l'ombre qu'il observe à la suite de ce constat sur la nature de ces idées est-elle ressentiecomme « extraordinaire »L27.

La particularité de cette phrase tient en ce que le narrateur n'explique pas en quoi s'exprime l'étrangeté si franchement éprouvée.

Sonesprit est simplement pénétré, persuadé.

Il est donc passé de l'autre côté, il a succombé à la peur.

Et tout ce qu'il voit ne peut plus que se charger de puissances. »

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