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COMMENTAIRE DU DÉBUT DU CHAPITRE 5 DE THÉRÈSE RAQUIN (1867) D'ÉMILE ZOLA : LA RENCONTRE ENTRE LAURENT ET THÉRÈSE

Publié le 19/07/2012

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Une vision érotisée de la passion – Zola ne donne pas ici une vision précieuse ou compassée de la passion amoureuse, mais au contraire la dépeint, de manière plus crue et réaliste, avec érotisme et sensualité. Il présente en effet une Thérèse qui effleure Laurent du regard : « On sentait sous ses vêtements des muscles ronds et développés, tout un corps d'une chair épaisse et ferme. « (l.47-49). Avec l'accumulation des adjectifs « ronds «, « développés «, « épaisse et ferme «, le romancier appuie sur les sensations visuelles et même tactiles et le regard de Thérèse apparaît ainsi comme caressant. De plus, cette description physique de Laurent n'est pas dénuée d'érotisme dans la mesure où Zola suggère avec les adjectifs « développés «, « épaisse « et « ferme «, la vigueur sexuelle de Laurent. L'auteur pousse plus loin l'audace quand il confère ensuite au regard de Laurent un caractère rigide et pénétrant : « Sous ce regard droit, qui semblait pénétrer en elle… « (l.61). Zola indique ici non seulement que Laurent déshabille Thérèse du regard, mais suggère même l'image de la pénétration sexuelle, le regard valant ici pour le phallus grâce à l'adjectif « droit « et au verbe « pénétrer «. Il s'agit bien ici d'érotisme, puisque Zola évoque l'acte sexuel sans jamais le décrire explicitement.

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« par l'effet de cadence majeure dans la première partie de cette phrase : « J'allais à l'école avec lui » (8 syllabes), « il venait me chercher le matin » (9), « en sortant dechez son oncle qui était notre voisin » (15) ; la fin de cette phrase, plus brève que le groupe précédent, s'apparente à une chute qui prête à sourire par l'extrêmebanalité du souvenir, laquelle jure avec le ton emphatique sur lequel elle est prononcée et avec l'effet de cadence majeure précédent.

o Zola attribue à Camille lamême excitation puérile quand il remémore les circonstances de ses retrouvailles avec Laurent : « Figurez-vous, dit Camille, que ce farceur-là est employé à la garedu chemin de fer d'Orléans depuis dixhuit mois, et que nous ne sommes rencontrés et reconnus que ce soir.

» (l.2224).

Le verbe initial, qu'on utilise traditionnellementpour introduire une anecdote extraordinaire, et l'emploi de l'expression familière « ce farceur-là » traduisent la jubilation excessive du personnage.

o Enfin Zola prêteà Camille une fierté elle aussi infantile avec l'exclamation « C'est si vaste, si important, cette administration ! » (l.25).

L'effet de cadence majeure de la phrase, samodalité exclamative et la répétition de l'intensif « si » mettent en relief l'orgueil naïf du personnage, qui vante ici l'entreprise dans laquelle il est employé.

Leromancier souligne le ridicule de cette attitude en évoquant l'expression ahurie du visage de Camille au moment où il prononce cette phrase (« en agrandissant lesyeux, en pinçant les lèvres » l.26-27) et en usant d'une antithèse ironique pour stigmatiser la vanité de Camille : « tout fier d'être l'humble rouage d'une grossemachine.

» (l.27-28).

L'auteur complète le portrait de Camille comme un enfant en lui faisant exhiber « ses volumes de Buffon et ses livraisons à dix centimes », àl'instar d'un petit garçon qui ferait étalage de ses jouets. cette présentation fait de Camille un enfant davantage qu'un homme et cette vision du personnage est d'autant plus évidente qu'elle contraste vivement avec celledonnée de Laurent. B.

Laurent le magnifique et Thérèse l'inassouvie – Si Zola a attribué à Camille un prénom ambigu, en revanche le prénom donné à Laurent a une connotationnettement méliorative : Laurent est, étymologiquement, celui qui est couronné de laurier pour son succès (et a le même étymon que « lauréat »).

Il sera en effet levainqueur du cœur de Thérèse.

Qui plus est, Zola fournit une présentation assez élogieuse du personnage de Laurent grâce à la focalisation externe, le discours deCamille et le regard de Thérèse : o à travers le discours flatteur de Camille – celui-ci évoque d'abord Laurent par l'expression méliorative « ce monsieur-là » (l.5), cequi indique d'emblée le respect voire l'admiration de Camille pour Laurent –, qui met en évidence tour à tour : le patrimoine familial de Laurent : « le fils du pèreLaurent qui a de si beaux champs de blé du côté de Jeufosse » (l10-11) ; valorisation avec l'adjectif positif « beau » et l'adverbe intensif « si ».

sa richessepersonnelle : « il gagne déjà quinze cents francs » (l.2930) ; l'adverbe « déjà » souligne la rapidité de l'enrichissement de Laurent ; contraste avec le salaire deCamille, dont on sait depuis le chapitre 3 qu'employé depuis trois ans (cf.

ch.3 l.160) dans la compagnie du chemin de fer d'Orléans, il ne gagne pour sa part que «cent francs par mois » (ch.3 l.113), soit mille deux cents francs par an, alors que Laurent n'est embauché que depuis « dix-huit mois » (l.23).

sa formation : « il aétudié » (l.29), « son père l'a mis au collège ; il a fait son droit et a appris la peinture » (l.30-31) : cette formation intellectuelle jure avec ce que Zola nous avait dit auchapitre 2 à propos du mari de Thérèse (« Camille resta ignorant et son ignorance mit comme une faiblesse de plus en lui », l.42-44) et avec les dérisoires « volumesde Buffon » et « livraisons à centimes » (l.52-53) que Camille exhibe ici pour faire bonne figure.

sa bonne santé : « mais lui, il se porte bien » (l.29) : Camilleoppose ainsi le bon état physique de Laurent à sa santé maladive (cf.

ch.1 p.19 l.132 : « enfant malade et gâté ; ch.2 p.21 l.30 : « malingre » ; p.21 l.33 : « pauvrepetite figure pâlie »).

à travers la description physique méliorative de Laurent que fait l'auteur en focalisation externe et qui insiste sur : la taille et la force deLaurent : « un grand gaillard » (l.2), « le grand gaillard » (l.6), expressions soulignées par l'allitération initiale en [g].

Au contraire, Zola a présenté Camille comme« petit » (ch.

2 p.21, l.30).

« carré des épaules » (l.2).

sa physionomie avenante et sereine : « il souriait paisiblement » (l.19).

son regard franc et assuré : « enregardant Thérèse en face » (l.59-60), « il promenait autour de lui des regards calmes et aisés (l.20-21) – avec, des l.19 à 21, une accumulation d'indépendantes quitraduit la confiance du personnage –, « ce regard droit, qui semblait pénétrer en elle » (l.61) ; accumulation d'adjectifs mélioratifs.

à travers le regard de Thérèse enfocalisation interne qui met en relief : sa taille : « grand » (l.37), « grosses mains » (l.43), « poing (…) énorme » (l.44), « des muscles (…) développés » (l.48).

laforce de Laurent : accumulation d'adjectifs valorisants : « grand, fort, le visage frais » (l.37-38) le cou de Laurent fait l'objet d'une description particulière :insistance sur cette partie de l'anatomie avec la répétition du mot de part et d'autre du point-virgule : « Elle arrêta un instant ses regards sur son cou ; ce cou était… »(l.41-42).

Le rythme binaire et le parallélisme de construction soulignent la vigueur de ce cou : « large et court, gras et puissant.

» pour parler des doigts deLaurent, Zola reprend l'adjectif « carré » déjà utilisé pour les épaules au début du texte (on trouve aussi l'adverbe « carrément » pour caractériser la réponse deLaurent à l'invitation qui lui est faite de rester manger chez les Raquin l.33).

« des muscles ronds et développés, tout un corps d'une chair épaisse et ferme » (l.48-49), avec la répétition du rythme binaire (« ronds et développés », « épaisse et ferme ») qui souligne la force de Laurent.

sa silhouette de travailleur de la terre : «Laurent était un vrai fils de paysan, d'allure un peu lourde, le dos bombé » (l.45-46), avec toujours un effet d'accumulation qui concourt à l'éloge.

sa vitalité :Thérèse est montrée comme sensible à différentes parties du corps de Laurent : « son front bas, planté d'une rude chevelure noire, ses joues pleines, ses lèvres rouges,sa face régulière, d'une beauté sanguine.

» (l.39-41), avec un effet de cadence majeure qui appuie l'éloge.

Zola laisse ainsi entendre que Thérèse est attentive à lavitalité et au tempérament sanguin de Laurent, elle qui a été présentée comme d'un tempérament nerveux et avec « toute une passion qui dormaient dans sa chairassoupie » (ch.2 l.95-96).

Elle trouve aussi dans Laurent l'opposé de Camille, dont les cheveux ont au contraire été décrits comme « d'un blond fade » (ch.1, p.19,l.130-131).

la sérénité qui se dégage de sa physionomie : « les mouvements lents et précis, l'air tranquille et entêté » (l.46-47), avec à nouveau un effet de rythmebinaire et un parallélisme de construction, à l'appui de l'éloge.

le regard porté par Thérèse sur Laurent nous en apprend autant sur Laurent que sur le personnageéponyme du roman : c'est d'une Thérèse inassouvie et avant tout sensible au physique, à la puissance et à la vigueur du nouveau venu, qualités absentes chez sonpropre mari, que Zola brosse ici le portrait.

Conclusion-transition : ce portrait contrasté des personnages est caractéristique du mouvement naturaliste en gestation àl'époque, dans la mesure où Zola peint ici « des tempéraments et non des caractères », comme il le revendique dans la préface de la deuxième édition (1868), ets'intéresse à « l'étude du tempérament et des modifications profondes de l'organisme sous la pression des milieux et des circonstances.

» Dans ce passage, Zolaconfronte en effet des natures physiques et des sensibilités différentes – Laurent incarne la force physique et la fécondité, tandis que Camille est le paradigme de ladégénérescence – et suggère les conséquences tragiques qui résultent de leur interaction.

III.

UNE SCÈNE DE RENCONTRE TRAGIQUE : SON IMPORTANCEPOUR LA SUITE DU ROMAN A.

La dimension tragique de la scène – Ce passage s'apparente de prime abord à une véritable « scène » de théâtre : o les dialoguesau style direct y sont nombreux o un nouveau personnage entre en scène cette arrivée produit un changement brutal dans le quotidien et les habitudes des Raquin, comme l'indique l'expression initiale « Un jeudi », qui singularise etdramatise l'épisode, par contraste avec l'évocation générale des soirées du jeudi dans le chapitre précédent.

enfin Zola emploie le vocabulaire du théâtre pour parlerde cet épisode : « Thérèse suivait cette scène d'un air placide.

» (l.7-8), ce qui dramatise ce passage. – Cette scène a en outre une dimension tragique assez marquée, dans la mesure où : o il s'agit pour Thérèse de la découverte du futur amant et de la naissance de sapassion pour Laurent : « Elle souffrait.

» (l.64), phrase lapidaire qui tombe comme un couperet tragique à la fin de ce passage.

Or cette passion pour Laurent aurapour conséquences inéluctables la détestation croissante pour son mari, la relation adultère avec Laurent, puis la mise en place du plan des deux amants pour éliminerCamille.

o Zola dissémine en outre dans ce texte quelques signes annonciateurs de la suite de l'histoire : d'abord, Zola donne ici l'image d'un Laurent qui fait preuved'une assurance sans pareille (« Laurent s'était assis, il souriait paisiblement, il répondait d'une voix claire, il promenait autour de lui des regards calmes et aisés.

»l.19-21) et se sent rapidement chez lui, comme la position assise le suggère nettement, ce que la suite du roman confirmera.

de plus, le cou de Laurent, qui aura unrôle si important par la suite (au chapitre 11, Camille réussit à mordre le cou de son assassin avant d'être jeté à l'eau et cette morsure restera comme une traceindélébile), est ici nommé à trois reprises et Zola fait fixer sur lui les yeux de Thérèse de manière significative : « Elle arrêta un instant ses regards sur son cou ; cecou était large et court… » (l.41-42).

Zola parsème son texte d'indices annonçant la suite du récit comme inévitable, mais c'est en réalité tout le portrait de Laurentqui sert de prolepse tragique.

B.

La dimension tragique du portrait du nouveau venu : Laurent comme futur tueur – Le portrait de Laurent n'est pas sans ambiguïté :s'il comporte des aspects positifs, c'est surtout aux yeux de Thérèse, mais l'auteur prend soin d'aborder des points plus négatifs : o le « front bas » (l.39) et « l'allure unpeu lourde » (l.46) de Laurent peuvent être compris comme les signes physiques d'une lourdeur intellectuelle.

L'adjectif « rude » qui sert d'épithète au nom «chevelure » (l.39) peut également être lu de manière négative.

o l'expression de « beauté sanguine » (l.41), qui renvoie au tempérament de Laurent, n'est pas non plusdénuée d'équivoque : un tempérament sanguin implique aussi la capacité à s'enflammer brutalement.

L'adjectif « sanguin » introduit en outre l'idée du sang, quesuggère aussi l'adjectif « rouge » : « ses lèvres rouges » (l.40).

On note d'ailleurs que Zola mêle dans cette même phrase la couleur rouge et la couleur noire (« unerude chevelure noire » l.39), couleurs qui peuvent connoter la passion et la mort, en effet intimement mêlées dans ce roman.

o de plus, avec sa prédilection pour desnoms significatifs, Zola a-t-il choisi la commune d'origine de Laurent (« Jeufosse ») pour l'allusion au « jeu », c'est-àdire à la duplicité future du personnage, et à la «fosse », à savoir au caveau, à la mort ? o l'évocation du « poing fermé » de Laurent qui « aurait pu assommer un bœuf » (l.44-45) fait en outre figure de prolepse. »

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