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Commentaire du texte de Chateaubriand, Mémoires d'outre tombe.

Publié le 12/02/2011

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chateaubriand

Tout d'abord, le texte débute par la narration d'un jeu qui semble anodin. D'une part, ce jeu est habituel, comme le montre l'adverbe «ordinairement «, ou encore le commentaire du narrateur lui-même, fait au moment de l'énonciation: « comme de coutume« ; d'autre part, le jeu sur les temps du passé - passé simple à valeur ponctuelle et imparfait duratif – ne marque en rien qu'il s'agisse là de quelque chose d'exceptionnel. Les enfants semblent coutumiers d'un tel jeu, lui-même fortement ancré dans la Bretagne natale. Le narrateur insiste en effet sur les lieux: « la porte Saint-Thomas «, « le Sillon«, et décrit une réalité encore existante, comme le souligne le présent de vérité générale initial. Cependant, si le jeu semble anodin, il n'en provoque pas moins la peur et les larmes de la petite fille, ainsi que l'inquiétude des domestiques.

Nous étions un dimanche sur la grève, à l´ éventail de la porte Saint-Thomas à l´heure de la marée. Au pied du château et le long du Sillon, de gros pieux enfoncés dans le sable protègent les murs contre la houle. Nous grimpions ordinairement au haut de ces pieux pour voir passer au-dessous de nous les premières ondulations du flux. Les places étaient prises comme de coutume ;   plusieurs petites filles se mêlaient aux petits garçons. J´étais le plus en pointe vers la mer, n´ayant devant moi qu´une jolie mignonne, Hervine Magon qui riait de plaisir et pleurait de peur. Gesril se trouvait à l´autre bout du côté de la terre. Le flot arrivait, il faisait du vent ;   déjà les bonnes et les domestiques criaient : "   Descendez, Mademoiselle !   descendez, Monsieur !   "   Gesril attend une grosse lame : lorsqu´elle s´engouffre entre les pilotis, il pousse l´enfant assis auprès de lui ;   celui-là se renverse sur un autre ;   celui-ci sur un autre : toute la file s´abat comme des moines de cartes, mais chacun est retenu par son voisin ;   il n´y eut que la petite fille de l´extrémité de la ligne sur laquelle je chavirai qui, n´étant appuyée par personne, tomba. Le jusant l´entraîne ;   aussitôt mille cris, toutes les bonnes retroussant leurs robes et tripotant dans la mer, chacune saisissant son magot et lui donnant une tape. Hervine fut repêchée ;   mais elle déclara que François l´avait jetée bas. Les bonnes fondent sur moi ;   je leur échappe ;   je cours me barricader dans la cave de la maison : l´armée femelle me pourchasse. Ma mère et mon père étaient heureusement sortis. La Villeneuve défend vaillamment la porte et soufflette l´avant-garde ennemie. Le véritable auteur du mal, Gesril, me prête secours : il monte chez lui, et avec ses deux soeurs jette par les fenêtres des potées d´eau et des pommes cuites aux assaillantes. Elles levèrent le siège à l´entrée de la nuit ;   mais cette nouvelle se répandit dans la ville, et le chevalier de Chateaubriand, âgé de neuf ans, passa pour un homme atroce, un reste de ces pirates dont saint Aaron avait purgé son rocher.

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« l'écho.

Le narrateur cherchera donc naturellement non seulement à authentifier le récit mais aussi à trouver desstratégies narratives qui empêcheront le lecteur de se poser la question de la constante réalité de ce qui lui est dit:« Faire vrai, c'est donner l'illusion du vrai.

» écrira Guy de Maupassant dans la « Préface» de Pierre et Jean au sujetdu roman réaliste; cette citation peut aussi s'appliquer à l'écriture du biographique.Tout d'abord, afin d'authentifier son récit, et de lever les doutes que nous venons d'émettre, le narrateur de cetextrait desMémoires d'outre-tombe ancre fortement le récit, ainsi que nous l'avons antérieurement noté, dans une couleurlocale bretonne puisque les noms de lieux - évidemment réels - ne peuvent porter à interrogation.

De même, ladescription de la plage et le jeu inventé par les enfants sont parfaitement vraisemblables.

Même le personnage deGesril, et le nouveau jeu qu'il invente brusquement: faire tomber Hervine Magon, sonnent vrais.

Quel enfant, eneffet, ne s'est jamais amusé à en faire tomber d'autres? Tous ces éléments participent donc d'une entreprised'authentification du récit.

Et si quelques éléments sont vrais, pourquoi ne le seraient-ils pas tous? Tel est donc lepremier dispositif mis en place pour faire croire à la vérité du récit.Le second dispositif est ensuite d'ordre narratif: en rendant son récit haletant, vivant, le narrateur empêche lelecteur de se poser la question de la vérité.

Or plusieurs procédés concourent à cet effet.

D'une part, les trois jeux:le jeu anodin, le jeu de cartes, et le jeu de guerre, sont soigneusement enchaînés.

Le passage du premier au secondse fait autour du personnage deGesril, qui clôt le premier jeu, et devient, bien sûr, l'acteur déterminant du second.

Le passage du second au dernierse fait sur la déclaration d'Hervine, désignant François comme coupable.

Le lecteur passe ainsi d'une aventure àl'autre, immédiatement, sans avoir le temps de s'interroger.

D'autre part, les deux derniers récits sontessentiellement ponctués par des points-virgules, dans un usage consécutif: chaque action semble en entraînernécessairement une autre selon la métaphore fournie par le texte des « moines de cartes ».

Enfin, l'emploi duprésent de narration qui actualise le récit donne aussi l'illusion de voir la scène se dérouler: comment pourrait-onalors concevoir qu'elle puisse être fictive? Cet ensemble de procédés a donc pour but d'authentifier le récit.

Certes,il existe une distance autobiographique, visible par exemple dans l'humour, mais la vitesse du récit et sonactualisation suspendent, ou du moins réduisent, cette distance.

L'humour lui-même participe de cette entreprise:s'il peut mener à mettre en doute la véracité du récit, du fait de la distance entre l'adulte et l'enfant, il fait aussisourire le lecteur, lui donne du plaisir à lire le récit, et de la sorte l'écarte de la question de la vérité.Mais à quoi sert finalement un tel acharnement à authentifier la narration? D'une part, bien sûr, au respect ducontrat autobiographique, qui veut que tout ce qui est raconté soit exact, se soit réellement passé, mais d'autrepart et surtout à masquer le véritable enjeu du texte, qui est de faire, avant l'heure, de l'enfant, personnageprincipal du texte, un héros.

De la sorte, c'est sur l'adulte, c'est-à-dire le narrateur lui-même, que rejaillira leprestige.

Or qu'est cet enfant? D'une part, il est innocent, puisque le vrai coupable est Gesril : c'est dire que lesfautes qu'on lui impute - à lui ou à l'adulte? - ne sont pas fondées.

D'autre part, puisqu'il est le centre d'une guerre,c'est déjà un héros militaire: il préfigure ainsi le courage supposé - ou à supposer - de l'adulte.

Telle est bien lafonction réelle du récit: derrière la pseudo-vérité de l'enfance, le lecteur est invité à lire une vérité cachée, ineffableou inavouable de l'adulte. Le texte pose donc de façon humoristique et vivante le problème même de l'autobiographie: le récit est-ilauthentique, ou plutôt comment faut-il envisager la nécessaire distance du narrateur à ce qu'il fut autrefois? Etquelle est, au-delà de la simple anecdote d'un moment de l'enfance, fût-il ludique ou plus tragique, la véritablefonction du récit autobiographique? Si le narrateur, comme ce ne peut être que le cas, modifie le récit de sonenfance, c'est assurément moins dans un but purement littéraire: - rendre le récit plus vivant, plus captivant -, quedans un but à usage interne et peut-être moins avouable: donner d'un soi présent et contemporain du moment del'écriture une image valorisante.

Car écrire sa propre vie sans autre but que celui-là n'offre a priori guère d'intérêtmême lorsque l'on se nomme Chateaubriand.

En revanche, cet acte littéraire se charge d'une autre valeur sil'écriture se fait non pour l'unique auto-valorisation de soi mais pour la communion avec les autres, qu'ils soientcontemporains du moment de l'écriture ou pas.

Ainsi l'autobiographie est-elle non seulement le moyen pour un autobiographe comme Chateaubriand de se donner une posture fondée sur un passé glorieux et mythique mais aussi etsurtout pour tout autobiographe le moyen d'être pour le lecteur un miroir plus ou moins déformé et déformant de sapropre individualité. Sujet désiré en échange :« Une partie de campagne » de Maupassant (synthèse littéraire). »

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