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Crise sociétale et fluctuation lexicale à l’exemple du XVIe siècle

Publié le 29/06/2012

Extrait du document

« Nos Esglises ne furent pas moins ruinées, les saincts lieux profanés et saccagés[22], les vierges sacrées pollues[23] et souillées dans leurs cloistres et l’honneur du grand DIEU meis en proye à leur infidelité. L’on veid ces nouveaux relligieux teincts et couverts du sang de nos prebstres, leur conscience machurée de mille sacrilèges et cautérisées d’autant d’incestes. Non obstant tous ces désordres[24], après tant de ruines et d’excès, ilz furent advouez pour ce coup. Car la Roine mère[25], qui ne scavoyt pas bien encor démesler semblables fusées[26], pour reprendre haleine[27] au milieu des flots de ce trouble[28], publia cet Edict duquel j’ay parlé – Edict de l’obly sur toutes les cruautés passées - qu’on nomma l’Edict de Janvier tant mémorable. La descente des Reistres[29] en diverses saisons, les batailles données contre le service de nos Roys, les conspirations contre leur personne, furent approuvées pour services bien signallés[30] faicts en faveur de leur jeunesse et de la coronne[31]. Durant ce mauvais mesnage[32], les princes qui aspiroyent au gouvernement des affayres commencèrent à s’esmanciper et à suivre soubs la faveur de cette novelle secte[33] plus chaudement la régeance de l’Estat[34]. La Royne, comme j’ay dict, qui n’estoyt pas guyères bien duitte pour se mettre à couvert de semblables remuements[35],

« de quatre siècles est partiellement incompréhensible sans le recours à la lexicographie historique.

L'on notera d'abord la présence de nombreuxemprunts tels que saccager, signalé, reistre, huguenot, fraîchement arrivés en français préclassique[50].

Dans notre corpus, les italianismes l'emportentde loin sur les autres emprunts, cette proportion pouvant être considérée comme normale au XVIe siècle : 118 mots d'origine italienne (88,72%), 9d'origine allemande (6,76%), 6 d'origine espagnole (4,51%)[51]. Des néologismes sémantiques, largement majoritaires, témoignent de la volonté du locuteur/narrateur de forger un vocabulaire plus adapté :remuement, s'ébranler, semence, germe, allumette, pomme de discorde.

Quant à remuement, désordre et trouble(s), ils concurrencent une kyrielled'environ trente ( !) synonymes dont bon nombre sont sortis de l'usage aujourd'hui.

En voici quelques exemples : [113] FEW 3, 300b (EXMOVERE): frm.

émotion f.

‘mouvement populaire' (17e–18e s.; ‘vieilli' au 19e s.). [71] FEW 7, 203b (NOVELLUS): fr.

nouvelleté f.

‘soulèvement, trouble, querelle' (1289–1628). [140] FEW 5, 275b (LEVARE): mfr.

sollevation f.

‘émeute' (1565, BarbierProc 3, 253), frm.

souslevation (1635, Richl). La néologie lexicale proprement dite, c'est-à-dire la production d'unités lexicales nouvelles sur la base de la dérivation, de la composition ou, plusrarement, par l'emprunt aux autres langues ou aux parlers, à première vue très discrète dans notre corpus, est également digne d'être signalée, et envoici quelques exemples[54]. VERBE TRANSITIF + SUBSTANTIF [156] Obervation : au sens de « régicide », ce substantif est un néologisme lexical absent de FEW 13/2, 448b (TUTARI) et de FEW 10, 366b-367b(REX)[55], dont les composantes sont mfr.

frm.

tuer verbe trans.

« ôter (à qn) la vie d'une manière violente » (depuis Garbin 1487), et fr.

roi subst.masc.

« monarque, prince souverain d'un Etat ayant le titre de royaume » (depuis Chrestien).

Il s'agit d'une attestation unique dans FRANTEXT[56]. [53] Observation : FEW 9, 214a (PORTARE): frm.

porte-paquet subst.

masc.

« messager, portefaix » (Monet 1636–Widerhold 1675).

Premièreattestation selon FEW et attestation unique dans FRANTEXT. ADVERBE + SUBSTANTIF [185] Observation : au sens de « inobservation », ce néologisme lexical est absent de FEW 7, 284b (OBSERVARE) et constitue l'attestation unique dansFRANTEXT ; cf.

encore le synonyme mfr.

frm.

inobservation subst.

fém.

« fait de ne pas observer les lois, les promesses faites, etc.

» (dp.

1550), FEW7, 284b [57]. ADVERBE + ADJECTIF PARTICIPE-PASSÉ [152] Observation : au sens de « qui n'est pas en sûreté (d'une personne) », ce néologisme lexical est absent de FEW 25, 512a (*ASSECURARE) ; cf.encore fr.

ass(e)uré adj.

« en sûreté (d'une personne) » (13e s.–1560, Gdf; 1560, BibleRebul Jug.

8, c, 11; Malherbe; 1760, Bible Jug.

8, 11)[58]. VERBE + -MENT [99] Observation : FEW 17, 203a (*STAKKA): mfr.

attaquement subst.

masc.

« attaque (t.

de guerre) » (ca.

1590 [= Gaspard de Tavannes, ds.

Hu 1,376a]).

Attestation unique dans FRANTEXT, il s'agit d'un néologisme lexical issu de mfr.

frm.

attaquer verbe trans.

« assaillir par agression (l'ennemi,etc.) » (depuis Est 1578, EstDial), d'origine italienne (attacare).

Le terme actuellement en usage, frm.

attaque subst.

fém.

« action d'attaquer l'ennemi »(depuis Cotgrave 1611), s'étant imposé de bonne heure (v.

FEW 17, 202b), les dérivés mfr.

attaquement et mfr.

attaquade « attaque (t.

de guerre) »,attestés chez D'Aubigné, ne seront pas lexicalisés durablement. [148] Etymologie : au sens de « règlement durable et avantageux (d'une affaire, d'un différend) », ce néologisme lexical est absent de FEW 6/1, 675b(MELIOR) et constitue l'attestation unique dans FRANTEXT.

Il s'agit d'un substantif déverbal provenant de mfr.

frm.

méliorer verbe trans.

« modifier (lebien, la possession, la propriété, etc.) d'une façon durable et avantageusement » (1500–Furetière 1701; ‘plutôt améliorer' Trévoux 1704–1752). ADJECTIF + MENT [127] Observation : toutes acceptions confondues, cet adjectif composé couvre, selon le FEW, une aire allant des parlers du Grand Ouest par le Centreet la Bourgogne jusque dans le domaine franco-provençal (Ain, Neuchâtel).

L'adverbe dans Le Dialogue […] est utilisé au sens de « (être logé)incommodément, inconfortablement » et n'est pas répertorié par la lexicographie et constitue l'unique attestation dans FRANTEXT.

Il s'agit en touteévidence d'un néologisme lexical d'origine régionale. ADJECTIF NUMERAL + ERIE [229]; [229]; [238] Observation : au sens de « faction des seize au temps de la Ligue », ce néologisme lexical à connotation péjorative est absent deFEW 11, 392a (SEDECIM) ; attestation unique dans FRANTEXT.

Hu 6, 747a répertorie une attestation chez La Taille (hap.

leg.); cf.

encore mfr.

seizièresubst.

fém.

« id.

» SatMén (1593), v.

FEW 11, 392a. PREFIXATION (dé(s) + verbe) [24] Observation : FEW 14, 23a (UMBRA) : mfr.

desombrager v.

a.

„priver d'ombrage“ VauqFresn [= Jean Vauquelin de La Fresnaye (1535/6–1607),Art poétique (publié 1605), ds.

Hu 3, 95b], „faire sortir de l'obscurité“ (env.

1600 [= VauqFresn, ds.

Hu 3, 95b]).

Le sens de „calmer, rassurer,tranquilliser (qn)“ est absent de FEW 14, 23a ; néologisme lexical. [183] Observation : mfr.

desembrouiller „débrouiller“ (1554 [= Hu 3, 64a, Loys Le Caron (1534–1613), hap.

leg.

: Desembrouiller les divines Idées.]).Le sens de ‘tirer (qch) d'une situation difficile' est absent de FEW 15/1, 297b sous *BROD. [133] Observation : FEW 17, 379a (TRUMBA): frm.

détromper verbe trans.

« tirer (qn) d'erreur » (depuis Cotgrave 1611 [= TLF = FRANTEXT])[61]. Dérivation impropre[62] [99] Observation : au sens de « relatif au lansquenet », cet adjectif issu de mfr.

frm.

lansquenet subst.

masc.

« fantassin allemand employé commemercenaire » (depuis env.1480) est un néologisme absent de FEW 16, 444b (LANDSKNECHT) ; cf.

encore mfr.

espée lansquenette « épée delansquenet » Rab 1534, ds.

Hu 4, 766b ; 1542 Rabelais, id., FRANTEXT. [88] Observation : FEW 6/2, 148a (MIRACULUM): frm.

miraculeux m.

„ce qui a le caractère du miracle“ (1681, Bossuet; depuis Besch 1845)[64]. [75] Observation : FEW 12, 470b (SUSPECTUS): frm.

suspect m.

„homme qu'on suspecte“ (depuis 1793)[65]. Emprunts au latin [28]; [128] Observation : FEW 5, 481a (LUXUS): frm.

luxe subst.

masc.

« richesse, éclat que l'on déploie dans les choses de la vie » (depuis Crespin1606 [= TLFi]).

Il s'agit d'une première attestation lexicale selon le FEW.

FRANTEXT : Pierre de l'Estoile 1571, 1576, 1587 ; 1589, Pierre Matthieu ;1593, Lucinge ; 1601, Pierre Charron ; 1609, Mathurin Régnier. [157] Observation : employé ici au sens plus vaste de « bienfaiteur, protecteur (de qn) », il s'agit de la première attestation de la forme francisée frm.mécène « personnage riche, puissant, qui encourage les gens de lettres, les artistes » (depuis Richelet 1680), remplaçant à son tour à mfr.

frm.mécénas (1526–Trévoux 1771), tiré de MECENAS, nom du célèbre ministre d'Auguste, protecteur des lettres et des arts (BlochW), FEW 6/2, 19a. »

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