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CRITIQUE DU PERSONNAGE

Publié le 28/03/2015

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Flaubert, Proust, Joyce, Kafka, Faulkner : le nouveau roman, très clairement, s'inscrit au terme de cette lignée lit­téraire, usant des mêmes procédés pour détrôner le person­nage romanesque et inventer une nouvelle manière d'écrire. Alain Robbe-Grillet, qui pourtant a souvent marqué son désaccord avec Nathalie Sarraute, rejoint celle-ci sur la question du devenir du personnage. Il écrit dans Pour un nouveau roman (Minuit, 1963) :

«Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apo­gée de l'individu.

Peut-être n'est-ce pas un progrès, mais il est certain que l'époque actuelle est plutôt celle du numéro matricule. Le destin du monde a cessé, pour nous, de s'identifier à l'ascension ou à la chute de quelques hommes, de quelques familles. Le monde lui-même n'est plus cette propriété privée, héréditaire et monnayable, cette sorte de proie, qu'il s'agissait moins de connaître que de conquérir. Avoir un nom, c'était très important sans doute au temps de la bourgeoisie balzacienne. C'était important, un caractère, d'autant plus important qu'il était davantage l'arme d'un corps-à-corps, l'espoir d'une réussite, l'exercice d'une domination. C'était quelque chose d'avoir un visage dans un univers où la personnalité représentait à la fois le moyen et la fin de toute recherche [...].

Le roman paraît chanceler, ayant perdu son meilleur soutien d'autrefois, le héros. S'il ne parvient pas à s'en remettre, c'est que sa vie était liée à celle d'une société maintenant révolue. S'il y parvient, au contraire, une

« 158 / Le travail du romancier .

lE que quelque chose de décisif avait basculé dans le roman contemporain dont les effets restaient à explorer, à analyser, à prolonger.

Repris en 1956 dans un volume auquel il donnera son titre, l'essai de Nathalie Sarraute s'attache à saisir ce bascule­ ment.

Plus de dix ans avant la publication du Pour un nou­ veau roman d'Alain Robbe-Grillet, Sarraute formule quelques-uns des principes d'une nouvelle esthétique roma­ nesque qui changera de manière décisive le regard que nous portons sur la littérature.

.....

Quelle est la démonstration que Sarraute nous propose dans ce texte ? L'auteur de Tropismes commence par constater que, quels que soient les jugements des critiques et l'opinion du public en cette matière, le personnage romanesque aujourd'hui est largement en train de disparaître.

Le temps est loin désormais de Balzac et de son Eugénie Grandet où un romancier s'attachait à ne rien nous laisser ignorer du physique de ses héros, du caractère de leurs vête­ ments, des moindres recoins de leur demeure, du détail de leur état civil et de leur patrimoine.

Appliquée au siècle der­ nier, cette manière de camper un héros, certes, était justi­ fiée: «Quelque chose d'insolite, de violent, se cachait sous ces apparences familières.

Tous les gestes du personnage en retraçaient quelque aspect; le plus insignifiant bibelot en faisait miroiter une facette.

C'était cela qu'il s'agis­ sait de mettre au jour, d'explorer jusqu'à ses extrêmes limites, de fouiller dans tous ses replis : une matière dense, toute neuve, qui résistait à l'effort et attisait la passion de la recherche.

La conscience de cet effort et de la validité de cette recherche justifiait l'outrecuidance avec laquelle l'auteur, sans craindre de lasser la patience du lecteur, l'obligeait à ces inspections fureteuses de ménagère, à ces calculs de notaire, à ces estimations de commissaire-priseur.

Elle justifiait la docilité du lecteur.

C'était là, ils le savaient tous deux, que se logeait ce qui était alors leur grande affaire.

». »

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