DANINOS Pierre : sa vie et son oeuvre

« QU'EST-CE QU'UN FRANÇAIS ? (PIERRE DANINOS) Les livres de géographie et les dictionnaires disent : « La Grande-Bretagne compte quarante-neuf millions d'âmes »ou bien : « Les États-Unis d'Amérique totalisent cent soixante millions d'habitants.

» Mais ils devraient dire : « LaFrance est divisée en quarante trois millions de Français.

» La France est le seul pays du monde où, si vous ajoutezdix citoyens à dix autres, vous ne faites pas une addition, mais vingt divisions.Comment définir un Français? La rituelle définition du Français qui mange du pain, ne connaît pas la géographie etporte la Légion d'Honneur n'est pas tout à fait inexacte.

Mais elle est insuffisante.

Comment définir ces gens quipassent leurs dimanches à se proclamer républicains et leur semaine à adorer la Reine d'Angleterre, qui se disentmodestes, mais parlent toujours de détenir les flambeaux de la civilisation, qui font du bon sens un de leursprincipaux articles d'exportation, mais en conservent si peu qu'ils renversent leurs gouvernements à peine debout,qui placent la France dans leur coeur, mais leurs fortunes à l'étranger, qui adorent entendre leurs chansonnierstourner en dérision les culottes de peau, mais auxquels le moindre coup de clairon donne une jambe martiale, quidétestent que l'on critique leurs travers, mais ne cessent de les dénigrer eux-mêmes, qui admirent chez les Anglaisl'ignorance du « système D », mais se croiraient ridicules s'ils déclaraient au fisc le montant exact de leurs revenus,qui ont un respect marqué pour les tribunaux, mais ne s'adressent aux avocats que pour mieux savoir commenttourner la loi; enfin, qui sont sous le charme lorsqu'un de leurs grands hommes leur parle de leur grandeur, de leurgrande mission civilisatrice, de leur grand pays, de leurs grandes traditions, mais dont le rêve est de se retirer aprèsune bonne petite vie, dans un petit coin tranquille, sur un petit bout de terre à eux, avec une petite femme qui, secontentant de petites robes pas chères, leur mitonnera de bons petits plats?Le Français? Un être qui est avant tout le contraire de ce que vous croyez. PIERRE DANINOS INTRODUCTION La première lecture révèle un texte qui voudrait être un essai de définition, mais qui ne réussit à exprimer, à traversde nombreux exemples ou allusions, qu'une série d'incohérences entre l'apparence et la réalité, entre l'ambition dutempérament français et sa vérité.

Cet essai n'aboutira à aucune formule positive, seulement à une constatationgénérale de l'incohérence : le contraire de ce que vous croyez.

D'ailleurs, le ton, dès le début, révèle que l'auteur nenourrit pas d'ambitions exagérées quant à sa réussite : la forme interrogative à laquelle il recourt pendant tout letexte prouve assez son embarras et laisse deviner son échec; d'autre part, l'humour continuel nous situe davantagesur le plan de la plaisanterie qui permet une totale et même cruelle franchise que sur celui de l'observationpsychologique qui aboutirait à des déductions rigoureusement scientifiques.

Il semble que l'auteur cherche avanttout à faire ressortir toutes les incohérences d'un tempérament pour en découvrir le comique et montrer aussi laméfiance que l'on doit apporter aux apparences de réputations...Encore faut-il remarquer, d'emblée, que Daninos confond presque toujours la France et les Français, les symboles dupays et ses représentants...

moyens, facilitant ainsi l'exploitation des exemples qu'il donne en accusant le contrasteentre la noblesse qui s'attache à l'abstraction des principes (amour de la justice, de la grandeur...) et la mesquinerienée des intérêts particuliers et surtout de leur défense (tourner la loi, goût du confort égoïste...).

La grandeur d'unpays n'est pas souvent la somme des qualités et des défauts de ses individus : c'est pourquoi l'humour est facilequand on fait comme si on le croyait.

De toute façon, Cet humour permet des observations pleines de finesse et devérité et c'est là l'intérêt essentiel du texte. COMPOSITION Elle est très nette dans ses trois mouvements successifs et inégaux; elle contribue à accentuer l'humour par ladisproportion entre la phrase lapidaire et vague de la conclusion et la série des exemples nombreux qui servent deréférences.a) Le premier paragraphe vise à mettre en relief le caractère à part du Français et de la France.

Le procédé, dès ledébut, est déjà l'opposition : addition et division, mais ils devraient dire...b) Introduite par l'embarrassante question Comment définir un Français? — qui sera reprise deux lignes plus loin et àlaquelle ne peut satisfaire la définition ancestrale et traditionnelle — vient alors l'énumération de toutes lesremarques qui expriment l'incohérence sans parvenir à expliquer ni à construire le comportement.c) Enfin, une dernière phrase rappelle encore la question : la conclusion se contente de l'éluder précisément pourcouronner, dans l'exagération de l'humour, l'incohérence présentée comme le seul caractère fondamental duFrançais. EXPLICATION DE DÉTAIL a) L'allusion première aux dictionnaires et aux livres de géographie nous situe d'abord dans le climat de la définition :. »