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« De l'exactitude historique en poésie » ou la réécriture de l'Histoire dans la poésie d'Aragon

Publié le 02/09/2012

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histoire

Pour mes amis morts en mai Et pour eux seuls désormais Que mes rimes aient le charme Qu'ont les larmes sur les armes. Ces considérations stylistiques n'épuisent pas toute la symbolique de la mise en parallèle des armes et des larmes, elles permettent néanmoins de comprendre le dispositif «contrebandiste« mis en oeuvre dans les Yeux d'Elsa. La place militante assignée à la rime s'explique par le fait qu'elle peut revêtir cette ampleur d'orchestre de toutes les souffrances puisqu'elle est née dans la souffrance même. A regarder de très prés ces deux distiques, on constate que la rime senée du premier vers (retour régulier de la rime interne au début de tous les mots du vers) et qui se propage dans les vers suivants, ne manque pas de rappeler toute cette série thématique construite sur la réitération de la même disposition euphonique. Mal endormis mal enterrés p .38 (la Nuit de mai). Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'Août p.34 (les Yeux d'Elsa). Dans la mer où les morts se mêlent aux varechs p.39 (la Nuit de Dunicerque). Ce jeu habile d'homophonies tisse en effet la trame de ce qui sera célébré comme le point de départ de l'illusion par la formule magique qui tente d'opérer le sortilège capable de transformer les larmes en armes, en d'autres larmes. La multiplication des échos sonores oxygénera la strophe étouffée sous le poids des armes et ourdira de façon prémonitoire les combats futurs. Dés lors l'outrage Il n'en sera pas moins réparé et les « Beaux fils de France « pourront alors participer à la valse d'Elsa.

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« On sait que le malheur est rattaché au mois de mai, ce terrible mois des morts, de ceux qui sont fusillés par les Allemands :Pour vous et moi compagnons de ma guerre à moi tombés Non je n'ai pas perdu mémoire de toi courbeur de fer [Jean Pierre Timbaud, dirigent de syndicat CGT de lamétallurgie, fusillé à Chateaubriand] Qui d'un seul mot savait faire retourner toute une rue De toi non plus homme calomnié qui portait sur la vie Tes yeux clairs d'aiguilleur à l'approche des roues[ Pierre Semard, cheminot, fusillé à clairvaux, en avril 1942 ]Je n'ai pas perdu ta mémoire à toi non plus philosophe aux cheveux roux [ Politzer ]Ni la tienne avant rage blanchie d'avoir dédaigné le repos [ lucien sampaix, fusillé en décembre 1941 avec Peri ]Ni la mémoire de celui- ci qui chanta comme un cygneEt semblait un prince fait de cette argile de PhénicieDont on n'a jamais retrouvé depuis l'antiquité le secret de finesse [ Gabriel Peri ]Saurais-je un jour comme vous mourir mais tout ceci Vaut seulement en route Contrairement au joli mai des Rhénanes que le poète Apollinaire mêle à un érotisme diffus, aux sensations obsessionnelles qui lui rappellent son amour.

Ce moisd'Aragon est toujours à la rime ou à la césure et est associé à la défaite, à l'angoisse dues aux souvenirs de ces amis fusillés, d'où son importance dans tout le recueilparce qu'il ne génère pas les évocations printanières auxquelles il reste insensible, mais produit plutôt des mots (proches de mort) qui se modulent selon des accentstragiques : Une bouche suffit au mois de mai des mots...Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux (15) Pour être poétiques, ces yeux doivent renfermer des secrets comme ces anciennes héroïnes qui auraient donné naissance aux constellations, à celles des gémeauxnotamment.

C'est à cette tâche que les rimes doivent s'atteler pour construire le renouveau poétique car « à un monde nouveau doivent correspondre des rimesnouvelles, il n'est pas vrai qu'il n'est point de rimes nouvelles quand il est un monde nouveau » déclarait Aragon dans la revue Poètes casqués de Seghers. Ce renouveau poétique est-il synonyme d'affranchissement des cadres métriques et prosodiques hérités de la poésie traditionnelle? L'efficacité historique en poésie necourt-elle pas le risque d'être subordonnée aux enjeux de la virtuosité technique? Le propos de 1943, filant de superbes métaphores, n'est-il pas l'exemple même decette poésie enfermée dans un encodage qui la contraint à se développer malgré elle? Il n'est pas nécessaire de démontrer que la poésie aragonienne est celle de l'écho, au sens hugolien du terme, c'est à dire qu'elle est « l'écho de ce chant qui répond ennous au chant que nous entendons hors de nous ».

La voix intérieure du poète renvoie l'écho qu'elle reçoit du monde extérieur, tout se passe comme si le poète sesaisissait de l'événement historique, l'analysait, le transforme et l'envoyait transmuté en beauté émanant de la faiblesse.

Ce noeud de résonances où chaque mot chanté• reprend la route inverse des coeurs, et de sa note harmonique brise loin dans le monde un cristal par ici, et par là un verre grossier » Ce cristal est à l'image de ces diamants qui naissent au fonds des larmes, alors le verre grossier pourrait être celui du détournement du sens de la mascarade vichyste,du carnaval de Nice.On voit péricliter les valeurs suresEt fuir la vie à la six-quatre-deux (16).Cet écho sonore a la possibilité de s'amplifier jusqu'au point de devenir angoissant, le poème «C» (17) reproduit, par le retour de la même rime multipliée davantagepar les rimes intérieures, l'écho de la déroute et l'amertume du poète Etj'ai bu comme un lait glacéLe long lai des gloires faussées (17) Cette « mérencolie » (18) qui se réverbère dans la voix intérieure du poète est reproduite par une série de jeux allitérants, qui dans l'extrait de l'art poétique proposé,sont dominants; les occlusives et les vibrantes vélaires et dentales tracent un cheminement écholocatif dont la rime est le point nodal où se répercutent et sejuxtaposent, après avoir été séparées, les deux consonnes qui forment la texture des mots clés de l'extrait.

La seule chuintante (spirante) qui débute le mot charme,redonne vie et courage à ces larmes pour l'emporter sur les armes « désamorcées car privées de leurs têtes » Pour mes amis morts en mai Et pour eux seuls désormais Que mes rimes aient le charmeQu'ont les larmes sur les armes. Ces considérations stylistiques n'épuisent pas toute la symbolique de la mise en parallèle des armes et des larmes, elles permettent néanmoins de comprendre ledispositif «contrebandiste» mis en oeuvre dans les Yeux d'Elsa. La place militante assignée à la rime s'explique par le fait qu'elle peut revêtir cette ampleur d'orchestre de toutes les souffrances puisqu'elle est née dans la souffrancemême.

A regarder de très prés ces deux distiques, on constate que la rime senée du premier vers (retour régulier de la rime interne au début de tous les mots du vers)et qui se propage dans les vers suivants, ne manque pas de rappeler toute cette série thématique construite sur la réitération de la même disposition euphonique. Mal endormis mal enterrés p .38 (la Nuit de mai).Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'Août p.34 (les Yeux d'Elsa).Dans la mer où les morts se mêlent aux varechs p.39 (la Nuit de Dunicerque). Ce jeu habile d'homophonies tisse en effet la trame de ce qui sera célébré comme le point de départ de l'illusion par la formule magique qui tente d'opérer le sortilègecapable de transformer les larmes en armes, en d'autres larmes.

La multiplication des échos sonores oxygénera la strophe étouffée sous le poids des armes et ourdirade façon prémonitoire les combats futurs.

Dés lors l'outrageIl n'en sera pas moins réparé et les « Beaux fils de France » pourront alors participer à la valse d'Elsa. La terre accouchera d'un soleil sans batailles Il faut que la guerre s'en ailleMais seulement que l'homme en sorte triomphant.

(19) L'encodage ne vise donc pas uniquement à surprendre le pouvoir mis en place par la dissémination des vers patriotiques l'intérieur d'un recueil, si peu soupçonnable, parce qu'il chante l'amour, il participe à ce frémissement espéré chez le lecteur par la combinaison voire le télescopagedes antonymes, la rencontre du gracile et du tragique pour parvenir à créer cette émotion singulière presque dérangeante.Le visage sacré s'il doit renaître un jour ma patrie et la faim et l'amour (20) Conclusion :Pour écrire en première ligne avec la technique des troubadours, Il s'agit de puiser dans la tradition nationale, celle du illoyen-Âge pour dresser l'ensemble de lapoésie contre la catastrophe nationale, Le projet ne manque pas assurément de cohérence, car cette volonté démonstrative de renouer avec une tradition, une culture etune histoire nationales incarnées par quelques figures héroïques en cette période de guerre, d'ailleurs peu favorable à l'expression poétique de la révolte et du. »

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