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INTRODUCTION À LA PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE, Sur les limites de l’objectivité historique, 1938. Raymond Aron

Publié le 24/09/2018

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peut-il se connaître? En usant de la «compréhension» définie par Dilthey comme saisie de significations vécues, le sujet se heurte aux difficultés de la connaissance de soi et d’autrui (reconstruction des mobiles et des motifs, d’éléments où manque toujours l’unité du tout), multipliées par les points de vue postérieurs; une époque socialiste, ou hantée par l’économie, crée une histoire socialiste de la Révolution française, une histoire économique de l’Antiquité: «Chaque époque se choisit un passé. » On ne peut reconstituer une autre vision du monde, sinon par contraste avec la nôtre et en y voyant une étape d’une évolution orientée vers le présent.

 

Mais si l’on doute du progrès, une série d’histoires indépendantes, sans orientation, forme-t-elle encore une histoire? Si l’on se tourne vers l’explication causale, on se heurte au problème du déterminisme historique : quand on ne peut expérimenter sur ce qui ne se répète pas, comment vérifier les causes d’un fait unique, et distinguer une relation nécessaire d’une succession contingente ? On n’arrive pas à des lois, mais à des

 

probabilités rétrospectives en imaginant ce qui se serait passé si telle cause n’avait pas existé. Faut-il en déduire qu’il y a des accidents en histoire — ces hasards que Cournot oppose aux systèmes issus d’une série de causes ? Cela dépend de la définition qu’on donne du mot série: si la guerre de 1914 est issue de la rencontre du panslavisme et des diverses diplomaties des Empires, on peut aussi y voir le système unique de la politique européenne. Dès lors, ne faut-il pas limiter le hasard à l’intervention des catastrophes naturelles ? On ne peut conclure, car «l’illusion rétrospective de fatalité contredit l’impression contemporaine de contingence».

 

Pour arriver quand même à des lois, faut-il faire appel aux sociologues ? S’ils recourent à des causes naturelles, elles ne donnent cependant que des conditions négatives, et pas d’explication intégrale : l’Angleterre n’a pas toujours été une puissance maritime. Ce qui prouve bien que le fait d’être une île n’est pas une condition suffisante ; il faut que s’y ajoute l’initiative des hommes. Et une cause sociale, comme une dévaluation, produit des effets différents, en fonction des conduites humaines qui s’y adaptent

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