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Défense de la solitude.

Publié le 22/02/2012

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Des dangers ? La solitude ?! L'homme qui désire intensément être à lui seul et non aux autres, qui ressent l'ensemble de ces autres, leur collectivité comme un fardeau, une entrave... prétend les nier. Pourtant... pour qui ne l'a pas choisie, la solitude — imposée par exemple par les circonstances — devient écrasante et arrive même à rendre l'homme fou. C'est parce qu'on sait à quel point l'être humain aime la société de ses semblables que l'on a trouvé — l'ardeur punitive est toujours raffinée ! — qu'une des peines les plus dures est la solitude en cellule ou en cachot. 

« * * * Ainsi la solitude peut-elle devenir un sentiment pénible d'abandon, quand nous ressentons d'autant plus le besoindes autres, qu'ils se détournent de nous ou qu'une incompréhension réciproque s'établit.

Mais par contre, quellevolupté peut goûter celui qui la recherche et l'atteint ! «Enfin seuls ! » est le cri des amoureux, car la solitude peutêtre vécue à deux ou à quelques-uns.

C'est celle dont rêve Phèdre qui s'écrie : « Dieux ! que ne suis-je assise àl'ombre des forêts ! » ...

avec celui qu'elle aime et qui l'aimerait...

C'est l'asile des Deux pigeons (La Fontaine) « quis'aimaient d'amour tendre » et que veut préserver celui qui en goûte toujours le charme : «Voulez-vous quittervotre frère? », gémit-il à l'adresse de l'aventureux qui veut rompre cette solitude des deux amis.

C'est celle du nidfamilier, préservé des ingérences extérieures, pas tellement le foyer que peint Hugo dans Ô Souvenirs...(Contemplations), car une faille (l'infidélité de Mme Hugo, puis de Victor lui-même) y rompt le fragile équilibrenécessaire à la solitude de tout groupement; mais celui, si parfait, de la famille de Lamartine : «Quand la maison vibrait comme un grand cœur de pierre De tous ces cœurs joyeux qui battaient sous ses toits ! » (La Vigne et la Maison).

Plus fréquente cependant est la solitude goûtée d'un être seul, loin de l'intrusion de l'autre,quel qu'il soit.

Voici Rousseau, racontant à M.

de Malesherbes (3e Lettre) ses manœuvres pour échapper à l'intruspossible : « ...Avant une heure [...] je partais par le grand soleil, pressant le pas dans la crainte que quelqu'un nevînt s'emparer de moi avant que j'eusse pu m'esquiver; mais quand une fois j'avais pu doubler un certain coin, avecquel battement de cœur, avec quel pétillement de joie je commençais à respirer, en me sentant sauvé, me disant :Me voilà maître de moi pour le reste de ce jour ! » Tous les termes utilisés par Rousseau le montrent commeprisonnier des autres ; c'est vers la liberté qu'il fuit ; lorsqu'il a échappé aux visites possibles, il est «sauvé», «maîtrede [lui] ».

Car la solitude, c'est la possibilité de fuir tout ce «divertissement» dont s'étourdissent les hommes pouréviter de penser.

La vie collective disperse ; elle fait perdre bien des richesses : le temps, les doux plaisirs de laretraite (La Fontaine, Ronsard), de la rêverie (La Fontaine, Chénier, Rousseau), de l'imagination, de la liberté, de lanature.

«J'allais [...] chercher [...] quelque asile où je pusse croire avoir pénétré le premier et où nul tiers importunne vînt s'interposer entre la nature et moi», écrit toujours Rousseau à M.

de Malesherbes (3e Lettre) ; maisLamartine retrouve aussi au sein de la nature solitaire les voix consolatrices, Marot y cherche la muse, Valéry «l'écho interne » de notre conscience « qui sonne à l'âme un creux toujours futur» dont s'enchantent Narcisse ou laJeune Parque.

Cependant la solitude n'est pas que fuite devant l'autre, bonheur d'être à soi ou avec des «êtresselon [son] cœur», « hommes dignes d'habiter» les «asiles de la nature», «société charmante» (Rousseau), carpurement imaginaire.

Elle est aussi source féconde, nécessité pour le penseur, l'artiste, le créateur.

Elle n'est pasforcément au milieu des roches sauvages ou devant les cascades indomptées.

Le chercheur se crée dans n'importequel milieu la solitude nécessaire à la pensée, la « paix des rides que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux»(Rimbaud, Voyelles) : on l'appellera même parfois distraction; la voix populaire dit qu'il «s'isole», «s'abstrait».

Sartre,S.

de Beauvoir, Bernanos écrivaient — solitaires dans la foule — aux tables des cafés citadins ; où trouver solitudeplus absolue que dans l'anonymat d'un métro ou d'un carnaval (voir la fin poignante du film Les enfants du Paradis).Mais face à ces quelques hommes paradoxaux, combien plus nombreux sont les créateurs enfermés dans le silencede leur cabinet de travail que toute la famille doit respecter; ou écrivant comme Hugo, seul «tout le matin », deboutà Jersey ou à Guernesey, devant la large baie donnant sur la mer et sur les côtes lointaines de France.

Certainsmême en arrivent à ériger cette solitude en système ou en éthique.

Si les déclarations de Montaigne, retranchédans sa «librairie» (= bibliothèque), demeurent équilibrées, celles de Pascal reposent sur toute une conceptionpassionnée des rapports de Dieu et de l'homme.

Ce dernier se doit d'éviter tout «divertissement » et il lui faut lecourage d'être souvent seul pour mieux préparer son salut ; c'est avec inquiétude que Pascal constate : « Tout lemalheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre.

»Quant à Rousseau, il va jusqu'à affirmer qu'il « n'aurait pas vécu trop malheureux à la Bastille » pourvu qu'il y ait étéseul ! Pour lui la solitude est un phénomène originel.

La retrouver est à la fois retrouver les possibilités de bontéoriginelle, et à défaut celles de créer « le pays des chimères, le seul digne d'être habité», depuis que la civilisation acorrompu l'homme. * * * « Siècle d'or à [la] fantaisie de celui qui la goûte », la solitude procure donc tranquillité et liberté.

C'est que dans lesasiles loin des hommes, on peut « se livrer tout le jour sans obstacle aux occupations de son goût» (Rousseau).

Oùtrouver meilleures conditions à la réflexion, à la fécondité du silence,, aux méditations métaphysiques, à l'échointerne de notre être, à la rêverie...

que celles «d'un promeneur solitaire»? On pourra reprocher au solitaire de nepas savoir ou vouloir s'adapter à la société, on parlera d'orgueil, d'égocentrisme.

Mais que dire de celui qui ne peutêtre seul, sinon qu'il a peur, qu'il s'étourdit, et qu'il est plus profitable de fuir la foule que de se fuir soi-même ?N'est-ce pas aussi paresse d'esprit, compromission, laisser-aller, que de se noyer dans la multitude ? « Ce grandmalheur de ne pouvoir être seul ! », rappelle Baudelaire, citant La Bruyère «comme pour faire honte — ajoute-t-il —à tous ceux qui courent s'oublier dans la foule, craignant sans doute de ne pouvoir se supporter eux-mêmes».(Baudelaire, Petits poèmes en prose : La solitude).. »

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