Devoir de Philosophie

Denis Diderot, Le rêve de d'Alembert.

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

diderot
Qui sait si la fermentation et ses produits sont épuisés ? Qui sait à quel instant de la succession de ces générations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipède déformé, qui n'a que quatre pieds de hauteur, qu'on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n'est pas l'image d'une espèce qui passe ? Qui sait s'il n'en est pas ainsi de toutes les espèces d'animaux ? Qui sait si tout ne tend pas à se réduire à un grand sédiment inerte et immobile ? Qui sait quelle sera la durée de cette inertie ? Qui sait quelle race nouvelle peut résulter derechef d'un amas aussi grand de points sensibles et vivants ? Pourquoi pas un seul animal ? Qu'était l'éléphant dans son origine ? Peut-être l'animal énorme tel qu'il nous paraît, peut-être un atome, car tous les deux sont également possibles ; ils ne supposent que le mouvement et les propriétés diverses de la matière… L'éléphant, cette masse énorme, organisée, le produit subit de la fermentation ! Pourquoi non ? Le rapport de ce grand quadrupède à sa matrice première est moindre que celui du vermisseau à la molécule de farine qui l'a produit ; mais le vermisseau n'est qu'un vermisseau… C'est-à-dire que la petitesse qui vous dérobe son organisation lui ôte son merveilleux… Le prodige, c'est la vie, c'est la sensibilité ; et ce prodige n'en est plus un… Lorsque j'ai vu la matière inerte passer à l'état sensible, rien ne doit plus m'étonner… Quelle comparaison d'un petit nombre d'éléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce réservoir immense d'éléments divers épars dans les entrailles de la terre, à sa surface, au sein des mers, dans le vague des airs !… Cependant, puisque les mêmes causes subsistent, pourquoi les effets ont-ils cessé ? Pourquoi ne voyons-nous plus le taureau percer la terre de sa corne, appuyer ses pieds contre le sol, et faire effort pour en dégager son corps pesant ?… Laissez passer la race présente des animaux subsistants ; laissez agir le grand sédiment inerte quelques millions de siècles. Peut-être faut-il, pour renouveler les espèces, dix fois plus de temps qu'il n'est accordé à leur durée. Attendez, et ne vous hâtez pas de se prononcer sur le grand travail de nature. Vous avez deux grands phénomènes, le passage de l'état d'inertie à l'état de sensibilité, et les générations spontanées ; qu'ils vous suffisent : tirez-en de justes conséquences, et dans un ordre de choses où il n'y a ni grand ni petit, ni durable, ni passager absolus, garantissez-vous du sophisme de l'éphémère… Denis Diderot, Le rêve de d'Alembert. C'est en août 1769 que DIDEROT rédige les trois dialogues que l'on groupe maintenant autour du plus important, le Rêve de d'Alembert. Le 7 septembre, il écrit à Sophie VOLLAND : J'ai fait un dialogue entre d'Alembert et moi : nous y causons assez gaiement, et même assez clairement, malgré la sécheresse et l'obscurité du sujet. A ce dialogue il en succède un second beaucoup plus étendu, qui sert d'éclaircissement au premier; celui-ci est intitulé le Rêve de d'Alembert. Les interlocuteurs sont D'ALEMBERT rêvant, Mlle DE LESPINASSE, amie de D'ALEMBERT, et le docteur Bordeu. Si j'avais voulu sacrifier la richesse du fond à la noblesse du ton, Démocrite, Hippocrate et Leucippe auraient été mes personnages ; mais la vraisemblance m'aurait renfermé dans les bornes étroites de la philosophie ancienne et j'y aurais trop perdu. Cela est de la plus haute extravagance et tout à la fois de la philosophie la plus profonde ; il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d'un homme qui rêve : il faut souvent donner à la sagesse l'air de la folie, afin de lui procurer ses entrées ; j'aime mieux qu'on dise : Mais cela n'est pas si insensé qu'on croirait bien, que de dire : Écoutez-moi, voilà des choses très sages. L'oeuvre ne sera publiée qu'en 1830. • DIDEROT est au courant de toutes les activités scientifiques de son temps. Dès 1754, dans ses Pensées sur l'interprétation de la nature, il avait posé quinze questions sur les origines de la vie et l'organisation de l'univers. Il avait été vivement impressionné par la publication des premiers volumes de BUFFON (Histoire naturelle) à partir de 1749, et par les idées de MAUPERTUIS, qui avait exposé pour la première fois l'hypothèse transformiste en 1751 (Système de la nature).
diderot

« B.

Les thèses en présence t Diderot explique que toute matière est par elle-même vivante, animée et sensible.

Extrapolant à partir des observations au microscope alors en plein essor, Diderot explique que« les pierres sentent».

Entre la matière manifestement inerte et la matière manifestement vivante, la différence n'est pas de nature, mais de degré et d'échelle : celle que nous percevons inanimée est en fait animée, mais à une échelle microsco­ pique, invisible à l'œil nu.

Elle manifeste d'ailleurs sa puissance quand elle est absor­ bée par un être vivant de plus grande ampleur : l'herbe ingérée « anime » la vache, l'aliment« s' animalise».

Diderot distingue donc la« sensibilité active» (celle des ani­ maux et des végétaux) et la« sensibilité inerte » (celle des minéraux) : l'une n'est qu'en puissance («force morte » ), l'autre est passée à l'acte («force vive ») après absorption par un être plus « vif».

t D'Alembert objecte: «Comment animaliser une statue ? » Diderot répond que la différence entre le végétal comestible et le minéral non comestible n'est qu'une diffé­ rence de degré : l'usure des pierres est bien un processus d'absorption, simplement un peu plus lent qu'une digestion.

La terre est l'animal géant qui digère les pierres pour en faire «de /'humus», puis des végétaux, puis des animaux.

À son rythme, la statue se « végétalise »,puis « s' animalise ».

t D'Alembert exprime une autre inquiétude: dans ce système, que devient l'esprit humain? Diderot répond que la conscience n'est rien d'autre que la mémoire, puis il hasarde une métaphore: l'organisme est comme un clavecin.

Penser, c'est mettre en rapport des perceptions, suivant un système de cordes harmoniques comparable à celui d'un clavecin: la sensation est la vibration d'une corde; elle se prolonge en idée par le phénomène de la résonance, qui permet à l'objet de sensation de rester un temps présent à l'esprit; la corde pincée fait alors résonner certaines autres cordes, suivant sa fré­ quence: c'est le mécanisme de la réminiscence, qui fait qu'une idée« résonne» avec une autre et qu'un raisonnement prend naissance.

C.

La forme du débat et ses impasses t Le premier entretien est une parodie de dialogue socratique, où Diderot se met lui­ même en scène, comme porte-parole des thèses avant-gardistes de son ami Bordeu.

D'Alembert ne cesse d'y opposer des résistances: il n'a pas envie d'y croire.

Ce qui devait être un échange philosophique se révèle donc un dialogue de sourds.

La méthode socratique est mise en échec.

t Pour ne pas répondre aux arguments de Diderot, d'Alembert se réfugie dans son habituel scepticisme.

Diderot lui montre pourtant que le scepticisme peut être retourné en sa faveur:« D'où save:::-vous que cette qualité [la sensibilité] est incompatible avec la matière ? »D'Alembert interrompt alors brutalement l'entretien.

Diderot s'étonne et prophétise : « Vous plaisante::: ; mais vous rêverez sur votre oreiller à cet entretien.

» «Dépêchez-vous, je suis pressé de dormir», répond celui qui, au début de l'entretien, disait:« Je suis pressé de penser.» Le message de l'auteur est clair: le sommeil vient prendre la relève du dialogue.D'Alembert semble pressé de ne plus penser à toutes ces hypothèses trop inconfortables.

Ou peut-être, au contraire, pressent-il qu'en dormant, il y repensera mieux ...

2.

LE A.

Une doctrine moniste matérialiste t D'Alembert reprend les thèses de Bordeu et Diderot: il n'existe qu'une seule sub­ stance, la matière; il n'existe pas de substance immatérielle.

À proprement parler, il n'y a qu'un seul individu: le Tout.

Il n'existe pas véritablement d'individus séparés, les individus n'ont qu'une autonomie relative, comparable à celle d'un organe dans un corps.

215. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles