Développer et apprécier le jugement suivant de La Bruyère: Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.
Publié le 15/02/2012
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Il faut reconnaître que cette pensée étonne tout d'abord, et qu'on est surpris de la rencontrer dans La Bruyère. Comment un écrivain qui a su, plus qu'aucun autre, trouver pour les pensées les plus délicates l'expression juste et vive, peut-il refuser à l'art d'écrire cette finesse qui est comme la qualité maîtresse de son propre style? On se rappelle, malgré soi, cette comparaison des enfants drus et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur nourrice,. et on est tenté de l'appliquer à l'auteur lui-même. Il ne s'agit cependant que d'entendre la pensée de La Bruyère.
«
le bon : vous pouvez le prendre en parlant, mais souvent it arrive que vous
ne le pouvez pas si vous ecrivez.
Un bon ecrivain doit s'interdire egalement
et les termes qui ont ete abandonnes, et ceux qui ont ete trop recemment
introduits dans l'usage.
Il faut cependant avouer que, si l'on excepte cer-
taines expressions basses et grossieres, les mots nouveaux dans tous les
temps ne sont crees que pour rendre certaines idees nouvelles.
II est done
certaines choses qu'un auteur ne peut pas exprimer, ou du moins qu'il ne
peut pas exprimer en ecrivant, avec autant de precision et par suite autant
de finesse que lui-meme pourrait les dire.
La langue litteraire, qui n'est ni
la langue du temps passe ni celle du temps present, est faite pour exprimer
avec des termes qui ne doivent pas vieillir des idees variees mais eternelle-
ment vraies qui sont comme le fonds de l'esprit humain.
II me semble que
la finesse, comme la grace, veut la jeunesse; qu'elle nait de la nouveaute
et de la delicatesse plut8t que de la gravite du sujet, et qu'elle trouve plutot
sa place dans la conversation on l'on paHe de toutes ces choses qui chan-
gent, qui se modifient a tout instant et d'une faeon presque insensible.
La
langue de la conversation suit, pour ainsi dire, tous ces changements des
idees; elle se prete a leurs differentes formes; elle reftete leurs nuances les
plus delicates : quand on emit, disons-nous, on doit s'interdire les mots
trop recemment crees; on en peut creer soi-meme quand on paHe.
La langue
litteraire ne permet pas a un ecrivain d'avoir plus d'esprit ni de finesse qu'elle-meme n'en peut avoir : quand on parle, on peut avoir plus d'esprit
que les mots, parce que chacun, dans une certaine mesure, mesure etroite
it est vrai, a le droit de modifier la langue qu'il park.
La raison en est qu'ecrire c'est parler pour etre entendu de tout le
monde, tandis que, dans la conversation, on ne s'adresse qu'a un tres petit
nombre d'esprits qu'on connait et dont on est connu.
Ce qu'on appelle le
gout dans les arts marque la limite non pas tant de l'imagination et de
l'esprit de l'artiste ou de l'ecrivain, que du sentiment et de l'intelligence du public.
Il est permis de croire que ces grands genies qui ont fait et feront
eternellement l'admiration de l'humanite ne nous ont cependant pas donne
tout ce qu'ils possedaient, et n'ont pas epuise dans leurs oeuvres toute la
richesse de leur nature : ils ne nous ont donne que celles de leurs pensees
qu'ils pouvaient rendre sensibles au moyen de l'art, et ils n'ont epuise que
notre admiration.
De toutes les qualites que peut avoir un ecrivain, it semble
que in finesse soit celle qu'il est le plus difficile de faire gaiter au public.
Un auteur qui ecrit avec delicatesse peut demander a l'esprit du lecteur
une certaine attention et un certain effort, mais it doit etre sir d'avance
que le lecteur trouvera promptement ce qu'il aura fait chercher un instant.
Ainsi, quand vous ecrivez, it faut mettre dans votre ouvrage autant d'esprit
non point que vous en pouvez avoir vous-meme, mais qu'en peuvent avoir
ceux qui vous liront.
Quand on park, on n'a devant soi que des amis, ou
quelques personnes dont on est rapproche soit par l'affection, soit par les
rapports de la vie, et dont on peut a peu pres deviner l'humeur.
D'ailleurs,
par la conversation, it s'etablit entre les esprits je ne sais quel commerce
intime qui fait qu'on saisit souvent la pensee de celui qui parle avant qu'il
ait acheve de l'exprimer.
Bien souvent c'est quelque cause exterieure qui
fait naitre une idee dans notre esprit : ce qui nous frappe peut frapper en
meme temps ceux qui sont avec nous : nous parlons, et c'est leur idee ou
leur sentiment qu'ils entendent exprimer.
Il semble dans la conversation
que l'on pense en commun, ou du moins l'echange continuel que l'on fait
de ses pensees maintient entre les esprits une sorte d'egalite momentanee,
qui donne de l'esprit a tel qui en manquait, ou tout au moins qui le rend
le bon : vous pouvez le prendre en parlant, mais souvent il arrive que vous
ne le pouvez pas si vous écrivez.
Un bon écrivain doit s'interdire également
et les termes qui ont été abandonnés, et ceux qui ont été trop récemment
introduits dans l'usage.
Il faut cependant avouer que, si l'on excepte cer
taines expressions basses et grossières, les mots nouveaux dans tous les
temps ne sont créés que pour rendre certaines idées nouvelles.
Il est donc
certaines choses qu'un auteur ne peut pas exprimer, ou du moins qu'il ne
peut pas exprimer en écrivant, avec autant de précision et par suite autant
de finesse que lui-même pourrait les dire.
La langue littéraire, qui n'est ni
la langue du temps passé ni celle du temps présent, est faite pour exprimer
avec des termes qui ne doivent pas vieillir des idées variées mais éternelle
ment vraies qui sont comme le fonds de l'esprit humain.
Il me semble que
la finesse, comme la grâce, veut la jeunesse; qu'elle naît de la nouveauté
et de la délicatesse plutôt que de la gravité du sujet, et qu'elle trouve plutôt
sa place dans la conversation où l'on parle de toutes ces choses qui chan
gent, qui se modifient à tout instant et d'une façon presque insensible.
La
langue de la conversation suit, pour ainsi dire, tous ces changements des
idées; elle se prête à leurs différentes formes; elle reflète leurs nuances les
plus délicates : quand on écrit, disons-nous, on doit s'interdire les mots
trop récemment créés; on en peut créer soi-même quand on parle.
La langue
littéraire ne permet pas à un écrivain d'avoir plus d'esprit ni de finesse
qu'elle-même
n'en peut avoir : quand on parle, on peut avoir plus d'esprit
que les mots, parce que chacun, dans une certaine mesure, mesure étroite
il est vrai, a le droit de modifier la langue qu'il parle.
La raison en est qu'écrire c'est parler pour être entendu de tout le
monde, tandis que, dans la conversation, on ne s'adresse qu'à un très petit
nombre d'esprits qu'on connaît et dont on est connu.
Ce qu'on appelle le
goût
dans les arts marque la limite non pas tant de l'imagination et de
l'esprit de l'artiste ou de l'écrivain, que du sentiment et de l'intelligence du
public.
Il est permis de croire que ces grands génies qui ont fait et feront
éternellement l'admiration de l'humanité ne nous ont cependant pas donné
tout ce qu'ils possédaient, et n'ont pas épuisé dans leurs œuvres toute la
richesse de leur nature : ils ne nous ont donné que celles de leurs pensées
qu'ils pouvaient rendre sensibles au moyen de l'art, et ils n'ont épuisé que
notre admiration.
De toutes les qualités que peut avoir un écrivain, il semble
que la finesse soit celle qu'il est le plus difficile de faire goûter au public.
Un auteur qui écrit avec délicatesse peut demander à l'esprit du lecteur
une certaine attention et un certain effort, mais il doit être sûr d'avance
que le lecteur trouvera promptement ce qu'il aura fait chercher un instant.
Ainsi, quand vous écrivez, il faut mettre dans votre ouvrage autant d'esprit
non point que vous en pouvez avoir vous-même, mais qu'en peuvent avoir
ceux qui vous liront.
Quand on parle, on n'a devant soi que des amis, ou
quelques personnes dont on est rapproché soit par l'affection, soit par les
rapports de la vie, et dont on peut à peu près deviner l'humeur.
D'ailleurs,
par la conversation, il s'établit entre les esprits je ne sais quel commerce
intime qui fait qu'on saisit souvent la pensée de celui qui parle avant qu'il
ait achevé de l'exprimer.
Bien souvent c'est quelque cause extérieure qui
fait naître une idée dans notre esprit : ce qui nous frappe peut frapper en
même temps ceux qui sont avec nous : nous parlons, et c'est leur idée ou
leur sentiment qu'ils entendent exprimer, Il semble dans la conversation
que l'on pense en commun, ou du moins l'échange continuel que l'on fait
de ses pensées maintient entre les esprits une sorte d'égalité momentanée,
qui donne de l'esprit à tel qui en manquait, ou tout au moins qui le rend.
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