Devoirs des maîtres envers les serviteurs. Fénelon

Tâchez... de vous faire aimer de vos gens sans aucune basse familiarité : n'entrez pas en conversation avec eux; mais aussi ne craignez pas de leur parler assez souvent avec affection et sans hauteur sur leurs besoins. Qu'ils soient assurés de trouver en vous du conseil et de la compassion : ne les reprenez point aigrement de leurs défauts ; n'en paraissez ni surpris ni rebuté, tant que vous espérez qu'ils ne sont pas incorrigibles; faites leur entendre doucement raison, et souffrez souvent d'eux pour le service, afin d'être en état de les convaincre de sang-froid que c'est sans chagrin et sans impatience que vous leur parlez, bien moins pour votre service que pour leur intérêt. Il ne sera pas facile d'accoutumer les jeunes personnes de qualité à cette conduite douce et charitable; car l'impatience et l'ardeur de la jeunesse, jointe à la fausse idée qu'on leur donne de leur naissance, leur fait regarder leurs domestiques à peu près comme des chevaux : on se croit d'une autre nature que les valets; on suppose qu'ils sont faits pour la commodité de leurs maîtres. Tâchez de montrer combien ces maximes sont contraires à la modestie pour soi, et à l'humanité pour son prochain.... Faites entendre que les hommes ne sont point faits pour être servis; que c'est une erreur brutale de croire qu'il y ait des hommes nés pour flatter la paresse et l'orgueil des autres; que, le service étant établi contre l'égalité naturelle des hommes, il faut l'adoucir autant qu'on le peut ; que les maîtres, qui sont mieux élevés que leurs valets, étant pleins de défauts, il ne faut pas s'attendre que les valets n'en aient point, eux qui ont manqué d'instruction et de bons exemples.

(De l'Éducation des filles, XII.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Une autre page du Traité de l'Éducation des filles. i° A qui s'adresse Fénelon ? (Ne pas oublier qu'il écrivit l'Éducation des filles à la demande de la duchesse de Beauvilliers, qui avait huit filles, et qui désirait être guidée dans l'accomplissement de ses devoirs maternels) ; 2° Sur quels devoirs des maîtres à l'égard des serviteurs insiste-t-il tout particulièrement ? 3° Les conseils de Fénelon s'adressent aux jeunes filles de la noblesse : montrez qu'il n'en est pas un seul qui ne doive être suivi dans une société démocratique.

II. — L'analyse du morceau. — 1° Quelles sont les différentes parties du morceau? a) Nécessité pour les maîtres de se montrer affectueux et bons, — de faire entendre doucement raison aux serviteurs; b) Difficulté pour les jeunes personnes de qualité de traiter les serviteurs avec douceur et bonté ; c) Enseignement à leur donner : les hommes ne sont point faits pour être servis) ; 2° Comment Fénelon veut-il que les maîtres se fassent aimer de leurs serviteurs? 3) Dans quel but doivent-ils s'adresser à leur raison? 4° Que désigne l'auteur par l'expression : les jeunes personnes de qualité ? 5° Pourquoi n'est-il pas facile à ces jeunes personnes de se montrer douces et charitables? 6° Comment considèrent-elles les serviteurs? 7° Quelle idée, — hardie à cette époque, — développe Fénelon dans la dernière partie? 8° L'égalité naturelle est-elle la seule égalité dont les hommes jouissent aujourd'hui?

III. — Le style; — les expressions. — 1° Montrez que les qualité du style, dans ce morceau, sont les mêmes que dans le morceau précédent : facilité, aisance, simplicité; 2° Relevez quelques expressions énergiques employées par Fénelon (... elles regardent les domestiques à peu près comme des chevaux;... c'est une erreur brutale de croire qu'il y ait...); dans quel but les emploie-t-il? 3° Quel est le rôle de l'adverbe point dans cette phrase : ... les hommes ne sont point faits pour être servis ? 4° Faites connaître le sens de l'expression : une basse familiarité.

IV. — La grammaire. — 1° Indiquez les mots de la même famille que serviteurs ; 2° Trouvez un synonyme de compassion, de sang-froid, de modestie ; 3° Quels sont les compléments contenus dans la première phrase du morceau? Nature de chacun d'eux.

Rédaction. — Commentez cette parole de Fénelon : « Faîtes entendre que les hommes ne sont point faits pour être servis. « Si cependant ils ont des serviteurs, comment doivent-ils les traiter?