Dissertation littéraire : Le Jeu de l'amour et du hasard, énoncé de Naugrette-Christophe
Publié le 06/09/2023
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Clovis Lévêques
DISSERTATION LITTÉRAIRE : ÉNONCÉ DE NAUGRETTECHRISTOPHE SUR LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD DE
MARIVAUX « À TRAVERS LES ÉPREUVES DE LA COMÉDIE, LES
JEUNES GENS (…) REÇOIVENT UNE DOUBLE LEÇON : SOCIALE ET
SENTIMENTALE.
»
INTRODUCTION :
« Marivaudage : Style et langage raffinés et précieux à la manière des
personnages de Marivaux.
» Utilisé en abondance dans la comédie du Jeu de
l’amour et du hasard, le marivaudage caractérise l’écriture de Marivaux,
écrivain français du XVIIIe siècle.
Ce style se caractérise par la recherche dans
le langage et le contexte amoureux.
Ainsi, les sentiments qu’éprouvent les jeunes
gens de la comédie sont exprimés à travers le marivaudage qui traduit la
complexité de l’amour.
Le marivaudage est également représentatif de l’instant
où les personnages découvrent l’amour, où ils en apprennent plus sur leurs
sentiments.
On peut donc parler de leçon amoureuse.
Cependant, un autre aspect du théâtre de Marivaux est traité par Catherine
Naugrette-Christophe : la leçon sociale.
En effet, cette critique littéraire
« répond », dans la préface à l’édition Gallimard de 1994, à la question implicite
de la morale que peuvent tirer les héros de la comédie du Jeu de l’amour et du
hasard, avec l’énoncé suivant : « A travers les épreuves de la comédie, les jeunes
gens (…) reçoivent une double leçon : sociale et sentimentale.
»
Avant de s’attarder plus en détail sur l’énoncé, il se doit d’évoquer brièvement
l’intrigue de cette comédie.
Il s’agit, comme dans bien d’autres pièces de
Marivaux, de gens à marier.
Pourtant cela ne cesse de se compliquer, par le biais
de déguisements grâce auxquels les maîtres jouent au domestique, et vice-versa.
Promise à Dorante sans le connaître, Silvia a imaginé avec l’accord de son père,
Monsieur Orgon, de se déguiser en soubrette pour voir un peu quel est le mari
qu’on lui destine.
Ce dernier de son côté a conçu le même subterfuge et paraît
devant sa fiancée sous un habit de valet.
Dès lors, plus rien n’est simple et les
jeux de l’amour sont soumis aux caprices du hasard.
Pour ce qui est trait aux aspects formels de l’énoncé, on peut relever que
Naugrette-Christophe utilise le présent de vérité générale pour exprimer son
point de vue.
Ce temps verbal permet de souligner le fait que c’est une
affirmation forte.
On peut également relever l’expression « double leçon », qui
peut être définie comme une métaphore de la pédagogie.
Leçon sociale et sentimentale : pour Naugrette-Christophe, ces deux termes
résument la morale que les héros du Jeu de l’amour et du hasard tirent de la
comédie.
Le Dictionnaire Le Robert définit ces deux mots de la manière suivante
: « Social : Relatif aux rapports entre les classes de la société.
», « Sentimental :
Relatif à la vie affective et, spécialement, l'amour.
»
Pour mieux comprendre cet énoncé, on peut le reformuler de cette façon : A
travers l’éducation marivaudienne, les personnages de la comédie découvrent
l’amour ainsi que ses effets sur eux et prennent conscience de la complexité des
statuts sociaux.
Nous nous demanderons tout d’abord en quoi les personnages du Jeu de l’amour
et du hasard reçoivent une leçon sociale, mais en quoi peut-on la relativiser.
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Puis, nous verrons en quoi le personnage de Silvia reçoit une leçon sentimentale.
Enfin, nous monterons en quoi l’on peut mettre en relation la leçon sociale et la
leçon sentimentale, et en quoi l’on voit que Le Jeu de l’amour et du hasard est
une comédie, mais avec un fond sérieux et critique sur la société du XVIIIe
siècle.
DÉVELOPPEMENT :
La première idée que je vais développer, qui s’appuie sur la thèse de NaugretteChristophe, est l’idée qui soutient que les personnages du Jeu de l’amour et du
hasard reçoivent une leçon sociale.
Le Jeu de l’amour et du hasard est certes une pièce qui traite surtout d’amour et
de sentiments.
Pourtant, le travestissement des valets et des maîtres conduit à
une inversion de la hiérarchie sociale, qui oblige à réfléchir à cet aspect de la
pièce et qui donne au « Jeu » une dimension sociale.
Le déguisement éclaire les
identités sociales d’un jour nouveau.
En se déguisant, les jeunes gens de la
comédie expérimentent un rôle social totalement nouveau et opposé à celui qu'ils
ont joué jusque-là.
Ainsi, Dorante et Silvia, à travers des situations parfois peu
agréables, éprouvent les contraintes et les humiliations de la condition
domestique.
Dorante, par exemple, est mis deux fois à la porte sans
ménagements par M.
Orgon et Mario (à la scène 10, acte 2 et à la scène 3, acte
3).
De leur côté, le valet Arlequin et la soubrette Lisette goûtent la liberté d'action
et de parole, et les pouvoirs liés à la condition des maîtres.
Ainsi, ils profitent de
leur costume, et de l'impunité qu'ils y voient associée symboliquement, pour
prendre une revanche sur leurs maîtres, et se jouer de l'ordre social.
Lisette n'est pas fâchée de mettre sa maîtresse en colère.
Arlequin se montre de
plus en plus insolent vis-à-vis de Dorante, notamment lorsqu’il lui répond (scène
4, acte 2) : « Non : maudite soit la valetaille qui ne saurait nous laisser en
repos ! » En le contrefaisant, en caricaturant son langage et ses tics, il met au
jour, sur le mode comique, ce qu’est un maître.
Si leur langage sert à caractériser rapidement les personnages, l'échange des rôles
sociaux amène les maîtres et les serviteurs à prononcer d'étranges paroles
équivoques, au regard de leur véritable condition.
Ainsi, Arlequin et Lisette,
déguisés en maîtres, utilisent les termes « nos gens », « soubrette », « valetaille
» dans des emplois péjoratifs, comme pour mieux affirmer leur nouveau pouvoir,
exprimer leur ressentiment.
Ces scènes de comédie, où les rapports entre les
personnages reposent sur des données truquées, permettent de faire entendre, de
la manière la plus crue, le langage que les maîtres tenaient vis-à-vis de leurs
domestiques.
La pièce révèle également qu'il est difficile de fuir son rôle social.
Chez
Arlequin, le valet persiste sous le costume du maître et chez Lisette, la suivante
persiste sous le costume de la maîtresse.
Silvia et Dorante sont loin d’oublier
complètement les normes de leur classe.
Silvia et Dorante, même en acceptant
de renoncer pour quelque temps seulement à leur costume et à leurs prérogatives
de maîtres, restent toujours, par leurs manières, leur langage, leur sensibilité, des
aristocrates.
C’est Mario, qui pour amuser son père et se divertir, se charge de
faire la remarque sur les façons de parler des deux maîtres déguisés (scène 5,
acte 1) : « (…) mais il me semble que ce nom de Mademoiselle qu’il te donne est
bien sérieux, entre gens comme vous (…) », ou encore, « Votre serviteur, ce n’est
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point encore là votre jargon, c’est ton serviteur qu’il faut dire.
» Dès lors, face
à une personne d’un rang social qu’ils croient inférieur, ils sont surpris, voire
irrités, d’être sensibles à ses charmes, d'en tomber amoureux.
L'obstacle « dramatique » est précisément dans la pièce le préjugé qui interdit à
un noble d’épouser une servante.
Et l’on comprend ce que la résolution finale de
ce dilemme décidée par Dorante au terme de la pièce coûte aux conventions et
aux règles de la société aristocratique.
En déclarant à Silvia (scène 8, acte 3) : «
Il n'est ni rang, ni naissance, ni fortune qui ne disparaisse devant une âme
comme la tienne.
», Dorante remplace une caractérisation sociale (le rang) par
une distinction morale (la qualité de l'âme).
Silvia s’étonne (scène 8, acte 3) : «
Quoi ! vous m'épouserez malgré ce que vous êtes, malgré la colère d'un père,
malgré votre fortune ? », et Dorante lui répond (scène 8, acte 3) : « Mon père me
pardonnera dès qu’il vous aura vue ; ma fortune nous suffit à tous deux, et le
mérite vaut bien la naissance.
Ne disputons point, car je ne changerai jamais.
»
Cette dernière réplique de Dorante, si on la compare à celle de l’acte 1 où il
prétendait devant Silvia ne vouloir épouser qu'une « fille de condition », c’est-àdire une aristocrate, montre l'évolution de ses sentiments.
Elle est révélatrice d'un
conflit entre sentiments et ordre social résolu au profit des maîtres.
On peut en effet relativiser cette leçon sociale, car la mise en relief de
l’opposition entre les classes sociales ne bouleverse pas pour autant l'ordre
social, et que tout semble au dénouement rentrer dans l‘ordre.
Chacun reprend
alors sa place, et il n'y a pas de mésalliance.
Les nobles finissent ensemble, et les
valets de leur côté, les serviteurs restent des serviteurs et les maîtres restent des
maîtres, les serviteurs acceptent de bonne grâce de rentrer dans le rang, de
remettre leur tablier.
Comme Arlequin le dit à Lisette avec un certain humour
(scène 9, acte 3) : « Avant notre connaissance, votre dot valait mieux que vous,
à présent, vous valez mieux que votre dot », et ce mot....
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