Dom juan acte 1 scène 2
Publié le 05/09/2018
Extrait du document
Le mot « objet » par exemple désigne la personne aimée en style galant. L’expression « se piquer de » au sens de : mettre un point d’honneur à posséder une qualité, appartient à un registre élevé de langue. Quant au rythme des phrases, il donne une impression d’harmonie qui traduit le détachement supérieur du libertin. Sa tirade est cadencée comme un poème avec de nombreux octosyllabes : « Quoi ! tu veux qu’on se lie à demeurer / au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, / et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose devouloir se piquer / d’un faux honneur d’être fidèle / de s’ensevelir pour toujours dans une passion, / et d’être mort dès sa jeunesse / à toutes les autre beautés / qui nous peuvent frapper les yeux » (l. 125-130).
Ce rythme régulier agit comme une indication qui endort la conscience critique.
Dom Juan sait aussi frapper l’esprit et l’imagination. Il aime les comparaisons, qui donnent à sa pensée une plus grande force de conviction. Ce texte comprend deux réseaux d’images. Nous avons déjà vu le premier qui assimile l’amour à la guerre .Le second est plus subtil. Il utilise le langage juridique pour légitimer l’inconstance du protagoniste « engagé », « faire injustice », « mérite », « tributs où la nature nous oblige ». En rupture avec la conception habituelle des mœurs Dom Juan se crée un nouveau droit. Il se réclame pour cela de la « nature » qui lui semble une puissance plus souveraine que celle des lois sociales. Pour les libertins, la « nature » est ce qui dans l’homme, est la manifestation la plus authentique de la force et de l’ordre qui animent l’univers, par opposition à tout ce qui vient de l’éducation, de la coutume de la raison et de la religion.
L’autre façon de frapper l’imagination est l’emploi d’hyperboles (expressions qui outrent la pensée pour la rendre plusfrappante]. S’attacher durablement à une femme devient dans la bouche de Don Juan « s’ensevelir pour toujours dans une passion » et « être mort dès sa jeunesse » (l.129). Un cœur ne lui suffit pas, il en voudrait « dix mille ». De même, il ne saurait se contenter de l’amour de quelques femmes, il se sent « un cœur à aimer toute la terre » (l.162) ; bien plus, il est prêt à faire la conquête amoureuse « d’autres mondes » (l.163). Ces hyperboles manifestent la mégalomanie et le fol orgueil du personnage.
Don Juan enfin sait communiquer par les mots son énergie et sa joie de vivre. Sa phrase est tonique. Il attaque vivement sa tirade par des exclamations et des interrogations : « Quoi ! tu veux qu’on se lie […] ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle […] ». Homme d’action, sa volonté et son allégresse s’expriment par l’abondance des verbes : « On goûte une douceur extrême à réduire par cent hommes le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement oùnous avons envie de la faire venir » (l.145-152). Il est difficile après cela de ne pas être séduit par son brio, même si sur le fond, on le désapprouve. Le spectateur se trouve dans la position de Sganarelle qui, un instant fasciné, en sait comment réagir avant de condamner l’attitude odieuse de son maître à l’égard d’Elvire : « je ne sais que dire ; car vous tournez les choses d’une manière qu’il semble que vous avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l’avez pas ».
Conclusion :
Profession de foi libertine, portrait d’un immoraliste, morceau de bravoure, ce texte apporte un éclairage essentiel pour la suite de l’intrigue. Le héros y apparaît comme un « grand seigneur méchant homme » qui revendique fièrement sa liberté et fait de l’amour un art de vivre et le moyen d’asseoir sur les autres une domination. C’est aussi un homme révolté. Il dénonce les contraintes asphyxiantes de la fidélité, la résignation paresseuse de ceux qui, par peur, renoncent à réaliser leurs désirs. Il plaide pour une vie dynamique, régénérée sans cesse par le changement. Comme Sganarelle, le spectateur est fasciné par ce personnage hors du commun qui se dépense avec démesure. Il est choqué par son orgueil et son égoïsme, mais il est séduit par son impertinence, sa prestance et son cran.
«
beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des
soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à
pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur »
(l.145-151).
L’amour est pour le libertin une façon d’assouvir un besoin de puissance et de domination.
Rappelons que l’aristocratie a perdu après la fronde, complot manqué de la noblesse contre l’Etat, une partie de
ses prérogatives habituelles en matière de guerre et de diplomatie.
Louis XIV, pour domestiquer les grands
seigneurs naturellement rebelles à la monarchie absolue, les a transformés en courtisans inoffensifs dans la prison
dorée de versailles.
La littérature et la galanterie devinrent alors des compensations grâce auxquelles ils pouvaient
en partie assouvir leur volonté de puissance.
Un portrait de libertin :
Cette profession de foi sur l’amour nous permet aussi de nous faire une idée plus précise de la personnalité du
libertin.
Ce qui frappe d’abord, c’est sa revendication d’une liberté absolue.
L’inconstance suppose en effet une
disponibilité complète et le refus de s’attacher : « je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable, et
dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous » (l.140-143).
Don Juan ne
supporte pas l’idée d’être lié définitivement à une femme.
C’est pourquoi sa frénésie amoureuse
est aussi une fuite et une peur de la dépendance.
D’une façon provocante, il remet en cause les règles morales
traditionnelles et notamment le mariage qui concerne socialement l’amour : « Quoi ! tu veux qu’on se lie à
demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour
personne ? » (l.125-127).
En disant cela, il pense à sa femme Elvire qu’il vient de quitter et à qui il va devoir rendre
des comptes.
Mais ce désir de liberté totale a pour conséquence une instabilité et une insatiabilité sans répit.
Don
Juan ne peut demeurer en repos.
Sa vie est une perpétuelle fuite en avant.
Il lui faut agir sans arrêt sous peine de
tomber dans l’ennui : « j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en
victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits » (l.158-160).
Le libertin est donc au moins esclave de
son désir sensuel.
Il le justifie par la très haute idée qu’il a de lui -même.
Don Juan est en effet plein d’orgueil.
Ceux qui choisissent la tranquillité bourgeoise de la fidélité, les amours
molles et souvent médiocres du mariage, s’attirent son mépris : « Non, non, la constance n’est bonne que pour les
ridicules » (l.131).
Il a besoin quant à lui du risque et du danger de la passion
amoureuse, qui le met au ban de la société.
Il devra par exemple affronter les frères d’Elvire qui voudront venger le
déshonneur de leur sœur.
Cette situation lui plaît.
Il considère qu’il est le plus fort et que rien ne peut entraver son
appétit de domination : « Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs » (l.161).
Cet orgueil l’entraîne
à la mégalomanie.
Il se compare à Alexandre, le célèbre conquérant antique, qui était au XVIIe siècle, chez les
moralistes et les prédicateurs, le symbole de la démesure.
L’amour n’est donc pas pour lui une fin, mais un moyen
de s’affirmer.
Il le considère en esthète, c’est-à-dire en attachant plus d’importance à sa façon d’aimer qu’aux gens qu’il aime.
L’amour est un art, indépendant de ceux qui le pratiquent.
Les femmes sont pour le libertin des jouets dont il se
lasse aussi vite qu’il s’est épris d’elles.
Plus que des individus, il a le culte de la beauté : « la beauté me ravit
partout où je la trouve » (l.135).
En esthète raffiné, il sait jouir du plaisir de la contemplation, comme en témoignent
les nombreuses références au regard : «tu veux […] qu’on ait d’yeux pour personne » (l.125-127), « les autres
beautés qui nous peuvent frapper les yeux » (l.130), « je conserve des yeux pour voir » (l.138), « tout ce que je
vois
d’aimable » (l.141).
Quand il séduit une femme, Don Juan attache, par ailleurs, un grand soin à chacune des
opérations qui le conduisent à la victoire finale.
Manipulateur subtil et maître absolu des apparences, Don Juan a comme arme favorite l’hypocrisie.
L’amour est
pour lui une comédie dont il connaît tous les mécanismes.
Il sait habilement flatter la proie qu’il approche, en lui
rendant « cent hommages » (l.145).
Il sait utiliser la pitié grâce au pouvoir « des transports » [= au XVIIe siècle,
émotion vive et passionnée qui emporte celui qui l’éprouve], « des larmes et des soupirs » (l.148).
Son plaisir est
accru par sa conscience de faire mal.
Il aime corrompre les jeunes femmes naïves et salir « l’innocente pudeur
d’une âme qui a peine à rendre les armes ».
Avec sadisme, il se délecte des tourments qu’il inflige à la femme qu’il
dévoie, en venant à bout des « scrupules dont elle se fait honneur » (l.150).
Hypocrite, corruption, cruauté, tels
sont les piments dont le libertin a besoin pour aimer.
Sans aucun respect de la personne humaine, il fait de l’amour
une occasion d’améliorer son style et d’affirmer sa maîtrise.
Le sentiment joue pour lui un rôle moins important que
la volonté.
Son plaisir suprême est de voir les faits coïncider avec son désir et le résultat confirmer son.
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