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ÉCOLES LITTÉRAIRES (Histoire de la littérature)

Publié le 06/12/2018

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ÉCOLES LITTÉRAIRES. L’ancienne histoire littéraire juxtaposait des biographies et des analyses appréciatives d’œuvres; la nouvelle, au XIXe siècle, comme pour réagir contre l’individualisme ambiant, et pour accompagner la démarche scientifique qui classe et généralise, utilise de plus en plus les concepts d’école, de cercle, de mouvement, mais sans théoriser, parallèlement, une statique et une dynamique des groupes qui s’esquissent avec Auguste Comte et s’épanouissent avec Durkheim et la psychosociologie d’aujourd’hui. De là, beaucoup de confusions entre les simples agrégats et les organismes réellement fonctionnels; entre les groupes naturels, résultats de l’ordre des choses, et les associations actives, volontaires; entre les nécessités logiques de la pensée et du langage, qui excluent la pure singularité, et l’évidence des données empiriques, qui ne livrent que des individus.

 

Les communautés fondamentales

 

Les êtres vivants, selon leurs aptitudes et leurs besoins, se répartissent dans des « niches écologiques », où ils trouvent, en des associations superposées et complexes, des conditions de subsistance optimales. Les hommes, « animaux politiques », ajoutent à ces nécessités biologiques des exigences sociales : au sein même d’ensembles naturels (régions, vallées, îles...), ils se regroupent en nations, villes, villages, métiers, confréries, partis... Les écrivains n’échappent pas à ces fragmentations et à ces agglomérations : ils appartiennent à des communautés religieuses (et s’enrégimentent quand un conflit met aux prises les croyances, comme au XVIe siècle), linguistiques (la romanité, la francophonie...), politiques (États, provinces...), spatiales (terroirs, cités...), temporelles (siècles, générations...).

 

Ces ensembles s’emboîtent ou se recoupent (un « écrivain du monde » peut être, en même temps, européen, français, breton, chrétien, jeune...) : dès qu’ils se pensent comme des solidarités, des engagements qui commandent l’orientation des œuvres, ils deviennent, dans le sens le plus large, des groupes, qui choisissent de privilégier et d’assumer certains traits de leur situation. Le lieu induit souvent une fonction qui développe le sentiment d’une communauté : chez les émigrés huguenots en Hollande, au xviiie siècle, qui jouent un rôle essentiel dans la librairie et la diffusion des idées philosophiques; chez les Suisses ou les Alsaciens, intermédiaires entre les cultures française et germanique (on sait l’importance du groupe de Coppet, rassemblé par Mme de Staël, pour la diffusion du romantisme allemand [voir Coppet (le groupe de)]); chez les Lyonnais du xvie siècle, comme Maurice Scève, qui introduisent en France la littérature italienne. Parallèlement, l’appartenance à une époque peut se revendiquer comme le choix d’une esthétique nouvelle : en 1830, la «jeune littérature », pratiquée par des écrivains qui n’ont pas atteint la trentième année, s’oppose au classicisme de la plupart des auteurs plus âgés (les « vieilles perruques »).

Les autorités politiques se soucient d’organiser et de canaliser à leur profit ces nécessaires regroupements : le mécénat offre aux artistes une existence agréable et insouciante, une société attentive, en échange d’une harmonisation de leur manière et de leurs thèmes autour de la personne et de la stratégie du prince. Des institutions tissent des liens, par âges ou affinités : collèges, universités, bibliothèques, théâtres, imprimeries... Des groupes plus formels, aux règles codifiées, aux buts explicites, se forment ou sont fondés par l’État, destinés à favoriser et à encadrer la vie culturelle, à promouvoir les sciences, à fixer le langage [voir Académies de province]. L’Académie française, en 1634, représente l’organisation et l’officialisation, par le cardinal de Richelieu, d’une réunion de jeunes gens lettrés (Chapelain, Godeau, Malleville...) chez le secrétaire du roi, Valentin Conrart : la nouvelle assemblée devra rendre la langue « pure, éloquente, et capable de traiter les sciences et les arts » (et, cela va sans dire, ordonner les lettres à la gloire du pouvoir absolu) [voir Académie française]. A son exemple naissent successivement les Académies royales de peinture et de sculpture, de danse, des inscriptions et médailles, des sciences, de musique, d’architecture (sans compter les académies provinciales et étrangères) : toute la création artistique se trouve quadrillée, répertoriée, réglementée.

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« risées par l'adhésion active et constructive des écrivains à des doctrines déterminées) ou de mouvements qui entendent bouleverser des positions acquises sur le champ littéraire.

Généralement, les deux aspects coexis­ tent : tissu de liens affectifs, ressenti comme une fin désirable en soi, Je groupe est agressif à l'égard des «étrangers}} ; il est à la fois « synonirisme }}, commu­ nauté de rêveries heureuses, et synergie, convergence des volontés en un faisceau efficace, apte à briser un ordre jugé caduc.

Émile Zola, dans l'Œuvre (1886), évo­ que bien cette ambivalence : le peintre Claude, l'écrivain Sandoz, l'architecte Dubuche «s'étaient liés d'un coup et à jamais, entraînés par des affinités secrètes, le tour­ ment encore vague d'une ambition commune, J'éveil d'une intelligence supérieure, au milieu de la cohue bru­ tale des abominables cancres qui les battaient >>; ils se retrouvent régulièrement, pour se reposer un instant des fatigues de leur combat « réaliste >> contre J'académisme ou la frivolité conventionnelle.

Dans le Désert de Bièvres (1936), Georges Duhamel a fait revivre la fraternité d'ar­ tistes qui s'était regroupée, en 1906, à l'abbaye de Cré­ teil, pour échapper au déterminisme social et pour recon­ quérir Je monde à une généreuse unanimité [voir ABBAYE] : utopie d'une mutation en chaîne de la société, à partir du dynamisme ardent d'un noyau d'amis ou de copains, qui hante aussi toute J'œuvre de Jules Romains.

L'activité au service d'idées communes implique vite une organisation hiérarchique : la reconnaissance d'un chef ou d'un guide, modèle auquel on s'identifie, idéal vivant, figure d'un père spirituel qui commande J'obéis­ sance ou la vénération (ainsi Hugo, pour les >; Aragon, pour les écrivains communistes des années 50).

Le groupe tend à devenir troupe, avec une tactique (conquête des revues, des théâtres, du «pouvoir culturel }} en général) et une stratégie à plus long terme : Je triomphe de la doctrine, qui entraîne une mutation esthétique, voire sociale ou politique.

Les encyclopédis­ tes, autour de Diderot et de d'Alembert, mènent, au nom du progrès et de la raison, une bataille contre Je pouvoir monarchique et J'Église; ils constituent le bataillon avancé de l'armée des «philosophes>>, adeptes d'une pensée libre, engagés dans une guerre frontale ou souter­ raine, avec ses coups publicitaires et ses manœuvres sou­ terraines (libelles, pamphlets, manuscrits virulents).

La Révolution française consacrera le triomphe des princi­ pes philosophiques : le mouvement aura mis à bas un édifice social multiséculaire qui semblait indestructible [voir ENCYCLOPÉDtE (1'), PHILOSOPHES).

S'il réussit: dans la promotion d'une doctrine, Je groupe ne survit guère à ce succès, et il se dissout dans une communauté plus large qui accepte de reconnaître des normes jusque-là déviantes.

S'il échoue, il peut s'ex­ ténuer en cercle ésotérique, sans audience, prisonnier d'un idiolecte incompréhensible au public, replié sur la fidélité à un dogme.

Mais ni les turbulences du combat ni les calmes de la marginalité ne garantissent la stabi­ lité : tout groupe développe un système de conduites et de contraintes collectives, qui va des idées aux vête­ ments, des théories aux particularités de l'expression.

Ce champ psychologique commun, d'abord ressenti comme un havre, lieu d'apaisement et d'épanouissement, devient bientôt pesant à 1' originalité de chacun; le joug du« père spirituel >> est moins accepté; les tensions J'em­ portent sur la cohésion, l'école se disperse.

Les membres du cénacle romantique, après 1830, les surréalistes, après 1930 [voir SURRÉALISME], suivent chacun des routes opposées et donnent libre cours à des génies que les nécessités de la lutte accordèrent un temps.

Un tempéra­ ment fort ne supporte guère sans frustrations 1' esprit de chapelle, avec sa scolastique, ses slogans simplistes, ses exclusives; il reconquiert vite son indépendance ou s'as­ socie à de nouveaux compagnons (comme les surréalistes passés au communisme); les autres s'enferment dans des provocations puériles ou folkloriques, dans la répétition des formules du maître, dans un dessèchement aigri : c'est le cas de tous les que sèment sur leur route Je romantisme, le Parnasse, Je symbolisme.

L'école devient une secte coupée du réel, et Je mouvement ne débouche que sur une impasse.

Un concept problématique Groupes, écoles, mouvements peuvent être des réali­ tés attestées par des documents (correspondances entre les écrivains, revues, témoignages des contemporains ...

); mais toute grande œuvre est individuelle, et J'écriture est un acte solitaire.

On en vient alors à se demander si l'envahissement de l'histoire littéraire par les concepts qui dénotent les collectivités ne fausse pas notre sensibi­ lité à l'originalité et à la novation en soulignant Je genre prochain au détriment de la différence spécifique, les conformismes plutôt que les fécondes déviations.

Dans une conférence sur «l'Histoire littéraire et la sociolo­ gie >>, dès 1904, Gustave Lanson voit Je danger de 1' intro­ duction abusive de notions telles que l' de Spencer ou la solidarité de Durkheim et tente de finaliser les innovations méthodologiques : «L'étude générale des mouvements littéraires est un moyen d'arriver à un discernement plus fin des caractères individuels ».

Ainsi la connaissance des doctrines et des lieux communs par­ nassiens permettra de gofiter la singularité des Poèmes saturniens de Verlaine; Je groupe de la Nouvelle Revue française ne constituera pas une entrave polllr saisir ce qui sépare Gide de Claudel ou de Giraudoux [voir Nou­ VELLE REVUE FRANÇAISE).

Un tel équilibre entre Je général et Je particulier sem­ ble plus difficile à atteindre quand J'historien lui-même, pour mettre de 1' ordre et tracer des avenues dans Je chaos des faits singuliers, regroupe les individualités selon des critères dont il est seul juge.

Ampère écrit en 1834 qu'il faut classer les produits littéraires >.

Mais, subrepticement, par l'intermé­ diaire de ce concept de «famille d'esprits>>, on passe de données historiques (les écrivains de Port-Royal, Je groupe littéraire de Chateaubriand), donc d'un emploi encore réaliste, référentiel, du concept de groupe, à des regroupements transhistoriques, à des découpages qui tiennent à J'outillage mental du critique, et non à la conscience des écrivains qu'il classe- donc à un emploi nominaliste, non référentiel, du concept, pour souligner des traits esthétiques, idéologiques, ou des finalités communes.

Méthodologiquement, le courant, l'école, Je mouve­ ment apparaissent comme analogues aux taxinomies en botanique : un moyen d'organiser, de structur,er, et, par­ fois, de postuler des filiations.

Dans la plupart des manuels, par exemple, le xvu• siècle s'ordonne autour du classicisme : Malherbe Je prépare, Descartes lui confère son armature philosophique, la génération de 1660 1' épa­ nouit, celle de 1680 en annonce Je déclin (avec la séche­ resse de La Bruyère ou Je maniérisme de Fénelon); dans J'ensemble des classiques, les sous-ensembles des pré­ classiques, des , des postclassiques.

Pour orga­ niser le sous-ensemble central, on ira jusqu'à imaginer un groupe des. »

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