EL Camus Noces a Tipasa
Publié le 31/05/2023
Extrait du document
«
Camus, Noces a Tipasa
Sur le rivage, c'est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma
pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes
bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet
blond et la poussière de sel.
Je comprends ici ce qu'on appelle gloire: le droit d'aimer sans mesure.
Il n'y a qu'un
seul amour dans ce monde.
Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre
soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer.
Tout à l'heure, quand je me
jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai
conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et
sera aussi celle de ma mort.
Dans un sens, c'est bien ma vie que je joue ici, une vie à
goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à
chanter maintenant.
La brise est fraîche et le ciel bleu.
J'aime cette vie avec abandon
et veux en parler avec liberté: elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme.
Pourtant, on me l'a souvent dit : il n'y a pas de quoi être fier.
Si, il y a de quoi: ce
soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et
l'immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu.
C'est à conquérir cela qu'il me faut appliquer ma force et mes ressources.
Tout ici me
laisse intact, je n'abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque: il me
suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur
savoir vivre.
Albert Camus a passé son enfance et son adolescence en Algérie.
Entre 1935 et 1936,
il se rend fréquemment à Tipasa, un village littoral à l’Ouest d’Alger avec en contrebas
des ruines romaines.
Dans Noces, recueil composé de quatre textes autobiographiques,
publié en 1938, il exprime son enthousiasme pour ce lieu magique qui lui fait ressentir
un amour profond pour le monde.
Dans cet extrait des Noces à Tipasa, premier des
quatre textes, le narrateur, Albert Camus, vient de prendre un bain de mer qui provoque
en lui un bonheur sensuel et une fierté pour sa condition d’homme.
Comment Albert Camus exprime-t- il une ode sensuelle à l’existence dans ce
récit autobiographique ?
I.
Sensualité et osmose entre les éléments
II.
Une approche plus analytique menant à une prise de conscience
III.
Eloge à l’endroit
PREMIER
MOUVEMENT:
Sensualité et
osmose entre
les éléments
Sur le rivage, c'est la chute
dans le sable, abandonné
au monde, rentré dans ma
pesanteur de chair et d'os,
abruti de soleil, avec, de
Le narrateur fait sentir le bien-être sensuel
éprouvé après un bain de mer.
Il vient juste de se baigner et laisse tomber
son corps dans le sable.
Dans ce paragraphe
liminaire, le cadre spatio-temporel
méditerranéen est clairement posé avec un
loin en loin, un regard
pour mes bras où les
flaques de peau sèche
découvrent, avec le
glissement de l'eau, le
duvet blond et la poussière
de sel.
lexique caractéristique de ce lieu : « rivage »,
« sable », « soleil », «eau », « poussière de
sel ».
Le narrateur souligne la complétude de ce
monde en convoquant ici les éléments
naturels : eau, terre (« le sable », « rentré
dans ma pesanteur »), feu (représenté
symboliquement par le soleil).
En effet, cette perception du cosmos est
très sensuelle, puisque le narrateur se définit
avant tout par son corps qu’il commence par
caractériser par une périphrase (« ma
pesanteur de chair et d’os »), puis par des
parties de plus en plus petites:« mes bras» «
le duvet blond ».
Le sens du toucher domine
avec l’évocation de la sensation de pesanteur
éprouvée après la légèreté du corps flottant
dans l’eau de mer, sens également sollicité
par la mention du « glissement de l’eau » sur
la peau.
Le narrateur se laisse tomber dans le sable
après son bain et emploie le substantif
«chute» qui a normalement une connotation
négative: « c’est la chute dans le sable ».
Or
dans ce texte le substantif est valorisé car
synonyme d’une adhésion sensuelle au
monde préférable à une élévation spirituelle
détachée de la réalité.
Camus met en effet en évidence la
disparition de son statut d’être pensant et
actif en utilisant des modalités passives
«abandonné», «rentré», et lorsqu’il se
qualifie comme «abruti de soleil»; ce
complément circonstanciel n'a pas ici une
connotation péjorative mais insiste plutôt sur
une impression de torpeur,
d'engourdissement intellectuel du narrateur
qui se laisse gagner par un retour à l’état brut
des sensations naturelles.
Le complément circonstanciel de manière «
avec, de loin en loin » révèle aussi une
attitude relâchée et détendue.
Le narrateur
présente ainsi ce moment comme un abandon
total au monde, constituant une ouverture qui
lui permet de percevoir tous les stimuli
offerts par son environnement.
Cette longue première phrase descriptive au
présent dévoile donc un état de bien-être
fusionnel, instinctif en ce qu'il rejette la
convocation de la pensée, ressenti après un
bain de mer.
DEUXIEME
MOUVEMENT :
Reflexions sur
sa vie/ Etat
d’ame sur son
existence dans
ce lieu
Je comprends ici ce qu'on
appelle gloire: le droit
d'aimer sans mesure.
Il n'y
a qu'un seul amour dans
ce monde.
Étreindre un
corps de femme, c'est aussi
retenir contre soi cette joie
étrange qui descend du
ciel vers la mer.
Tout à
l'heure, quand je me
jetterai dans les absinthes
pour me faire entrer leur
parfum dans le corps,
j'aurai conscience, contre
tous les préjugés,
d'accomplir une vérité qui
est celle du soleil et sera
aussi celle de ma mort.
Dans un sens, c'est bien
ma vie que je joue ici, une
vie à goût de pierre
chaude, pleine de soupirs
de la mer et des cigales qui
commencent à chanter
maintenant.
La brise est
fraîche et le ciel bleu.
J'aime cette vie avec
abandon et veux en parler
avec liberté: elle me donne
l'orgueil de ma condition
d'homme.
Fusion de règnes.
Ordre 3-4-5 avec les elements, les sens et les
règnes
Après l’évocation de son abandon fusionnel
et total au monde, le narrateur propose une
approche plus réflexive de son expérience
sensuelle.
Les propositions : « Je comprends », «
j’aurai conscience » et le CCM « dans un
sens » révèlent cette prise de conscience.
L’emploi, dans ce mouvement, de l’indicatif
présent ou futur, mode de la certitude,
conforte l’expression de ce qui apparaît
comme une vérité: c’est bien l'ancrage en ce
moment et ce lieu, souligné par l’emploi des
déictiques « ici » et « main-tenant», qui fait
prendre conscience au narrateur de sa valeur
et de son bonheur de vivre.
Cet endroit particulier devient en quelque
sorte une allégorie de la gloire, une
représentation concrète du sentiment
d’amour pour le monde qui envahit le
narrateur, qui précise ainsi sa définition avec
le lexique de l’amour et l' hyperbole : « ce
qu’on appelle la gloire : le droit d’aimer sans
mesure ».
Le narrateur exprime les noces avec son
environnement.
Il établit une analogie entre
l’amour charnel qui lie l’homme à la femme
(« étreindre un corps de femme....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Albert Camus, Noces à Tipasa
- NOCES de Camus.
- NOCES d'Albert Camus
- NOCES. Recueil d'essais d'Albert Camus (résume et analyse complète)
- Noces de Albert Camus (Résumé & Analyse)