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Electre (Acte I, scène 11) - Giraudoux

Publié le 17/01/2022

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1 CLYTEMNESTRE : Ainsi c'est toi, Oreste ?

ORESTE : Oui, mère, c'est moi.

CLYTEMNESTRE : C'est doux, à vingt ans, de voir une mère ?

ORESTE : Une mère qui vous a chassé, triste et doux.

5 CLYTEMNESTRE : Tu la regardes de bien loin.

ORESTE : Elle est ce que j'imaginais.

CLYTEMNESTRE : Mon fils aussi. Beau. Souverain. Et pourtant je m'approche. ORESTE : Moi non. À distance, c'est une splendide mère.

CLYTEMNESTRE : Qui te dit que de près sa splendeur subsiste ?

10 ORESTE : Ou sa maternité ?... C'est bien pour cela que je reste immobile. CLYTEMNESTRE : Un mirage de mère, cela te suffit ?

ORESTE : J'ai eu tellement moins jusqu'à ce jour. À ce mirage du moins je peux dire ce que je ne dirai jamais à ma vraie mère.

CLYTEMNESTRE : Si le mirage le mérite, c'est déjà cela. Que lui dis-tu ? 15 ORESTE : Tout ce que je ne te dirai jamais. Tout ce qui, dit à toi, serait mensonge.

CLYTEMNESTRE : Que tu l'aimes ?

ORESTE : Oui.

CLYTEMNESTRE : Que tu la respectes ?

20 ORESTE : Oui.

CLYTEMNESTRE : Que tu l'admires ?

ORESTE : Sur ce point seul mirage et mère peuvent partager.

CLYTEMNESTRE : Pour moi, c'est le contraire. Je n'aime pas le mirage de mon fils. Mais que mon fils soit lui-même devant moi, qu'il parle, 25 qu'il respire, je perds mes forces.

ORESTE : Songe à lui nuire, tu les retrouveras.

CLYTEMNESTRE : Pourquoi es-tu si dur ? Tu n'as pas l'air cruel, pourtant. Ta voix est douce.

ORESTE : Oui. Je ressemble point par point au fils que j'aurais pu être.

30 Toi aussi d'ailleurs ! À quelle mère admirable tu ressembles en ce moment ! Si je n'étais pas ton fils, je m'y tromperais.

ÉLECTRE : Alors, pourquoi parlez-vous tous deux ? Que penses-tu gagner, mère, à cette ignoble coquetterie maternelle ! Puisque au milieu de la nuit, des haines, des menaces, s'est ouvert une minute ce guichet qui permet

35 à la mère et au fils de s'entrevoir tels qu'ils ne sont pas, profitez-en, et refermez-le. La minute est écoulée.

CLYTEMNESTRE : Pourquoi si vite ? Qui te dit qu'une minute d'amour maternel suffise à Oreste ?

ÉLECTRE : Tout me dit que toi tu n'as pas droit, dans ta vie, à plus d'une

40 minute d'amour filial. Tu l'as eue. Et comble... Quelle comédie joues-tu ? Va-t'en...

CLYTEMNESTRE : Très bien. Adieu.

Une petite Euménide, apparaissant derrière les colonnes : Adieu,

vérité de mon fils.

45 ORESTE : Adieu.

Une seconde petite Euménide : Adieu, mirage de ma mère.

ÉLECTRE : Vous pouvez vous dire au revoir. Vous vous reverrez.

Clytemnestre se trouve face au fils qu'elle a exilé, dix-sept ans plus tôt, alors qu'il n'était qu'un tout jeune enfant. Ce qui devrait et pourrait être une scène de retrouvailles va se transformer en une scène d'éloignement et de séparation où s'accomplit la fatalité. Au dialogue de la mère et du fils vient s'ajouter l'intervention d'Électre ainsi que celle des petites Euménides.

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« Une seconde petite Euménide : Adieu, mirage de ma mère. ÉLECTRE : Vous pouvez vous dire au revoir.

Vous vous reverrez. Clytemnestre se trouve face au fils qu'elle a exilé, dix-sept ans plus tôt, alors qu'il n'était qu'un tout jeuneenfant.

Ce qui devrait et pourrait être une scène de retrouvailles va se transformer en une scèned'éloignement et de séparation où s'accomplit la fatalité.

Au dialogue de la mère et du fils vient s'ajouterl'intervention d'Électre ainsi que celle des petites Euménides. I - UN « GUICHET» DRAMATIQUE Une pause dans le drame Scène où se retrouvent une mère et son fils, elle est un temps d'arrêt, une parenthèse dramatique.

Elle pourrait être un temps fort, un moment où s'expriment l'amour filial et l'amour maternel.

Mais ni les regrets, alla tendresse nepeuvent réellement être dits.

Les personnages ne sont pas seuls.

Électre veille et prévient tout glissement vers lepathétique.

Elle le rappelle bien lorsqu'elle définit la scène comme une pause où « s'est ouvert une minute ceguichet qui permet à la mère et au fils de s'entrevoir tels qu'ils ne sont pas ». Des retrouvailles aux adieux Le mouvement de la scène a ceci de particulier qu'il met en présence les personnages dans une situation deretrouvailles et de reconnaissance pour les faire aboutir aux adieux.

Le « guichet » auquel Électre fait allusioncorrespond à un espace et à un temps limités : une entrevue d'une minute.

Pourtant une véritable reconnaissanceréciproque pourrait avoir lieu.

L'intervention d'Électre coupe court à tout espoir. Électre, guichetière et geôlière On ne sait plus trop si l'héroïne joue ici le rôle de simple guichetière, de garde-chiourme ou de gardienne farouche dela vérité et de la justice.

Guichetière ou geôlière, elle a pour mission de refermer bien vite un « guichet » à peineentrouvert.

Elle veille sur la parole d'Oreste comme sur celle de Clytemnestre.

Elle la règle, tout comme elle mesurele temps.

Elle prend le visage inquiétant d'une puissance aliénante qui régit la parole tragique. II - LE MALENTENDU TRAGIQUE Un passé traumatisant Héros tragique, Oreste est marqué par son passé de fils abandonné, ce qu'il ne manque pas de rappeler (« Une mèrequi vous a chassé, triste et doux » ; « J'ai eu tellement moins jusqu'à ce jour »).

Le traumatisme de la petiteenfance a créé un éloignement mental et affectif.

La distance et la raideur d'Oreste correspondent d'ailleurs à uneimmobilité physique et psychique, à un gel du temps et de l'espace.

Dès lors, la mère ne peut qu'être imaginée ouvue à distance, comme le constate Clytemnestre (« Tu la regardes de bien loin »).

La figure pourtant bien réelle dela mère retrouvée n'est qu'une image virtuelle, « un mirage de mère ».

Irréel du présent ou irréel du passé finissentpar se confondre dans le même refus ou la même impuissance. L'espoir d'une conciliation Une conciliation, voire une réconciliation, semblent cependant possibles entre mère et fils abandonné.

À la distanceparaît pouvoir succéder le rapprochement.

Bien sûr, cette convergence et cet accord ne peuvent guère se réaliserque sur le terrain fragile du mirage.

Mais le triple aveu d'amour, de respect et d'admiration que fait Oreste aboutit à une concession significative : « Sur ce point seul mirage et mère peuvent partager.

» La tentation de la réconciliation est suffisamment forte pour que « je ressemble » et « tu ressembles » apparaissent comme des indices alarmants aux yeux d'Électre. Consommer la parole tragique La dénonciation de ce que la jeune fille qualifie d'« ignoble coquetterie maternelle » est moins celle de l'illusionreprésentée par le mirage de fils ou le mirage de mère que le mensonge qu'ils entretiennent.

L'accusation tombe,impitoyable : « Quelle comédie joues-tu ! » Lorsque les Petites Euménides interviennent, c'est pour consommer le malentendu tragique dans une paroledramatique qui est l'écho parodique des propos tenus par la mère et le fils.

Mais cette fois, c'est un éloignement définitif qui est prononcé.

À la vérité du fils dit adieu le mirage de la mère (« Adieu, vérité de mon fils », « Adieu, mirage de ma mère »). Ce qui s'accomplit à travers la parole d'Électre ou celle des Petites Euménides, c'est la fatalité toute-puissante qui transforme les retrouvailles en adieu et la reconnaissance en malentendu. III - MÈRE ET FILS : UN RAPPORT FAUSSÉ Un curieux rapport de forces. »

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