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Electre (Acte II, scène 10) - Giraudoux

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

 

UN SERVITEUR: Fuyez, vous autres, le palais brûle !
PREMIÈRE EUMÉNIDE : C'est la lueur qui manquait à Électre. Avec le jour et la vérité, l'incendie lui en fait trois.
DEUXIÈME EUMÉNIDE : Te voilà satisfaite, Électre ! La ville meurt !
ÉLECTRE : Me voilà satisfaite. Depuis une minute, je sais qu'elle renaîtra. TROISIÈME EUMÉNIDE : Ils renaîtront aussi, ceux qui s'égorgent dans les rues ? Les Corinthiens ont donné l'assaut, et massacrent.
ÉLECTRE : S'ils sont innocents, ils renaîtront.
PREMIÈRE EUMÉNIDE : Voilà Où t'a menée l'orgueil, Électre ! Tu n'es plus 10 rien ! Tu n'as plus rien !
ÉLECTRE : J'ai ma conscience, j'ai Oreste, j'ai la justice, j'ai tout.
DEUXIÈME EUMENIDE : Ta conscience ! Tu vas l'écouter, ta conscience, dans les petits matins qui se préparent. Sept ans tu n'as pu dormir à cause d'un
crime que d'autres avaient commis. Désormais, c'est toi la coupable.
15 ÉLECTRE : J'ai Oreste. J'ai la justice. J'ai tout.
TROISIÈME EUMÉNIDE : Oreste ! Plus jamais tu ne reverras Oreste. Nous te quittons pour le cerner. Nous prenons ton âge et ta forme pour le poursuivre. Adieu. Nous ne le lâcherons plus, jusqu'à ce qu'il délire et se tue, maudissant sa soeur.
ÉLECTRE : J'ai la justice. J'ai Ion
LA FEMME NARSÈS : Que disent-elles ? Elles sont méchantes ! Où en sommes nous, ma pauvre Électre, où en sommes-nous !
ÉLECTRE : Où nous en sommes ?
LA FEMME NARSÈS : Oui, explique ! Je ne saisis jamais bien vite. Je sens évidemment qu'il se passe quelque chose mais je me rends mal compte. Comment cela s'appelle-t-il quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
ÉLECTRE : Demande au mendiant. Il le sait.
LE MENDIANT: Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'aurore.

 

La vengeance d'Électre s'est accomplie. Oreste a tué les assassins de son père ; la ville a été assaillie ; le palais brûle ; c'est le pillage et le massacre. Cramponnée à son absolu de justice, Électre est condamnée par les Euménides qui la maudissent et lui annoncent qu'elles vont poursuivre Oreste. C'est dans ce contexte de désolation que se lève le jour sur Argos. Passant du cataclysme à l'aurore, le dénouement est à la fois le lieu où s'exprime la conscience aliénée d'Électre et celui d'une polyphonie tragique.

 

« répète la même structure syntaxique (« j'ai ») et donne ainsi à l'ensemble de ses répliques le ton péremptoire d'unevérité indiscutable. Obnubilation et aliénation L'emploi des mêmes formules basiques (« Me voilà » — « je sais » — « j'ai ») donne un caractère obsédant aux répliques d'Électre, comme si elle était cramponnée à une idée fixe.

Cette crispation de la conscience aboutit d'ailleurs à la formule qui ne retient que deux termes considérés comme un absolu irréductible (« J'ai la justice.

J'ai tout »).

La conscience obnubilée est de la sorte aliénée, rivée à cette idée de justice quidevient l'idéal d'une totalité indéfinie (« J'ai tout »).

Elle a oublié successivement le remords et le sentimentfraternel (elle renonce à « J'ai ma conscience » puis à « J'ai Oreste »).

En outre, elle oublie de prendre encompte le destin de la collectivité (Argos et ses habitants, les innocents massacrés) et n'a aucune consciencepolitique (au sens étymologique de ce qui concerne la cité) ou historique. III - LA POLYPHONIE TRAGIQUE Les voix du destin Ce sont celles des Euménides qui ont atteint l'âge et la taille d'Électre pour accomplir la vengeance (« Nousprenons ton âge et ta forme »).

Le destin s'exprime à travers chacune de leurs trois voix.

Elles traduisent lechaos (« Les Corinthiens ont donné l'assaut et massacrent »), dénoncent le crime et la culpabilité («Désormais, c'est toi la coupable »), condamnent Oreste à la folie et au suicide, Électre à la solitude et à lamalédiction fraternelle.

Elles accomplissent ainsi le rôle du destin implacable, propre à la tragédie. Les voix de l'humain Ce sont moins celles d'Électre dont le caractère inhumain est indéniable (les Euménides condamnent son orgueil,c'est-à-dire une des formes de Phybrie antique caractérisant les héros tragiques) 9ue celles de la Femme Narsès et du Mendiant.

La première vient au secours d'Électre et la rapproche d'une humanité moyenne qui s'apitoie (« mapauvre Électre ») et ne comprend pas (« Que disent-elles ? » — « Où en sommes-nous ? » — « Je ne saisis jamaisbien vite » — « Je sens (...) mais je me rends mal compte »).

La seconde traduit le destin d'Argos et l'idéal d'Électreen faisant passer la tragédie familiale des Atrides au niveau d'un destin collectif et le mythe au niveau de l'Histoire. Conclusion : Le dénouement d' Électre propose un face-à-face de l'héroïne avec son destin, mais aussi avec celui des hommes.

Giraudoux transcende ce destin individuel.

Il inscrit l'histoire d'Électre dans l'intemporel autant quedans l'actualité.

Reste à savoir si la leçon tragique est d'orientation optimiste ou pessimiste, l'ambiguïté voulue parGiraudoux excluant tout choix définitif.. »

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