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Électre (Acte II, scène 6) - Giraudoux

Publié le 17/01/2022

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LE PRÉSIDENT : Voilà ton ouvrage, Électre. Ce matin encore, elle m'embrassait !
 AGATHE: Je suis jolie et il est laid. Je suis jeune et il est vieux. J'ai de l'esprit
 et il est bête. J'ai une âme et il n'en a pas. Et c'est lui qui a tout. En tout cas, il m'a. Et c'est moi qui n'ai rien. En tout cas, je l'ai. Et jusqu'à ce matin, moi qui donnais tout, c'est moi qui devais paraître comblée. Pourquoi ?... Je lui cire ses chaussures. Pourquoi ?... Je lui brosse ses pellicules. Pourquoi ?... Je lui filtre son café. Pourquoi ? Alors que la vérité serait que je l'empoisonne, que je frotte son col de poix et de cendre. Les souliers encore, je connue prends. Je crachais sur eux. Je crachais sur toi. Mais c'est fini, c'est fini. Salut, ô vérité. Électre m'a donné son courage. C'est fait, c'est fait. J'aime autant mourir !
 LE MENDIANT : Elles chantent bien, les épouses.
 LE PRÉSIDENT: Qui est-ce ?
 ÉLECTRE : Écoute, mère ! Écoute-toi ! C'est toi qui parles !
 AGATHE: Qui est-ce ? Ils croient, tous ces maris, que ce n'est qu'une personne !
 LE PRÉSIDENT : Des amants ? Tu as des amants ?
 AGATHE : Ils croient que nous ne les trompons qu'avec des amants. Avec les amants aussi, sûrement... Nous vous trompons avec tout. Quand ma main glisse, au réveil, et machinalement tâte le bois du lit, c'est mon premier adultère. Employons-le, pour une fois, ton mot « adultère «. Que je l'ai caressé, ce bois, en te tournant le dos, durant mes insomnies ! C'est de l'olivier. Quel grain doux ! Quel nom charmant ! Quand j'entends le mot « olivier « dans la rue, j'en ai un sursaut. J'entends le nom de mon amant ! Et mon second adultère, c'est quand mes yeux s'ouvrent et voient le jour à travers la persienne. Et mon troisième, c'est quand mon pied touche l'eau du bain, c'est quand j'y plonge. Je te trompe avec mon doigt, avec mes yeux, avec la plante de mes pieds. Quand je te regarde, je te trompe. Quand je t'écoute, quand je feins de t'admirer à ton tribunal, je te trompe. Tue les oliviers, tue les pigeons, les enfants de cinq ans, fillettes et garçons, et l'eau, et la terre, et le feu ! Tue ce mendiant. Tu es trompé par eux.

Alors qu'Électre pressait sa mère de lui révéler le nom de son amant, le Président et sa jeune femme ont fait irruption. La scène s'apparente à un règlement de comptes conjugal. Agathe y proclame sa haine pour son mari. Elle y fait entendre la « chanson des épouses «, la vérité de l'adultère révélé, dans un ample mouvement de dénonciation, qui est autant révolte que revendication, affirmation d'une liberté retrouvée et d'une dignité reconquise.

 

« Agathe exprime avec force ce qui a été prise de conscience, refus, puis révolte.

Malgré les apparences, on estfort loin de l'habituel registre du vaudeville.

L'aveu libératoire est celui d'un contexte dramatisé (« Électre m'adonné son courage ») et bien proche de la tonalité tragique, avec la mort comme perpective si cette libérationéchoue (« J'aime autant mourir »).

Lorsque la jeune femme s'exclame « C'est fini, c'est fini », puis « C'est fait,c'est fait », elle révèle l'accomplissement d'une nouvelle vérité : le refus de la servitude et de l'iniquitéconjugales.

C'est bien à une nouvelle dignité d'épouse libérée qu'Agathe a accédé. II - L'ADULTÈRE, SYMPHONIE DE L'ÂME ET DU CORPS Une provocation originale L'aveu d'Agathe présente cette originalité d'être celui d'un adultère élargi.

Il ne concerne plus seulement unamant à l'identité bien définie, ce que croit d'abord le Président (« Qui est-ce ? »), ni même plusieurs amants,mais l'univers entier.

Pour provocant qu'il soit, l'aveu d'Agathe échappe à la trivialité de l'adultère banal duthéâtre de boulevard.

« Ils croient, tous ces maris, que ce n'est qu'une personne ! », s'exclame la jeunefemme.

Elle précisera : «ils croient que nous ne les trompons qu'avec des amants », avant de donner la clé : «Nous vous trompons avec tout.

» L'adultère d'Agathe prend les dimensions d'une symphonie accordée aumonde. L'accord au monde Cet accord au monde se décline d'abord selon une apparente hiérarchie (« mon premier adultère » — « monsecond adultère » — « mon troisième »).

Puis il s'élargit dans l'accumulation finale.

L'adultère est en fait uncontact de l'être avec différents éléments (le bois du lit d'olivier, le jour à travers la persienne, l'eau du bain).Ce contact est celui du corps, comme le rappelle Agathe (le doigt, les yeux, la plante des pieds).

Il s'accorde àla matière et aux objets, mais aussi aux animaux (les pigeons), aux enfants des deux sexes (« les enfants decinq ans, fillettes et garçons ») et jusqu'aux éléments qui composent l'univers (« et l'eau, et la terre, et le feu!»).

L'adultère est en fait l'idéal d'un accord universel. Un aveu sensualiste et poétique Cet accord est placé sous le signe de la sensualité et de la beauté.

Le « chant » d'Agathe est de naturesensualiste puisqu'il fait passer la connaissance par les sensations et qu'il l'exprime sous une forme poétisée.L'adultère n'est plus alors une infidélité plus ou moins vulgaire, mais une ouverture lyrique et poétique aumonde (on notera le jeu des exclamatives, la recherche d'un rythme, l'emploi des images et la fluidité dessonorités). III - LA RÉVÉLATION D'UNE AUTRE VÉRITÉ L'imposture conjugale Si le mot « adultère » peut signifier « altération de la vérité », il signifie dans le cas présent révélation d'uneimposture.

Et cette imposture n'est autre que celle de la vie conjugale.

Agathe la traduit comme une soumissioninjuste et injustifiée de l'épouse à son mari.

La dénonciation de l'imposture conjugale prend l'allure d'un couplet féministe D'ailleurs, au « je » singulier d'Agathe vont succéder le pluriel des épouses évoquées par leMendiant (« Elles chantent bien, les épouses »), puis celui des maris et des amants.

Le mensonge et l'imposturedénoncés par Agathe ont largement débordé du seul cadre privé. La catharsis du mensonge Révéler l'imposture conjugale, dénoncer l'hypocrisie d'une relation fausse et inique, c'est se permettre d'en dépasserle caractère insupportable.

C'est consommer l'impureté du mensonge pour accéder à une autre pureté.

Il y a doncpurgation et épuisement d'une situation fausse par l'aveu.

Ce qu'opère Agathe, c'est une sorte de catharsis*.

Direpubliquement obéit à une expression proprement théâtralisée devant des spectateurs privilégiés.

L'aveu de l'adultèren'est pas seulement provocation, expression du défi et de la révolte.

Il devient purification et transcendance, en se situant dans un autre registre (lyrique et poétique, en particulier). La « lampe d'Agathe » Enfin, l'aveu de l'adultère d'Agathe, qui est autant une revendication qu'une révélation, prépare à d'autres aveux, enparticulier à celui de Clytemnestre, dont il est la préfiguration.

Ainsi Électre pourra-t-elle parler plus tard de la «lampe d'Agathe » parce que cet aveu aura servi de catalyseur à Clytemnestre.

Dans la thématique de la lumière etde la vérité, cette « lampe » est une des premières à s'allumer.

Elle s'inscrit dans un enchaînement tragique où leséléments sont indissociablement liés.

Elle montre que la vérité peut éclairer le monde d'un jour insoupçonné. Conclusion : Malgré son aspect de scène secondaire, voire de scène de divertissement, la querelle de ménage qui dresse Agathe contre le Président n'est pas anecdotique.

Elle est essentielle pour la compréhension de la véritédramatique.

Elle est fondamentale pour l'appréciation et la mise au jour d'une vérité humaine élargie.. »

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