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Électre (Acte II, scène 8) - Giraudoux

Publié le 17/01/2022

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CLYTEMNESTRE : Oui, je le haïssais. Oui, tu vas savoir enfin ce qu'il était, ce père admirable I Oui, après vingt ans, je vais m'offrir la joie que s'est offerte Agathe !... Une femme est à tout le monde. Il y a tout juste au monde un homme auquel elle ne soit pas. Le seul homme auquel je n'étais pas, c'était le roi des rois, le père des pères, c'était lui ! Du jour où il est venu m'arracher à ma maison, avec sa barbe bouclée, de cette main dont il relevait toujours le petit doigt, je l'ai haï. Il le relevait pour boire, il le relevait pour conduire, le cheval s'emballât-il, et quand il tenait son sceptre, et quand il me tenait moi-même, je ne sentais sur mon dos que la pression de quatre doigts, j'en étais folle, et quand dans l'aube il livra à la mort ta soeur Iphigénie, horreur, je voyais aux deux mains le petit doigt se détacher sur le soleil ! Le roi des rois, quelle dérision ! Il était pompeux, indécis, niais. C'était le fat des fats, le crédule des crédules. Le roi des rois n'a jamais été que ce petit doigt et cette barbe que rien ne rendait lisse. Inutile, l'eau du bain, sous quelle je plongeais sa tête, inutile la nuit de faux amour, où je la tirais et l'emmêlais, inutile cet orage de Delphes sous lequel les cheveux des danseuses n'étaient plus que des crins ; de l'eau, du lit, de l'averse, du temps, elle ressortait en or, avec ses annelages. Et il me faisait signe d'approcher, de cette main à petit doigt, et je venais en souriant. Pourquoi ?... Et il me disait de baiser cette bouche au milieu de cette toison, et j'accourais pour la baiser. Et je la baisais. Pourquoi ?... Et quand au réveil, je le trompais, comme Agathe, avec le bois de mon lit, un bois plus relevé, évidemment, plus royal, de l'amboine, et qu'il me disait de lui parler, et que je le savais vaniteux, vide aussi, banal, je lui disais qu'il était la modestie, l'étrangeté, aussi, la splendeur. Pourquoi ?... Et s'il insistait tant soit peu, bégayant, lamentable, je lui jurais qu'il était un dieu. Roi des rois, la seule excuse de ce surnom est qu'il justifie la haine de la haine. Sais-tu ce que j'ai fait, le jour de son départ Électre, son navire encore en vue ? J'ai fait immoler le bélier le plus bouclé, le plus indéfrisable, et je me suis glissée vers minuit, dans la salle du trône, toute seule pour prendre le sceptre à pleines mains ! Maintenant tu sais tout. Tu voulais un hymne à la vérité, voilà le plus beau ! Alors que gronde l'émeute et que la ville est envahie par l'ennemi, Électre met sa mère au défi de lui dire pourquoi elle haïssait Agamemnon. La tension dramatique a atteint son point culminant Clytemnestre fait alors l'aveu brûlant de sa haine en une tirade qui n'est pas sans rappeler celle d'Agathe.

 

Dans un tel contexte passionnel, le sentiment exacerbé s'exprime avec force. La violence est traduite par le vocabulaire, mais aussi par le jeu des accumulations (« pompeux, indécis, niais « — « vaniteux, vide aussi, banal «), par les nombreuses exclamations, par les formes hyperboliques (« le fat des fats « — « le crédule des crédules « — « la haine de la haine «), par les reprises (« Pourquoi ? « ) et les répétitions (« et « — « inutile «). L'exaspération obéit ainsi à un mouvement et à un rythme qui scandent la haine et lui donnent l'allure d'un chant.

 

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« présenté comme un être ordinaire, remarquable par ses défauts physiques ou moraux, son tic (le petit doigt levé),voire ses tares (la barbe rebelle, le bégaiement).

Comme si la démythification ne suffisait pas, Clytemnestre y jointla désacralisation.

En faisant immoler « le bélier le plus bouclé », elle immole la virilité et le pouvoir d'Agamemnon.Avouant qu'elle s'est emparée du sceptre royal et qu'elle a occupé sa place sur le trône, elle exprime clairement ladépossession de sa souveraineté. Un règlement de comptes sans pitié Clytemnestre ne fait grâce de rien à Agamemnon et présente un rapport haïssable entre mari et femme, entre roi etreine, puisqu'il est fondé sur l'autorité (« du jour où il est venu m'arracher à ma maison ») et sur une conjugalitésans amour.

La soumission culpabilisante de Clytemnestre mène droit à la haine III - UNE LIBÉRATION La dénonciation d'une situation fausse Dans son ensemble, la tirade de Clytemnestre dénonce le mensonge.

D'où l'accumulation des démonstratifs qui sontautant d'éléments qui désignent la fausseté de cette situation.

La relation que révèle Clytemnestre est celle d'unehypocrisie conjugale qui masque les véritables sentiments et les désirs profonds.

A preuve l'adultère en pensée (« jele trompais, comme Agathe, avec le bois de mon lit ») ou l'opposition entre ce qui est pensé (« je le savais vaniteux,vide aussi, banal ») et ce qui est dit (« je lui disais qu'il était la modestie, l'étrangeté aussi, la splendeur »). « Un hymne à la vérité » C'est la formule conclusive qu'emploie Clytemnestre (« Tu voulais un hymne à la vérité »).

La haine révèle la véritédes êtres.

Elle s'accompagne de la joie et elle est une revanche (« je vais m'offrir la joie que s'est offerte Agathe !»).

La révélation est celle d'une négation de la possession « Le seul homme auquel je n'étais pas, c'était le roi desrois ! ». Une révolte de femme Cette vérité, c'est également celle d'une revendication et d'une libération.

Ce qu'affirme Clytemnestre dans sonaveu n'est pas autre chose que la révolte d'une femme contre un pouvoir abusif, contre une situation d'autant plushumiliante qu'elle était fausse.

Cette prise de conscience est scandée par la répétition de « Pourquoi ? » (semblable,d'ailleurs, à celle d'Agathe) Immoler le bélier, s'installer sur le trône, c'est revendiquer une autre identité que celle defemme soumise.

Clytemnestre le proclame haut et fort : « Une femme est à tout le monde.

» Conclusion : Réplique fondée sur une haine farouche, la tirade de Clytemnestre est une proclamation et unerevendication.

Comme Agathe, ce qu'exprime Clytemnestre, c'est moins une passion violente et négativequ'une révolte de la féminité.. »

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