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Électre et Clytemnestre - Electre de Giraudoux

Publié le 04/08/2014

Extrait du document

clytemnestre

 

Acte I, scène 4, Livre de poche (Grasset) pp. 54-57

Longuement attendue (scènes 1 à 3), Électre arrive enfin : ses noces (contraintes)

avec le jardinier doivent être célébrées d'un moment à l'autre. Comme pour gagner

du temps, la jeune fille attaque violemment sa mère sur un point apparemment

futile (le fait qu 'Oreste enfant serait tombé de ses bras, jadis). Au cours de /,a dispute,

Clytemnestre, accusée d'être une mauvaise mère, change brusquement d'avis :

elle refuse de donner sa fille au jardinier; arguant pour se justifier du mauvais état

de son jardin. Le jardinier se défend avec énergie tandis qu 'Égisthe cherche à régler

l'affaire des noces au plus vite. Par esprit de contradiction, Électre accepte désormais

le mariage.

ÉGISTHE. Parfait. Laisse ta figue tiédir, et prends ta femme.

CLYTEMNESTRE. Ose parler de ce jardin! Tout y est sec, je l'ai vu de la route :

un crâne pelé l Tu n'auras pas Électre.

LE JARDINIER. Tout y est sec! D'une source que la canicule ne tarit point,

5 s'écoule entre les buis et les platanes le ruisseau dont j'ai dérivé deux rigoles,

l'une sur prairie, l'autre taillée en plein roc. Vous en trouverez des crânes

semblables! Et des épandages pareils! En ce début de printemps tout n'est

que jacinthe et narcisse.Je n'aijamais vu sourire Électre, mais c'est dans mon

jardin que j'ai reconnu sur son visage ce qui ressemble le plus au sourire!

10 CLYfEMNESTRE. Regarde si elle sourit en ce moment.

LEJARDINIER. Moi j'appelle cela le sourire d'Électre.

CLYfEMNESTRE. Le sourire à ta main sale, à tes ongles noirs ...

ÉLECTRE. Cher jardinier ...

LE JARDINIER. Mes ongles noirs? Voilà que mes ongles sont noirs! Ne la croyez

15 pas, Électre. Vous tombez bien mal, reine, aujourd'hui. Car j'ai passé ce

matin ma maison à la chaux de manière qu'aucune trace n'y demeure des

mulots et des serpillières, et de cela mes ongles sont sortis, non pas noirs,

comme vous voulez bien le dire, mais lunés de blanc.

ÉGISTHE. Cela va, jardinier.

20 LE JARDINIER. Je sais, je sais que cela va. Et mes mains sont sales. Regardez.

Voilà des mains sales! Des mains que j'ai justement lavées après avoir retiré

les morilles et les oignons pendus, pour que rien n'entête la nuit d'Électre ...

Moi, je coucherai dans le hangar, Electre, d'oùje surveillerai toute menace

à votre sommeil, qu'elle vienne du hibou en fraude, de l'écluse ouverte, ou

25 du renard qui fourrage la haie, sa tête grossie d'une poule. J'ai dit. ..

ÉLECTRE. Merci, jardinier.

CLYTEMNESTRE. Et ainsi vivra Électre, fille de Clytemnestre et du roi des rois,

à voir dans les plates-bandes son époux circuler deux seaux aux mains,

centre d'un cercle de barrique!

30 ÉGISTHE. Et elle y pleurera les morts tout à son aise. Prépare dès demain tes

semis d'immortelles.

LE JARDINIER. Et elle y évitera l'angoisse, le tourment, et peut-être le drame.

LE MYTHE ANTIQUE DANS ÉLECTRE DE GIRAUDOUX

Je ne connais guère les êtres, reine, mais je connais les saisons. Il est temps,

juste temps dans notre ville de transplanter le malheur. Ce n'est pas sur notre

35 pauvre famille que l'on greffera les Atrides, mais sur les saisons, sur les prairies,

sur les vents. J'ai idée qu'ils n'y perdront rien.

LE MENDIANT. Laissez-vous convaincre, reine. Vous ne voyez donc pas qu'il y

a dans Égisthe je ne sais quelle haine qui le pousse à tuer Électre, à la donner

à la terre? Par une espèce de jeu de mots, il se trompe, il la donne à un

40 jardin. Elle y gagne. Elle y gagne la vie ... (Égisthe s'est levé.) Quoi? J'ai eu tort,

hein, de dire cela?

ÉcrsTHE, à Électre et au jardinier. Approchez tous les deux!

CLITEMNESTRE. Électre, je t'en prie.

ÉLECTRE. C'est vous qui l'avez voulu, mère!

45 CLITEMNESTRE. Je ne le veux plus. Tu vois bien que je ne le veux plus.

ÉLECTRE. Pourquoi ne le veux-tu plus? Tu as peur? Trop tard.

CLITEMNESTRE. Que faut-il donc te dire pour te rappeler qui je suis, qui tu es!

ÉLECTRE. Il faut me dire que je n'ai pas poussé Oreste.

CLITEMNESTRE. Fille stupide !

50 ÉGISTHE. Vont-elles recommencer!

LE MENDIANT. Oui, oui, qu'elles recommencent.

CLITEMNESTRE. Et injuste! Et obstinée! Laisser tomber Oreste! Jamais je ne

casse rien! Jamais je n'échappe un verre ou une bague ... Je suis si stable que

les oiseaux se posent sur mes bras ... De moi on s'envole, on ne tombe pas ...

55 C'est justement ce que je me disais, quand il a perdu l'équilibre: Pourquoi,

pourquoi la malchance veut-elle qu'il ait eu sa soeur près de lui!

ÉcrsTHE. Elles sont folles!

ÉLECTRE. Et moi je me disais, dês que je l'ai vu glissant: Au moins si c'est une

vraie mère, elle va se courber pour amortir la chute. Ou elle va se plier, ou

60 se voûter, pour créer une pente, pour le rattraper avec ses cuisses ou ses

genoux. On va voir s'ils deviennent prenants, s'ils comprennent, les cuisses

et les genoux altiers de ma mère ! On en doutait! On va le voir!

CLITEMNESTRE. Tais-toi.

ÉLECTRE. Ou elle va s'incliner en arrière, de façon que le petit Oreste glisse

35 d'elle comme un enfant de l'arbre où il a déniché un nid. Ou elle va tomber,

pour qu'il ne tombe pas, pour qu'il tombe sur elle. Tous les moyens dont une

mère dispose pour recueillir son fils, elle les a encore. Elle peut encore être

une courbe, une conque, une pente maternelle, un berceau. Mais elle est

restée figée, dressée, et il a chu tout droit, du plus haut de sa mère!

40 ÉcrsTHE. La cause est entendue, Clytemnestre, nous partons!

CLITEMNESTRE. Qu'elle se souvienne ainsi de ce qu'elle a vu à quinze mois, de

ce qu'elle n'a pas vu! Jugez du reste!

ÉGISTHE. Qui la croit, qui l'écoute, excepté vous!

ÉLECTRE. Qu'il soit tant de moyens pour empêcher un fils de tomber, j'en

45 vois mille encore, et qu'elle n'ait rien fait!

CLITEMNESTRE. Le moindre mouvement et c'est toi qui tombais.

ÉLECTRE. C'est bien ce que je dis. Tu raisonnais. Tu calculais. Tu étais une

nourrice, pas une mère!

CLITEMNESTRE. Ma petite Électre ...

50 ÉLECTRE. Je ne suis pas ta petite Électre. À frotter ainsi tes deux enfants

contre toi, ta maternité se chatouille et s'éveille. Trop tard.

CLYTEMNESTRE.Je t'en supplie.

ÉLECTRE. C'est cela! Ouvre les bras tout grands. Voilà comme tu as fait!

Regardez tous! C'est juste ce que tu as fait!

55 CLYTEMNESTRE. Partons, Égisthe ...

Elle sort.

LE MENll!ANT.j'ai idée qu'elle aussi a peur, la mère.

ÉGISTHE, au mendiant. Vous dites, vous?

LE MENDIANT. Moi, je ne dis rien. Je ne dis jamais rien ... À jeun, je parle. À

60 jeun, on n'entend que moi ... Mais j'ai bu un peu aujourd'hui. ..

clytemnestre

« LE MYTHE ANTIQUE DANS ÉLECTRE DE GIRAUDOUX Je ne connais guère les êtres, reine, mais je connais les saisons.

Il est temps, juste temps dans notre ville de transplanter le malheur.

Ce n'est pas sur notre 35 pauvre famille que l'on greffera les Atrides, mais sur les saisons, sur les prai­ ries, sur les vents.

J'ai idée qu'ils n'y perdront rien.

LE MENDIANT.

Laissez-vous convaincre, reine.

Vous ne voyez donc pas qu'il y a dans Égisthe je ne sais quelle haine qui le pousse à tuer Électre, à la don­ ner à la terre? Par une espèce de jeu de mots, il se trompe, il la donne à un 40 jardin.

Elle y gagne.

Elle y gagne la vie ...

(Égisthe s'est levé.) Quoi? J'ai eu tort, hein, de dire cela? ÉcrsTHE, à Électre et au jardinier.

Approchez tous les deux! CLITEMNESTRE.

Électre, je t'en prie.

ÉLECTRE.

C'est vous qui l'avez voulu, mère! 45 CLITEMNESTRE.

Je ne le veux plus.

Tu vois bien que je ne le veux plus.

ÉLECTRE.

Pourquoi ne le veux-tu plus? Tu as peur? Trop tard.

CLITEMNESTRE.

Que faut-il donc te dire pour te rappeler qui je suis, qui tu es! ÉLECTRE.

Il faut me dire que je n'ai pas poussé Oreste.

CLITEMNESTRE.

Fille stupide ! 50 ÉGISTHE.

Vont-elles recommencer! LE MENDIANT.

Oui, oui, qu'elles recommencent.

CLITEMNESTRE.

Et injuste! Et obstinée! Laisser tomber Oreste! Jamais je ne casse rien! Jamais je n'échappe un verre ou une bague ...

Je suis si stable que les oiseaux se posent sur mes bras ...

De moi on s'envole, on ne tombe pas ...

55 C'est justement ce que je me disais, quand il a perdu l'équilibre: Pourquoi, pourquoi la malchance veut-elle qu'il ait eu sa sœur près de lui! ÉcrsTHE.

Elles sont folles! ÉLECTRE.

Et moi je me disais, dês que je l'ai vu glissant: Au moins si c'est une vraie mère, elle va se courber pour amortir la chute.

Ou elle va se plier, ou 60 se voûter, pour créer une pente, pour le rattraper avec ses cuisses ou ses genoux.

On va voir s'ils deviennent prenants, s'ils comprennent, les cuisses et les genoux altiers de ma mère ! On en doutait! On va le voir! CLITEMNESTRE.

Tais-toi.

ÉLECTRE.

Ou elle va s'incliner en arrière, de façon que le petit Oreste glisse 35 d'elle comme un enfant de l'arbre où il a déniché un nid.

Ou elle va tomber, pour qu'il ne tombe pas, pour qu'il tombe sur elle.

Tous les moyens dont une mère dispose pour recueillir son fils, elle les a encore.

Elle peut encore être une courbe, une conque, une pente maternelle, un berceau.

Mais elle est restée figée, dressée, et il a chu tout droit, du plus haut de sa mère! 40 ÉcrsTHE.

La cause est entendue, Clytemnestre, nous partons! CLITEMNESTRE.

Qu'elle se souvienne ainsi de ce qu'elle a vu à quinze mois, de ce qu'elle n'a pas vu! Jugez du reste! ÉGISTHE.

Qui la croit, qui l'écoute, excepté vous! ÉLECTRE.

Qu'il soit tant de moyens pour empêcher un fils de tomber, j'en 45 vois mille encore, et qu'elle n'ait rien fait! CLITEMNESTRE.

Le moindre mouvement et c'est toi qui tombais.

ÉLECTRE.

C'est bien ce que je dis.

Tu raisonnais.

Tu calculais.

Tu étais une nourrice, pas une mère! CLITEMNESTRE.

Ma petite Électre .... »

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