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Giraudoux, "Electre", Acte II, scène 9: Le meurtre d'Égisthe et de Clytemnestre

Publié le 17/01/2022

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LA FEMME NARSÈS. Si tu racontais, toi! Tout sera fini que nous ne saurons rien ! LE MENDIANT. Une minute. Il les cherche. Voilà! Il les rejoint!

LA FEMME NARSÈS. Oh! Moi, je peux attendre. C'est doux de la toucher, cette petite Électre. Je n'ai que des garçons, des bandits. Heureuses les mères qui 5 ont des filles!

ÉLECTRE. Oui... Heureuses... On a crié, cette fois !

LA FEMME NARSÈS. Oui, ma fille.

LE MENDIANT. Alors voici la fin. La femme Narsès et les mendiants délièrent Oreste. Il se précipita à travers la cour. Il ne toucha même pas, il n'embrassa même pas Électre. Il a eu tort. Il ne la touchera jamais plus. Et il atteignit les assassins comme ils parlementaient avec l'émeute, de la niche en marbre. Et comme Égisthe penché disait aux meneurs que tout allait bien, et que tout désormais irait bien, il entendit crier dans son dos une bête qu'on saignait. Et ce n'était pas une bête qui criait, c'était Clytemnestre. Mais on la saignait.

Son fils la saignait. Il avait frappé au hasard sur le couple, en fermant les yeux. Mais tout est sensible et mortel dans une mère, même indigne. Et elle n'appelait ni Électre, ni Oreste, mais sa dernière fille Chrysothémis, si bien qu'Oreste avait l'impression que c'était une autre mère, une mère innocente qu'il tuait. Et elle se cramponnait au bras droit d'Égisthe. Elle avait raison, c'était sa seule chance désormais dans la vie de se tenir un peu debout. Mais elle empêchait Égisthe de dégainer. Il la secouait pour reprendre son bras, rien à faire. Et elle était trop lourde aussi pour servir de bouclier. Et il y avait encore, cet oiseau qui le giflait de ses ailes et l'attaquait du bec.

Alors il lutta. Du seul bras gauche sans armes, une reine morte au bras droit avec colliers et pendentifs, désespéré de mourir en criminel quand tout de lui était devenu pur et sacré, de combattre pour un crime qui n'était plus le sien et, dans tant de loyauté et d'innocence, de se trouver l'infâme en face de ce parricide, il lutta de sa main que l'épée découpait peu à peu, mais le lacet de sa cuirasse se prit dans une agrafe de Clytemnestre, et elle s'ouvrit.

Alors il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit, et l'on sentait que s'il voulait maintenant se débarrasser de la reine, ce n'était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de Clytemnestre. Et il n'y est pas parvenu. Et il y a pour l'éternité un couple Clytemnestre-Égisthe. Mais il est mort en criant un nom que je ne dirai pas.

La voix d'ÉGISTHE, au-dehors. Électre...

LE MENDIANT. J'ai raconté trop vite. Il me rattrape. 

 

Dans la scène précédente, Clytemnestre a enfin avoué qu'elle haïssait son mari, et plus aucun doute ne subsiste sur sa culpabilité, conjointe avec celle d'Égisthe, dans l'assassinat d'Agamemnon. Le Mendiant vient de rappeler les circonstances de cette mort, tandis qu'Oreste, libéré par une foule de miséreux, entre l'épée en main. La vengeance est sur le point de s'accomplir : le Mendiant en fait le récit, durant le temps même de son déroulement.

 

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« multiplication des tournures exclamatives, l'interjection « oh», la brièveté nerveuse des phrases et le martèlement des dentales [d] et [t] ( «Si tu racontais, toi! Tout [...] C'est doux de la toucher cette petite Électre »). Les chevauchements temporels.

Les temps se succèdent sans continuité logique.

Ainsi le futur antérieur ( « tout sera fini») côtoie le présent de la chose vue («Il les cherche», «Il les rejoint») et le passé composé, directement lié au présent de la parole ( « On a crié cette fois!») : ceci traduit notamment l'impatience contagieuse des deux femmes (répétitions «heureuses», « oui»).

Dans le récit du mendiant, le mélange des temps met en valeur le débordement du commentaire sur le récit, puisque cette figure de la sagesse intemporelle est un peu en-dehors dutemps.

Le mendiant montre autant qu'il raconte, passant du passé simple (éloignement temporel du récit) au passé composé ( «Il a eu tort») et au futur prophétique ( « I/ ne la touchera jamais plus»).

Le récit devient haletant, l'action se précipite, comme le montrent le recours à la parataxe (juxtaposition de propositions noncoordonnées entre elles) et les anaphores (. »

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