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Explication lineaire Colchiques

Publié le 24/10/2023

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« Analyse linéaire n°3 : Alcools, « Les Colchiques » Publié pour la 1ère fois dans une revue en 1907, ce court poème de 15 vers a probablement été écrit en 1902 en Allemagne, inspiré par l’amour déçu pour Annie Playden « Les Colchiques » évoque l’échec amoureux d’Apollinaire, repoussé par Annie Playden qu’il a rencontrée lors de son séjour en Allemagne.

Dans ce court poème de 15 vers répartis en trois strophes de plus en plus brèves, Apollinaire associe les yeux de la femme aimée au colchique.

Identifier une femme à une fleur est un topos ancien, de même que le cadre du poème (et la saison (l’automne) évoquent le genre antique de la bucolique. Comment la poésie d’Apollinaire renouvelle-t-elle ici des thèmes traditionnels pour exprimer un lyrisme très personnel ? Structure : 3 strophes de longueur décroissante, chacune correspondant à un épisode d’une triste anecdote bucolique (NB : dans « cors de chasse » : 2 quintils puis un distique qui évoque la disparition) 1) Scène figée pastorale et triste 2) Irruption des enfants et basculement dans le fantastique 3) Retour au calme Les Colchiques La fleur tire son nom de la Colchide, patrie de Médée, magicienne rompue à l’art du poison et mère infanticide.

Le colchique se retrouve donc associé à une figure féminine ambivalente, à la fois amoureuse et sorcière, qui peut employer ses poisons à sauver son amant comme à tuer, y compris ses propres enfants. I) V1-7 : Tableau d’une scène figée, bucolique et triste V1 Le pré est vénéneux mais joli en automne - Le début du poème installe le lecteur dans un cadre traditionnel, celui de la poésie bucolique présent dès l’Antiquité chez le poète Virgile, avec les mots « pré » , « automne » et « vaches » au vers 2. - Mais ce paysage est d’emblée ambivalent, à la fois réaliste car on parvient à le visualiser, à l’imaginer facilement, et étrange.

En effet :  l’adjectif positif « joli » et le terme péjoratif « vénéneux » constituent une antithèse, un contraste qui se retrouvera d’ailleurs en écho dans l’expression péjorative « mal fleuri » au vers 15.  le complément circonstanciel de temps « en automne » renvoie à un élément réaliste (c’est la saison de la floraison des colchiques), mais c’est aussi métaphoriquement, symboliquement la saison du déclin, de la mélancolie chez les Romantiques (Hugo, Lamartine…), mais aussi chez d’autres poètes comme Verlaine ou Baudelaire. Automne considérée comme une « saison mentale »  Autre dissonance : présence de 2 hiatus dans ce seul premier vers : entre « pré » et « est » + entre « joli » et « en », ce qui est contraire aux règles classiques de versification.

Ces hiatus perturbent l’euphonie (= harmonie sonore) attendue. V2-3 Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent - Tableau de la nature bucolique se confirme avec « les vaches » - Effet de lenteur , et même impression de temps suspendu provoqués par :  le participe présent,  les assonances en AN  l’enjambement Ces 2 vers sont également sources de surprise pour le lecteur car  la mort progressive et inéluctable des vaches est annoncée tranquillement (pas de pathos larmoyant !) ; contraste entre cette lenteur paisible et le verbe « s’empoisonnent » en fin de vers.  la longueur des vers, car une fois assemblés, ils peuvent constituer un alexandrin ; auquel cas, on aurait un poème de 14 vers, comme dans le sonnet .

Là encore, Apo joue avec nos attentes et avec la tradition.  Un rythme d’une douceur lancinante se met en place, participant à la tonalité élégiaque du poème. V4-5 Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là - L’analogie commence subtilement v4 avec la référence au cerne (attention, LE cerne est un nom masculin, comme LE colchique) qui annonce les « yeux » du vers suivant ; vers 5, la comparaison devient explicite, avec l’adverbe « comme ». - L’image de la femme-fleur est traditionnelle.

Cf au XVIème, Ronsard avec la rose - « tes yeux » : Synecdoque pour évoquer la femme aimée et perdue, à laquelle il s’adresse directement avec le possessif « tes » - L’absence de ponctuation contribue à l’ambiguïté confondre les éléments : doit-on faire de « tes yeux » le COD du verbe « fleurit » ? L’ambiguïté syntaxique crée alors un nouveau rapprochement.

D’autant que « y fleurit » est en début de vers, en rejet.

Cette ambiguïté renforce l’atmosphère étrange et rend le lecteur créateur du sens du texte. V6 Violâtres comme leur cerne et comme cet automne - L’atmosphère angoissante est renforcée par une 3 ème comparaison (à noter : 2 adverbes comparatifs « comme » en 2 vers), celle qui associe la femme-fleur à l’automne et au déclin. - Effet d’enfermement et de circularité lié à :  la répétition de l’«automne » déjà cité au vers 1, repris par le démonstratif « cet automne ».  La disposition en chiasme des expressions « couleur de cerne et de lilas » (v.

4) et « Violâtres comme leur cerne » (v.

6) - Suffixe dépréciatif (= dévalorisant) -âtre donne une connotation négative à la beauté de la femme ; signe de maladie , de fatigue du moins.

Cette teinte violette, symbole de tristesse et de mélancolie, la couleur, associée ici aux yeux de la femme, lui confère une dimension mystérieuse et accentue le pouvoir maléfique, voire mortifère de son regard. V7 Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne - La conjonction de coordination » et » a ici une valeur de conséquence inéluctable, inévitable : le poète est condamné à mourir. - De +, l’alexandrin au rythme très régulier, et lent (3/3/3/3) renforce le caractère implacable de la condamnation à mort du poète - Enfin, la reprise de l’expression « lentement s’empoisonne » crée un écho avec le vers 3, et confirme cette impression d’enfermement dans la mort. - Les possessifs « ma » et « tes » pourraient relier intimement le poète et la femme aimée, mais de manière triste et funèbre, avec le verbe « s’empoissonne » en fin de vers ; d’ailleurs, celle à qui le poète s’adresse n’est pas nommée et semble absente, puisqu’elle n’est évoquée que par son regard  Le paysage automnal est donc non seulement le cadre, mais le reflet même de la tristesse du poète. II) Irruption V8-9 Les enfants de l’école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica - Surgissement brutal de la réalité quotidienne et ordinaire avec les enfants qui sortent de l’école ; « l’harmonica » est un instrument de musique apparu au XIX e siècle, ce qui crée un effet de réel et contraste avec la bucolique antique (pas de flûte ni de lyre) - Les verbes d’action « viennent » , « jouant » créent un contraste avec la passivité des vaches et le caractère figé des vers précédents; - L’arrivée bruyante des écoliers est marquée par les allitérations en [k], et provoque une rupture sonore au début du quintil. Mais cette ambiance joyeuse et vivante ne va pas durer… V 10 Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères - Inquiétude du lecteur devant l’innocence joyeuse des enfants, annoncée par le verbe « jouer » v9 - Cueillir : action positive MAIS le complément ternit cela : le colchique est vénéneux + allitérations désagréables en K - Nouvelle comparaison entre la fleur et la femme, cette fois-ci, avec la mère (sans doute lié au mot « enfants ») ; Présence maternelle qui devrait être rassurante, mais qui va se révéler dangereuse voire fatale.

Cf la légende de Médée qui a tué ses propres enfants. Donc, atmosphère angoissante et inquiétante, malgré la vie suggérée par les vers 8-9 V 11-12 Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières - Nouvel effet de surprise avec l’expression « filles de leurs filles », mis en relief par l’enjambement - Plusieurs interprétations possibles (comme souvent chez Apo) :  Les colchiques fleurissent en automne, mais la fleur vient avant la feuille, ce qui est contraire au cycle normal d’où son surnom allemand de Sohn dem Vater (« fils avant le père »), fémininé ici par Apo.

Détournement  Ou alors, les mères sont ici dans un rôle de séductrices, qui passent pour + jeunes que leurs propres filles !  impression d’un cycle sans fin où l’homme n’a pas sa place. - Nouvelle comparaison entre la femme et la fleur, avec variation puisqu’il s’agit ici de « paupières » Qui battent comme les fleurs battent au vent dément - Nouvel enjambement, effet de circularité - Référence féminine au battement de cils, pourrait renvoyer à la séduction MAIS c’est aussitôt associé au négatif - En effet, le danger se précise encore avec :  les sonorités dures allitérations en K, B et T  la répétition du verbe « battre » dans le même.... »

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