Expliquer et discuter cette pensée d'E. Renan: « L'épopée disparut avec l'âge de l'héroïsme individuel ; il n'y a pas d'épopée avec l'artillerie. »
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
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qui, comme Plein Ciel ou le Zénith de Sully Prudhomme, célèbrent un événement héroïque contemporain.
2°) De même l'épopée populaire exige toujours un recul considérable dans le temps.
Pour les poèmes homériques, la Chanson de Roland, le décalage se chiffre à plusieurs siècles.
C'est que, entre latrame des événements souvent fort menue et le récit qui en est fait, s'interpose l'imagination de tout un peupleglorifiant son origine et ses exploits.
Animé de grands sentiments patriotiques et religieux, le groupe chante un hérosqui incarne son idéal.
Seul ce travail collectif et séculaire de l'imagination permet l'éclosion de l'épopée.
C'est ainsique sur le fond vrai assez mince constitué par les luttes qui mirent aux prises les populations indigènes venues duNord ou par les pérégrinations de quelques hardis navigateurs que leur soif d'aventures poussait d'île en île, les Grecsbrodèrent à l'infini des récits de formidables combats, des luttes avec des monstres marins, des descriptions decontrées fabuleuses.
Ulysse s'égare jusqu'aux confins du monde et affronte seul les ennemis les plus divers.
Ainsi lerecul dans le temps paraît indispensable pour permettre à l'imagination de transformer le réel.
L'épopée n'est jamaisla reproduction d'événements du même âge, mais la transformation idéalisée de faits passés.
C'est le postulatimpliqué dans la première phrase de Renan, qui nous paraît sujet à caution : les faits sont d'un âge, l'épopée estd'un autre.
3°) On ne saurait donc affirmer à priori que l'épopée est impossible à l'avenir.
Certes, les documents précis de l'histoire ne permettent plus guère aux légendes de se former autour de la personnedes grands capitaines; l'histoire souligne impitoyablement les défauts et les petitesses de l'homme.
Mais laconscience populaire voudra toujours ses idoles (dans un sens non péjoratif).
Même les spectateurs immédiats d'unacte de bravoure ou d'héroïsme n'en ont pas une notion claire, ne le réduisent pas à ses proportions exactes; lesacteurs, dans l'exaltation du moment, se méprennent sur la portée de leurs faits et gestes; ils oublient leurssouffrances devant la grandeur du devoir accompli.
Qu'en sera-t-il de ceux qui entendront simplement raconter?Ainsi la personne du général Leclerc a commencé à devenir, dès après sa mort, le centre de création d'un mythe quiexalte l'esprit non seulement de son armée, mais de la France entière.
Notre conception même du patriotisme exigedes prolongements dans un passé que nous préférons inviolé par les rajustements mesquins de la critique historique.Ainsi la condition essentielle de l'épopée est la « poésie du souvenir », comme l'affirme Gabriel Séailles.
Il esttéméraire de préjuger de l'avenir, d'autant plus que, comme nous allons le voir, la matière épique, tissée d'héroïsmeindividuel, ne manque pas de nos jours.
II.
— Renan affirme qu'il n'y a plus d'épopée possible, parce qu'il n'y a plus de matière épique, c'est-à-dired'héroïsme individuel.
1°) En effet, l'épopée tourne toujours autour de V individu.
Sa trame est faite des actes extraordinaires d'un homme; c'est le héros qui assure l'unité du poème : l'Iliade ou lacolère d'Achille, l'Odyssée ou les pérégrinations d'Ulysse, la Chanson de Roland.
Agamemnon a rassemblé un vastecamp, mais il n'y aura jamais de stratégie à grande échelle : chaque guerrier s'illustre à sa manière, devient héros.Les imitations savantes tiennent compte de ce principe.
La Légende des Siècles, tout en voulant illustrer l'ascensionde l'homme vers la lumière, est une suite de petites épopées ayant chacune son héros.
La Chute d'un Ange contientd'immenses fresques — tel le défilé des esclaves — mais ce sont toujours les exploits de l'ange Cédrar qui en formela trame.
Même l'histoire, à ses origines, continuant l'épopée, n'est conçue que comme une série d'actes héroïques individuels: ainsi celle des premiers temps de Rome.
Il est dès lors évident que la formule de la guerre moderne : états-majors scientifiquement organisés — arméess'enfermant dans des lignes fortifiées — bombardements aériens à haute altitude — engins téléguidés — ne permetplus la création de mythes autour du général ou du combattant particulier.
La guerre a tendance à deveniranonyme, le combattant ne voyant plus son adversaire.
2°) Mais il semble bien, d'autre part, que les actes de bravoure individuels continuent à être décisifs et à diriger lesévénements.
Il en fut ainsi en 194^, lors de la traversée du Rhin; il en fut ainsi à Stalingrad comme à Bir Hakeim, audébarquement de Normandie comme aux grands parachutages.
Chaque homme était réduit à ses propres forces.L'action collective ne se concevait pas par la seule utilisation de machines, mais par une série bien coordonnéed'actes individuels où l'initiative personnelle et l'adaptation aux circonstances, l'esprit de décision devant lesimprévus du moment jouaient le plus grand rôle.
Ainsi donc intervient un facteur moral; car si l'acte importe pourl'épopée, c'est peut-être moins que les qualités morales, la psychologie particulière du héros (le courage aveugle etdésordonné d'Ajax est une exception que les Grecs blâmaient).
N'allons-nous pas retrouver à l'âge « de l'artillerie »les traits dominants d'un certain type-héros : passion, esprit de décision, mépris des conventions sociales, maishumanité profonde (cf.
le Hector de l'Iliade).
Sans jeter le discrédit sur une arme quelconque, ne sont-ce pasprécisément les qualités idéales de l'aviateur?
M.
P.
Mesnard, dans une excellente étude publiée par le Bulletin de l'Association Budé (voir Lectures), Humanisme et.
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