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Extrait de l'Acte I, scène 3 - Giraudoux, Électre

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

LE PRÉSIDENT. — Mais je me place au point de vue du destin même, Égisthe I... Ce n'est quand même pas une maladie !... Croyez-vous donc qu'il soit transmissible ! LE MENDIANT. — Oui. Comme la faim l'est chez les pauvres. LE PRÉSIDENT. — J'ai peine à croire qu'il se contente, au lieu d'une famille royale, de notre petit clan obscur, et que, de destin des Atrides, il accepte de devenir destin des Théocathoclès. LE MENDIANT. — Sois sans inquiétude. Le cancer royal accepte les bourgeois. ÉGISTHE. — Président, si tu veux que l'entrée d'Électre dans ta famille ne marque point la disgrâce de ses membres magistrats, veille à ne plus ajouter un mot. Dans une zone de troisième ordre, le destin le plus acharné ne fera que des ravages de troisième ordre. J'en suis personnellement désolé, en raison de la vive estime que je porte aux Théocathoclès, mais la dynastie n'y risquera plus rien, ni l'État, ni la ville. LE MENDIANT. — Et l'on pourra bien peut-être la tuer un petit peu aussi, si l'occasion s'en présente. ÉGISTHE. —J'ai dit... Tu peux aller chercher Clytemnestre et Électre. 20 Elles attendent. LE MENDIANT. — Ce n'est pas trop tôt. Sans vous faire de reproches la conversation manquait de femmes. ÉGISTHE. — Vous allez en avoir deux, et qui parlent. LE MENDIANT. — Et qui vont se disputer un peu, j'espère ? ÉGISTHE. — On aime parmi les vôtres quand les femmes discutent ? LE MENDIANT. — On adore. Cet après-midi, ils m'ont laissé entrer dans une maison où l'on discutait aussi. C'était bien moins relevé comme discussion. Ça ne se compare pas. Cela n'était pas un complot d'assassins royaux comme ici. On discutait pour savoir si dans les repas d'invités on doit servir les volailles sans le foie ou avec le foie. Le cou aussi, naturellement. Les femmes étaient enragées. Il a fallu les séparer. Quand j'y songe, c'était quand même bien dur aussi, comme discussion... Le sang a coulé.

« Destin, elle est aussi un véhicule de la violence, autre thème essentiel de cette fin de la scène 3. Il.

Omniprésence de la violence Égisthe, en effet, manifeste son pouvoir par la parole.

Celle-ci est essentiellement menace, cruauté et prélude à uneautre forme de violence, cette fois-ci sanglante. Une parole violente Égisthe menace le Président de «disgrâce » s'il résiste davantage à sa volonté.

Or, cette menace n'est pas àprendre à la légère, car il a précisé qu'il préfère, pour éliminer ses opposants, le meurtre à toute autre méthode plusdouce.

Par conséquent, dans sa bouche, le mot « disgrâce » n'est peut-être qu'un euphémisme pour quelquemesure plus radicale.

Du reste, le vocabulaire qu'il emploie dans la suite de sa réplique — « acharné», « ravage » —est très violent, et trahit peut-être le fond de sa pensée. L'ironie cruelle et l'humour noir sont aussi des manifestations de cette violence qui sous-tend la parole des deuxpersonnages « dominants», Égisthe et le Mendiant.

Ceux-ci, en effet, ne manquent pas une occasion de rappeler auPrésident la médiocrité de sa famille, «zone de troisième ordre » selon les termes d'Égisthe.

Dans le même ordred'idées, le Mendiant affirme au magistrat que « le cancer royal » — c'est-à-dire la malédiction qui poursuit ladynastie des Atrides — « accepte les bourgeois». D'une manière générale, la parole semble associée à la violence, tant morale que physique.

C'est ainsi qu'enannonçant l'arrivée d'Électre et de sa mère Clytemnestre, Égisthe précise que ces deux femmes exercent pleinementleur droit à la parole.

Le Mendiant place tout de suite la parole sur le plan du conflit : « [elles] vont se disputer unpeu aussi, j'espère?».

Curieusement, Égisthe lui demande alors s'il aime entendre les femmes « discuter ».

On passeainsi, en changeant simplement une lettre, d'un verbe à l'autre, en suggérant qu'ils sont quasiment synonymes.

Dureste, l'anecdote relatée par le Mendiant, à la fin du passage, confirme bien l'idée que la violence verbale prélude àla violence physique. La violence physique « Le sang a coulé » : ces mots du Mendiant, qui concluent la scène 3, ont une résonance inquiétante.

Il s'agit defemmes qui se chamaillent et en viennent aux mains à propos d'une question domestique.

Peut-être faut-il lire cetteanecdote, insignifiante en apparence, comme un symbole du conflit majeur de la pièce.

Certes, la disproportion estimmense, comme le reconnaît le Mendiant : d'un côté un « complot d'assassins royaux», de l'autre un débat poursavoir si « on doit servir les volailles sans le foie ou avec le foie».

Mais l'on sait que les prêtres de l'Antiquitécroyaient pouvoir lire l'avenir dans le foie des animaux sacrifiés : il y a peut-être là encore une allusion au Destin.D'autre part, cette anecdote démontre que la violence et l'affrontement sont inévitables chez les humains, quelsque soient leur position sociale et l'enjeu de leur dispute.

En ce sens, l'anecdote du Mendiant est liée au conflitmajeur de la pièce et peut être vue comme une prophétie de la violence à venir. Cette scène nous montre à quel point les thèmes de la violence et du destin sont liés entre eux.

Derrière desattitudes et des paroles apparemment anodines, on peut pressentir l'orage qui va éclater inévitablement.. »

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