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FÉNELON, Télémaque (livre V)

Publié le 18/02/2011

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« Pour le faste et la mollesse, on n'a jamais besoin de les réprimer, car ils sont inconnus en Crète. Tout le monde y travaille, et personne ne songe à s'y enrichir; chacun se croit assez payé de son travail par une vie douce et réglée, où l'on jouit en paix et avec abondance de tout ce qui est véritablement nécessaire à la vie. On n'y souffre ni meubles précieux, ni habits magnifiques, ni festins délicieux, ni palais dorés. Les habits sont de laine fine et de belles couleurs, mais tout unis et sans broderie. Les repas y sont sobres; on y boit peu de vin : le bon pain en fait la principale partie, avec les fruits, que les arbres offrent comme d'eux-mêmes, et le lait des troupeaux. Tout au plus on y mange un peu de grosse viande sans ragoût; encore même a-t-on soin de réserver ce qu'il y a de meilleur dans les grands troupeaux de boeufs pour faire fleurir l'agriculture. Les maisons y sont propres, commodes, riantes, mais sans ornements. La superbe architecture n'y est pas ignorée; mais elle est réservée pour les temples des dieux : et les hommes n'oseraient avoir des maisons semblables à celles des immortels. Les grands biens des Crétois sont la santé, la force, le courage, la paix et l'union des familles, la liberté de tous les citoyens, l'abondance des choses nécessaires, le mépris des superflues, l'habitude du travail et l'horreur de l'oisiveté, l'émulation pour la vertu, la soumission aux lois et la crainte des justes dieux. « Fénelon, Œuvres choisies, par Chérel, Éd. Hatier, p. 314.

Dans le Télémaque, roman pédagogique destiné au Duc de Bourgogne, Fénelon développe ses théories économiques et politiques. Dès que son héros, accompagné du sage Mentor, arrive dans un pays, l'auteur loue ou blâme son gouvernement. A cet égard le chapitre le plus important est le dixième, dans lequel Mentor trace les plans d'une cité idéale. Mais ces idées capitales apparaissent dès le cinquième chapitre d'où est tiré ce passage. Nous y voyons Télémaque et Mentor arrivant en vue de l'île de Crète. Mentor, qui l'a visitée autrefois, fait le tableau de sa prospérité et l'éloge de son sage gouvernement.

« II.

- RÉGLEMENTATION DU MODE DE VIE (De : On n'y souffre...

à : immortels.) Après avoir énoncé les principes, Fénelon nous en montre l'application dans le détail. a) Meubles et habits.Dans la constitution de Salente au chapitre x), l'auteur distinguera les classes sociales par l'habit.

Mais ici il secontente de prescrire à tous des habits simples et naturels, des meubles utiles et non purement décoratifs.

Ilsupprime tout ce qui rend l'objet coûteux et gaspille le temps et le labeur des artisans.b) Les repas.Ils sont inspirés par la frugalité antique telle que nous l'ont montrée Homère, Hippocrate, Virgile, Sénèque.

ChezHomère les héros mangent des viandes rôties sans sauces, du pain, boivent du vin coupé d'eau : point de metsasiatiques raffinés.

Les bergers de Virgile se nourrissent de fruits mûrs, de châtaignes et de lait caillé.Hippocrate recommandait une alimentation sobre et naturelle.

Pythagore prescrivait un régime végétarien.L'alimentation préconisée par Fénelon a pour base le pain, nourriture fondamentale des peuples sages de l'Antiquité(Hébreux, Égyptiens, Grecs, Latins).

C'est un aliment de supériorité intellectuelle, de l'avis des hygiénistes etbromatologues modernes (cf.

Dr.

P.

Carton : Traité de Médecine, Paris, 1920).

Par ailleurs, le régime proposé parFénelon est frugivore et presque végétarien : « on y mange un peu de grosse viande.

» Il tolère simplement un peude vin.

Ce régime présente également des ressemblances avec celui des ordres monastiques (cf.

Saint Benoît : Larègle des moines).c) L'architecture.On ne peut réformer un état sans réglementer l'architecture.

Fénelon critique surtout la folie de bâtir qui sévissaitde son temps chez certains nobles ou parvenus.De même que les boeufs ne servent que pour l'agriculture et non pour la gourmandise, la superbe architecture estréservée aux temples des dieux.

On pense aux cathédrales du Moyen âge édifiées par tout un peuple qui faisait donde son superflu. III.

- LA VERTU CIVIQUE (De : Les grands biens...

à: justes dieux.) Cette dernière partie rappelle certaines pages de Salluste louant les anciens Romains et analysant les causes de ladécadence.

C'est d'ailleurs de Salluste notamment que s'inspirera Montesquieu pour décrire la « vertu » politique etsa disparition.En cinq lignes, Fénelon énumère treize vertus différentes qu'on ne peut toutes commenter séparément.

Il fautreconnaître que ses affirmations sont un peu vagues : c'est qu'il énonce les principes généraux qui serontdéveloppés au chapitre x.D'après cette conclusion, la valeur d'une cité réside davantage dans sa force morale que dans sa richessematérielle.

La cité est essentiellement fondée sur le travail et la frugalité.

A cela s'ajoutent les vertus acquises parl'éducation : santé, force, courage.

Enfin toutes ces qualités sont au service de la communauté : famille, lois,religion. IV.

- APPRÉCIATION DE CES THÉORIES a) Sources.De telles conceptions sont inspirées par l'Antiquité, la morale chrétienne, l'actualité.

Fénelon est un législateurthéocratique qui, comme Moïse, réglemente à la fois la vie religieuse et morale, l'hygiène, les coutumes.

C'est unprédicateur stigmatisant le luxe, un directeur de conscience qui commence par réformer et convertir l'individu, afinde réaliser le bonheur de la société.Cette vertu antique, célébrée par Plutarque, inspirera Rousseau, puis Robespierre; un conventionnel proclamera en1793 « L'or et l'argent ne sont que de vils métaux qui n'ont point d'attrait pour le sage.

» Mais la dictature de lavertu sera éphémère.b) Le mélange de la politique et de la morale.Louis XIV appelait Fénelon « l'esprit le plus chimérique du royaume ».

En effet, le législateur ne peut plus, commedans l'Antiquité, punir les vices, les mauvaises intentions.

Le droit moderne ne se propose d'atteindre que les actesqui causent à la société un préjudice visible, mesurable.

Une loi prétendant frapper, par delà les actes, le vice enlui-même, risquerait de devenir arbitraire et tyrannique, surtout dans un État qui n'est plus patriarcal oucommunautaire comme la cité antique.b) Le problème du luxe.Cette tyrannie qui réglemente la vie privée s'exerce surtout par les lois somptuaires.

Chez Fénelon, ces lois ne sont. »

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