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Fontenelle à la Compagnie de Savants instituée par Colbert

Publié le 13/02/2012

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fontenelle

Lorsque je reçus la nouvelle assez inattendue de rna nomination, je me demandai quels pouvaient bien être mes titres à cette fonction si flatteuse de Secrétaire de votre illustre Compagnie. Je m'en découvris un aussitôt, mais qui ne m'était pas strictement personnel. « Peut-être, pensai-je, ces Messieurs ont-ils voulu honorer en ma personne le rieveu du Grand Corneille? « Singulier mérite, que celui d'être le neveu d'un oncle célèbre! Et pourtant j'en suis fier, et je vous en fais, Messieurs, le très humble aveu: « Peut-être, aussi, me dis-je, poursuivant mes recherches, ont-ils voulu par là témoigner publiquement l'estime en laquelle ils tiennent l'Académie française leur soeur aînée, et proclamer, par un choix significatif, que les Lettres et les Sciences doivent marcher en union étroite et se prêter main forte? « Ce faisant, vous réalisez, Messieurs, le dessein de ....

fontenelle

« dont nous jouirions en egolstes? Non, Messieurs, notre savoir n'est pas un tresor que nous enfermons dans une cassette pour le contempler jalou- sement, a l'abri de tout regard curieux.

Nous ne serons pas les Harpagons de la Science.

Nous partagerons, nous repandrons a pleines mains ce bien commun de l'humanite.

La Science doit, desormais, parler a tous le lan- gage de tous.

Cette langue, nous pouvons maintenant nous fier a elle; elle a fait ses preuves.

Capable de tout exprimer, avec les nuances les plus delicates, elle est parke et ecrite par l'Europe entiere; elle possede des chefs-d'oeuvre comparables et, j'ose le dire ici, superieurs aux plus celebres de Pantiquite.

Ne la traitons plus comme une parente pauvre dont on a honte; elle doit devenir la langue universelle du monde savant.

Outre l'universalite dont elle jouit dans les Lettres depuis tantot un demi-siecle, la langue franchise possede des qualites particulieres qui la rendent aussi propre a exposer des theories qu'a presenter des applications pratiques.

Elle est precise, elle est claire, elle n'admet ni les images qui obscurcissent la pensee, ni les negligences qui la defigurent.

Elle est lo- gigue; et tandis que la plupart des autres suivent l'ordre des sensations dans la construction de la phrase, elle s'inspire uniquement de rid& et de la raison.

Aussi point de surprises, point de pieges dans cette langue de la franchise, point d'inversions capricieuses dans sa syntaxe incorruptible. Ce qui n'est pas clair, droit, direct, n'est pas francais.

La precision de notre parler national n'a d'egale que sa concision.

u Rien de trop, rien de man- que.

C'est sa loi depuis que Pa formulee l'illustre Pascal, genie scienti- lique et litteraire que les autres peuples nous envient.

Cette sobriete, souvent comparable a celle dont le latin &tall si fier, fait d'elle l'instrument idoine dont a besoin la Science.

Le grand Fermat, l'ami des Pascal, l'avait bien compris.

Comme ce savant mathematicien, Malebranche, le philosophe, l'utilisa dans sa Recherche de, la Write et Tournefort, k plus célèbre de nos naturalistes, dans ses Elements de Botanique.

MM.

Roemer et Cassini, qui ont prefere, au plaisir de vivre dans leur patrie, l'honneur de travailler avec nous sous les yeux du plus grand des monarques, ont adopte le Iran- cais pour publier leurs decouvertes astronomiques.

M.

Bernouilli, en Suisse, M.

Leibniz, en Allemagne, eux aussi ont renonce au latin pour ne se servir plus que de notre langue dans leurs ouvrages reputes.

Temoignages impo sants, arguments par les faits, qui justifient amplement ma decision.

C'est done dans notre langue parvenue a sa pleine maturite que je resu- merai, Messieurs, vos recherches et vos meditations, que je redigerai le bulletin de vos victoires, que je conterai vos decouvertes.

Penches sur votre sillon, dans le champ immense du savoir, vous n'avez point le loisir de revenir sur vos pas pour expliquer aux profanes les secrets que vous avez ravis a la nature muette.

A d'autres, qui, sans etre des savants, possedent une certaine intelligence des questions scientifiques, de se mettre a la port& de la foule.

Ce sera mon role.

Fonction diffieile autant que necessaire! Car comment, en vulgarisant ainsi de hautes speculations ou des inventions compliquees satisfaire en meme temps les auteurs, le public, et la Science? Pour contenter les auteurs, it faut entrer dans leurs vues, les juger sans partialite, les loner sans fadeur.

Pour etre agree du public, it faut se mettre a sa portee, eviler Paridite, ne point user de mots trop techniques,- parler la langue des honnetes gens.

Enfin, pour ne pas ravaler et minimiser la Science, ii faut lui preter un langage digne d'elle, grave sans doute, mais non rebutant, et, tout en cherchant a plaire, rejeter les ornements qui cachent la verite.

A ce point de vue vous pourriez eprouver quelques ap- prehensions, car enfin mes causeries sur la Pluralite des Mondes habites dont nous jouirions en égoïstes? Non, Messieurs, notre savoir n'est pas un trésor que nous enfermons dans .une cassette pour le contempler jalou­ sement, à l'abri de tout regard curieux.

Nous ne serons pas les Harpagons de la Science.

Nous partagerons, nous répandrons à pleines mains ce bien commun de l'humanité.

La Science doit, désormais, parler à tous le lan­ gage de tous.

Cette langue, nous pouvons maintenant nous fier à elle; elle a fait ses preuves.

Capable de tout exprimer, avec les nuances les plus délicates, elle est parlée et écrite par l'Europe entière; elle· possède des chefs-d'œuvre comparables et, j'ose le dire ici, supérieurs aux plus célèbres de l'antiquité.

Ne la traitons plus comme une parente pauvre dont on a honte; elle doit devenir la langue universelle dÙ monde savant .

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Outre l'universalité dont elle jouit dans les Lettres depuis tantôt un demi-siècle, la langue française possède des qualités particulières qui la rendent aussi propre à exposer des théories qu'à présenter des applications pratiques.

Elle est précise, elle est claire, elle n'admet ni les images qui obscurcissent la pensée, ni les négligences qui la défigurent.

Elle est lo­ gique; et tandis que la plupart des autres suivent l'ordre des sensations dans la construction de la phrase, elle s'inspire uniquement de l'idée et de la raison.

Aussi point · de surprises, point de pièges dans cette langue de la franchise, point d'inversions capricieuses dans sa syntaxe incorruptible.

Ce qui n'est pas elair, droit, direct, n'est pas français.

La précision de notre parler national n'a d'égale que sa concision.

« Rien de trop, rien de man­ que.

» C'est sa loi depuis que l'a formulée l'illustre Pascal, génie scienti­ fique et littéraire que les autres peuples nous envient.

Cette sobriété, souvent comparable à celle dont le latin était s1 fier, fait d'elle l'instrument idoine dont a besoin la Science.

Le grand Fermat, l'ami des Pascal, l'avait bien compris.

Comme ce savant mathématicien, Malebranche, le philosophe, l'utilisa dans sa Recherche de la Vérité et Tournefort, le plus célèbre de nos naturalistes, dans ses Eléments de Botanique.

MM.

RŒmer et Cassini, qui ont préféré, au plaisir de vivre dans leur patrie, l'honneur de travailler avec nous sous les yeux du plus grand des monarques, ont adopté le fran­ çais pour publier leurs découvertes astronomiques.

M.

Bernouilli, en Suisse, M~ Leibniz, en Allemagne, eux aussi ont renoncé au latin pour ne se servir plus que de notre langue dans leurs ouvrages réputés.

Témoignages impo­ sants, arguments par les faits, qui justifient amplement ma décision.

C'est donc dans notre langue pàrvenue à sa pleine maturité que je résu­ merai, Messieurs, vos recherches et vos méditations, que je rédigerai le bulletin de vos victoires, que je conterai vos découvertes.

Penchés sur votre sillon, dans le champ immense du savoir, vous n'avez point le loisir de revènir sur vos pas pour expliquer aux profanes les secrets que vous avez ravis à la nature muette.

A d'autres, qui, sans être des savants, possèdent une certaine intelligence des questions scientifiques, de se mettre à la portée de la foule.

Ce sera mon rôle.

Fonction diffi~ile autant que nécessaire! Car comment, en vulgarisant ainsi de hautes spéculations ou des inventions compliquées satisfaire en même temps les auteurs, le public, et la Science? Pour contenter les auteurs, il faut entrer dans leurs vues, les juger sans partialité, les louer sans fadeur.

Pour être agréé du public, il faut se mettre à sa portée, éviter l'aridit'é, ne point user de mots trop techniques, parler la langue des honnêtes gens.

Enfin, pour ne pas ravaler et minimiser la Science, il faut lui prêter un langage digne d'elle, grave sans doute, mais non rebutant, et, tout en cherchant à plaire, rejeter les ornements qui cachent la vérité.

A ce point de vue vous pourriez éprouver quelques ap­ préhensions, car enfin mes causeries sur la Pluralité des Mondes habités. »

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