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FRAGMENTS DU NARCISSE -Valéry (commentaire)

Publié le 06/04/2011

Extrait du document

 Mais que ta bouche est belle en ce muet blasphème !    O semblable ! ... Et pourtant plus parfait que moi-même,  Ephémère immortel, si clair devant mes yeux,  Pâles membres de perle, et ces cheveux soyeux,  Faut-il qu'à peine aimés, l'ombre les obscurcisse,  Et que la nuit déjà nous divise, ô Narcisse,  Et glisse entre nous deux le fer qui coupe un fruit !  Qu'as-tu ?  Ma plainte même est funeste ? ...  Le bruit  Du souffle que j'enseigne à tes lèvres, mon double,  Sur la limpide lame a fait courir un trouble ! ...  Tu trembles ! ... Mais ces mots que j'expire à genoux  Ne sont pourtant qu'une âme hésitante entre nous,  Entre ce front si pur et ma lourde mémoire ...  Je suis si près de toi que je pourrais te boire,  O visage ! ... Ma soif est un esclave nu ...  Jusqu'à ce temps charmant je m'étais inconnu,  Et je ne savais pas me chérir et me joindre !  Mais te voir, cher esclave, obéir à la moindre  Des ombres dans mon cœur se fuyant à regret,  Voir sur mon front l'orage et les feux d'un secret,  Voir, ô merveille, voir ! ma bouche nuancée  Trahir... peindre sur l'onde une fleur de pensée,  Et quels événements étinceler dans l'œil !  J'y trouve un tel trésor d'impuissance et d'orgueil,  Que nulle vierge enfant échappée au satyre,  Nulle ! aux fuites habiles, aux chutes sans émoi,  Nulle des nymphes, nulle amie, ne m'attire  Comme tu fais sur l'onde, inépuisable Moi !...   

Narcisse parle était un portrait de Paul Valéry adolescent en pleine ferveur symboliste. Fragments du Narcisse montre un poète mûri par la vie et expérimenté dans le domaine de la pensée, de l'art et des sens. Sans renier sa jeunesse, le poète s'est dégagé des excès de l'esthétique mallarméenne, le penseur a perfectionné ses méthodes d'introspection et l'homme, désespérant de trouver une félicité spirituelle, a cherché des satisfactions dans la chair. L'églogue est devenue un vaste poème, philosophique et sensuel. La portée symbolique du mythe antique est mise en évidence : Narcisse représente tout homme qui cherche à se connaître, s'étonne de la confusion de son être, et regarde dans un miroir une image plus nette et plus lumineuse. Le miroir où se contemple Narcisse, c'est la fontaine de la forêt : loin d'être un simple décor, la source est un acteur essentiel du drame. « Qu'est-ce que soi ?, se demande Alain en commentant le poème. Cela n'est point perçu; cela fuit. Cela est comme un point intérieur qui éclaire, mais qui n'est point éclairé. Je ne puis me voir. En disant ces choses, je trouve une source, et je m'y vois ; je m'approche de moi. Nous voilà au Narcisse «. 

« Et la lune perfide élève son miroirJusque dans les secrets de la fontaine éteinte...

(vers 35-39) Mais alors que dans Narcisse parle la strophe se terminait par l'évocation de la fontaine obscurcie par la nuit, dansFragments du Narcisse, le thème du silence se développe plus largement en même temps que la valeur symboliquede la fontaine se précise.

Le mouvement amorcé par : Jusque dans...

est repris et prolongé sur le planpsychologique : Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte...Jusque dans les secrets que je crains de savoir,Jusque dans le repli de l'amour de soi-même,Rien ne peut échapper au silence du soir...

(vers 39-42) De même, l'hymne à la beauté du corps, embellie encore par le miroir de la source, est à nouveau chanté avec delégers changements de modulation : dans le premier poème, Narcisse s'admirant, disait : Voici dans Veau ma chairde lune et de rosée, O forme obéissante à mes yeux opposée ! Voici mes bras d'argent dont les gestes sont purs!...Mes lentes mains dans l'or adorable se lassent D'appeler ce captif que les feuilles enlacent, Et je crie aux échos lesnoms des dieux obscurs !... Le passage devient dans Fragments du Narcisse : Te voici, mon doux corps de lune et de rosée, O forme obéissanteà mes vœux opposée ! Qu'ils sont beaux, de mes bras les dons vastes et vains ! Mes lentes mains, dans l'airadorable se lassent D'appeler ce captif que les feuilles enlacent ; Mon cœur jette aux échos l'éclat des noms divins!...

(v.

115-120) Ces deux airs se fondent d'ailleurs dans l'ensemble de la symphonie. Le premier Narcisse se grisait de chants langoureux au bord de la fontaine, le second se rue vers la source commeune bête forcée.

Un mouvement haletant exprime cette domination sensuelle qui enchaîne le jeune homme et l'attirechaque soir près de l'eau : Que tu brilles enfin, terme pur de ma course ! Ce soir, comme d'un cerf, la fuite vers la source Ne cesse qu'il netombe au milieu des roseaux, Ma soif me vient abattre au bord même des eaux...

(vers 1-4) L'animal trouvera dans la source l'assouvissement de sa soif, Narcisse, lui, restera penché sur la rive, craignantd'effacer l'image qui l'attire, si fragile est la connaissance de soi-même : Nymphes ! si vous m'aimez, il faut toujours dormir ! La moindre âme dans l'air vous fait toutes frémir ; Même, dans sa faiblesse, aux ombres échappée, Si la feuille éperdue effleure la napée Elle suffit à rompre un univers dormant...

(vers 7-11) Narcisse cependant ne maudit pas la fontaine inaccessible, car elle l'a révélé à lui-même ; il lui doit de connaître sabeauté, de prendre conscience de son destin unique : Rêvez, rêvez de moi!...

Sans vous, belles fontaines, Ma beauté, ma douleur, me seraient incertaines...

(v.

17-18) Dans le calme de la Nature, le jeune homme s'apaise peu à peu : si penché qu'il soit sur sa propre image, commentn'éprouverait-il pas le charme des feuillages, des ombres, du silence, que M.

Teste lui-même goûtait dans le jardinbotanique de Montpellier? Sa rêverie chante la solitude et la mélancolique beauté du crépuscule en vers admirables :La voix des sources change, et me parle du soir... O douceur de survivre à la force du jour, Quand elle se retire enfin rose d'amour, Encore un peu brûlante, et lasse,mais comblée, Et de tant de trésors tendrement accablée, Par de tels souvenirs qu'ils empourprent sa mort, Et qu'ilsla font heureuse agenouiller dans l'or, Puis s'étendre, se fondre, et perdre sa vendange, Et s'éteindre en un songe en qui le soir se change... (vers 48-55) Mais Narcisse ne peut s'arracher longtemps à lui-même, la fontaine le rappelle à son corps et à ses tourmentsamoureux : Pour l'inquiet Narcisse, il n'est ici qu'ennui! Tout m'appelle et m'enchaîne à la chair lumineuse Que m'oppose des eauxla paix vertigineuse ! (vers 69-71). »

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