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FRÉDÉRIC II et la littérature

Publié le 05/12/2018

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FRÉDÉRIC II (1712-1786). Le roi de Prusse Frédéric le Grand s’est voulu obstinément homme de lettres de langue française, n’usant de l’allemand que pour les affaires courantes et composant en français poésie, mémoires, opuscules politiques et philosophiques, correspondances

familières. Le conquérant sans scrupule qui s’empara de la Silésie, « l’éternel boute-feu de l’Europe », qui joua gros jeu pendant la guerre de Sept Ans et recueillit sa part du gâteau lors du premier partage de la Pologne, le despote jaloux de son autorité, soupçonneux à l’égard de tous, qui s’était donné pour tâche d’être le « premier serviteur de l’État » et « l’âme de la Prusse », se double aussi, selon ses propres termes, d’un « philosophe déplacé » qui se dit politique par devoir et penseur par inclination.

 

Un Hohenzollern de culture française et classique

 

Sans doute entre-t-il dans ce goût pour les choses de l’esprit qu’afficha constamment le roi de Prusse quelque obscur désir de revanche. Le Roi-Sergent avait brimé les penchants de son fils dans lequel il voyait un petit maître aimant plus sa flûte et les livres que les plaisirs virils de la chasse et de la tabagie. Sans doute faut-il détecter quelque souci de réclame personnelle chez celui que des hommes de lettres appelèrent le « Salomon du Nord ». Mais une telle application à maîtriser les difficultés de la prosodie française, de si vastes lectures pour se tenir au courant de l’actualité littéraire et philosophique, une si évidente soif de relations intellectuelles que prouvent la création de son cercle de Potsdam et ses correspondances avec le marquis d’Argens, d’Alembert et surtout Voltaire, un si exigeant besoin d’écrire ne peuvent que s’enraciner au plus profond d’une personnalité. Car une grande ambition l'habite. Jugeant que l’Allemagne en est à « l’aurore des connaissances » et plus précisément « au point où se trouvaient les beaux-arts du temps de François Ier », persuadé que « l’étude réfléchie des auteurs classiques tant grecs que romains et français » est la seule voie de salut, il aurait voulu contribuer au progrès culturel de son pays, déplorant, au soir de sa vie, de n’avoir pu le faire, car il n’a été qu’un « être tracassé les deux tiers de sa course par des guerres continuelles ».

 

Le français reste pour lui la langue de culture. Frédéric-Guillaume ayant interdit à son fils l’étude du latin, il ne connaît la littérature ancienne qu’en traduction. Il en est de même pour quelques auteurs modernes, anglais ou italiens, ainsi de Machiavel qu’il ne lira pas dans le texte. Pour Wolff, il aura seulement la « curiosité » de regarder le texte allemand, se contentant de la version française établie à son usage par le baron de Suhm qui essaie en vain de l’intéresser à l’original. En 1780, il fit lire à l’Académie de Berlin un mémoire, De la littérature allemande, dans lequel il exécutait avec mépris tout ce qui s’écrivait en Allemagne. Et il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’en 1784, devant cette même assemblée, le Discours sur l’universalité de la langue française de Rivarol remporta un prix en même temps que la Dissertation allemande de Schwab.

 

L’horizon de son esprit est tout classique. Frédéric II s’est nourri des œuvres du siècle de Louis XIV, avec une prédilection certaine pour Racine et pour le législateur du Parnasse, se disant le disciple docile de « l'exact et sévère Boileau », ne craignant point d’accoler à son nom l’épithète de « divin ». Surtout il fut le lecteur assidu et émerveillé de Voltaire, apprenant par cœur les ouvrages du maître, tel chant de la Henriade ou telle tirade de tragédie, prétendant qu’il pourrait « servir de souffleur » lors de la représentation de ses pièces, exigeant communication de la Pucelle, méditant l’Histoire de Charles XII, le Siècle de Louis XIV, l’Essai sur les mœurs, appréciant articles de dictionnaire, libelles, contes et facéties, croyant que le tombeau de son écrivain préféré serait « celui du goût et des lettres », la fin d’un monde, celui qu’il avait compris et aimé. Faute de « posséder »

« Voltaire, car on sait par quel fiasco s'acheva le séjour de l'homme de lettres en Prusse, il s'agit de «naturaliser» les chefs-d' œuvre de la littérature française pour se les approprier.

La première tâche qui s'impose est celle d'une féconde imitation.

Un Boileau prussien Frédéric appréciait l'élégance de la forme ou l'enjoue­ ment des poésies légères, mais il prétendait que les let­ tres fussent utiles autant qu'agréables, que la «brillante poésie » fût pesée « au poids de la raison »; selon lui, le meilleur poème est celui qui renferme un «cours de morale où l'on apprend à penser et à agir».

La Henriade est le chef-d'œuvre du genre.

Aussi s'essaya-t-il à bien des poèmes didactiques, épîtres, odes, et même rima-t-il un Art de La guerre de l 600 vers et un Palladion de plus de 4 000 vers, écrit dans le genre de la Pucelle, sans compter maints poèmes satiriques composés pendant la guerre de Sept Ans où il se laissait aller à sa verve, maltraitant ses ennemis, versifiant des injures ou des impiétés.

«J'ai le malheur, avouait-il, d'aimer les vers et d'en faire souvent de très mauvais >>.

Malgré les leçons que lui dispensa Voltaire, la plus large pan de cette production reste médiocre.

Mais elle ne mérite ni les ironies, ni les condamnations sans appel qu'elle suscita.

Ces laborieux poèmes« Sur l'Humanité »,« Sur la gloire et l'intérêt>>, , tous ces discours ont vieilli.

Les réminiscences de Boileau et de Voltaire y sont légion, mais on y fait quelques rencontres heureuses quand Fré­ déric exprime sincèrement ses idées ou ses sentiments.

Ces exercices poétiques du roi de Prussse furent à l'ori­ gine d'un scandale, l'arrestation de Voltaire à Francfort.

Leur publication en 1760, en pleine guerre de Sept Ans avec la complicité du cabinet français, fit grand bruit.

A l'intérêt exagéré qu'ils suscitèrent a succédé l'oubli.

« Cet homme-là est César et 1 'abbé Cotin>>, déclara Vol­ taire.

Il lui arrive d'être le représentant modeste de ces temps où le vers demeurait un instrument de communica­ tion privilégié entre honnêtes gens, mais c'est par son œuvre en prose qu'il mérite de survivre.

Un philosophe cc occasionnel , A son nom s· attache l' Anti-Machiavel ( 1740), rédigé avant son avèm!ment.

Ses principes furent, on le sait, démentis par les actes du souverain.

En fait le texte est fort ambigu.

Frédéric s'y laisse entraîner par une ardeur toute verbale contre le «calomniateur>> des princes qui couvrait de honte son futur métier de roi et dans lequel il voyait un mauvais conseiller des aventuriers.

L'exercice d'école enregistre une véritable «mue spirituelle» : alors que le texte! progresse, les injures contre Machiavel diminuent.

Mais Frédéric reste, sa vie durant, un philoso­ phe impénitent qui se juge sans complaisance, d'où l'in­ térêt de ses Mémoires : l'Histoire de mon temps (1788).

Il s'est voulu à sa manière vulgarisateur des Lumières.

Il compose une Dissertation sur l'innocence des erreurs de l'esprit.

11 préface un Extrait du Dictionnaire histori­ que et critique de Bayle en 1765, car il importe de faire connaître ce « bréviaire du bon sens >> dont la méthode critique forme le jugement.

Il écrit un Avant-propos de l'Abrégé de l'Histoire ecclésiastique de Fleury (1766) où il conclut que l'histoire de l'Église est« l'ouvrage de la politique, de l'ambition et de l'intérêt des prêtres (:.,.]: on n'y remarque qu'un abus sacrilège du nom de l'Etre suprême, dont des imposteurs révérés se servent comme d'un voile pour couvrir leurs passions criminelles ».

S'il dénonce «l'infâme>> , terme qu'il est le premier à employer en 1759, il se montre très hostile à la généra- tion de 1760 dans laquelle il voit «des avortons du Par­ nasse, de faux beaux esprits, des philosophes à parado­ xes>>.

Il n'apprécie ni Rousseau qu'il tient pour un malade, ni Diderot dont le le révolte.

Il s'en prend aux productions de la« coterie holbachique >>.

Fort choqué par les attaques proférées à l'égard des conquérants dans 1 'Essai sur les préjugés ( 1770) attribué à Dumarsais, inquiet de l'effet produit par de telles déclamations, il s'efforce de les réfuter, affirmant que les préjugés sont « la raison du peuple>> et que « l'homme n'est point fait pour la vérité », ce qui provo­ quera le courroux de Diderot dans ses Pages contre tm ryran, texte vengeur mais tenu secret.

Quand paraît le Système de la nature de D'Holbach, Frédéric combat le matérialisme, affirmant que le monde entier prouve l'existence d'une intelligence organisatrice et dénonçant les contradictions des partisans du fatalisme.

Mais sur­ tout il dément, et avec quelle morgue, toutes les alléga­ tions concernant les souverains, les philosophes ne devant point mettre en péril 1 'ordre existant.

Écrits dans une prose vigoureuse, ces opuscules représentent une version à la fois anticléricale et conservatrice des Lumiè­ res, souvent marquée au coin d'un pessimisme foncier sur l'homme.

En fait la philosophie se réduit pour Frédéric à un plaisir d'élite comme les belles-lettres demeurent pour lui une parure de la vie.

D'où l'importance qu'il accorde à ses relations avec des hommes de lettres français.

Ces correspondances familières sont sans doute sa meilleure œuvre.

Lui-même était conscient du statut littéraire de ces missives.

Dès 1750, la première édition confiden­ tielle des Œuvres du philosophe de Sans-Souci reproduit quelques-unes de ses lettres.

C'est dans le dialogue bril­ lant et tumultueux qu'il entretint pendant plus de qua­ rante ans avec Voltaire où voisinent débats philosophi­ ques et politiques, petits vers, éloges et sarcasmes, discussions littéraires et conversations sur l'actualité que se révèle le plus pleinement la qualité à laquelle il aspi­ rait : celle d'écrivain français.

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in-8•.

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