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Histoire de la pièce POLYEUCTE de RACINE

Publié le 15/03/2011

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   En quelle année fut jouée la tragédie de Polyeucte ? Au tome III de son édition, Marty-Laveaux déclare : « C'est vers la fin de la même année (1640) qu'on a représenté Polyeucte. Jamais aucun doute ne s'est élevé à ce sujet «. Au tome X de la même édition, il publie la lettre suivante de Claude Sarreau à Corneille    « Je ne sais si je pourrai jamais m'acquitter envers notre Ménage de m'avoir poussé à vous écrire... Ce que je désire principalement c'est de savoir comment vous vous portez, vous et vos muses, et si à vos trois excellentes et divines pièces vous projetez d'en ajouter une quatrième. Mais il faut surtout engager ces déesses à composer quelque poème digne de vous et d'elles sur la mort du grand Pan... J'ai entendu dire vaguement que vous travailliez à un certain poème sacré. Ecrivez-moi, je vous prie, s'il est bien avancé ou même achevé, et croyez que si vous aviez besoin d'un défenseur de vos mérites, vous en trouveriez un bon et zélé en moi..., Paris, le 12 décembre 1642. « Il ne saurait y avoir d'erreur sur la date. Le grand Pan dont il est question c'est Richelieu, qui mourut le 4 décembre 1642. Les trois pièces divines sont Le Cid, Horace et Cinna ; le poème sacré c'est Polyeucte. Donc Polyeucte n'était pas encore joué le 12 décembre 1642.

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« c'est au roi Louis XIII qu'elle devait être dédiée ; il mourut le 18 mai 1643, et Corneille, tout naturellement, offrit satragédie à la pieuse reine Anne d'Autriche qui s'était toujours montrée bienveillante pour lui.

Il ne faut pas voir unevulgaire flatterie dans ces graves protestations de Corneille à la Reine ; « je me tiens assuré de lui plaire, parce queje suis assuré de lui parler de ce qu'elle aime le mieux.

Ce n'est qu'une pièce de théâtre que je lui présente, mais quil'entretiendra de Dieu : la dignité de la matière est si haute, que l'impuissance de l'artisan ne la peut ravaler et votreâme royale se plaît trop à cette sorte d'entretien pour s'offenser des défauts d'un ouvrage où elle rencontrera lesdélices de son cœur ». Polyeucte plaisait à la foule et à quelques esprits éclairés.

La critique se montra plus revêche.

L'abbé d'Aubignac,dans sa Pratique du théâtre (1657), exprime certainement l'opinion de plusieurs.

« Que les auteurs prennent gardede ne pas mêler aux tragédies saintes les galanteries du siècle, et de laisser paraître des passions humaines quidonnent de mauvaises idées aux spectateurs, et les portent à des pensées vicieuses.

Car ce mélange fait qu'ellesdeviennent odieuses par la sainteté du sujet, ou que la sainteté du sujet est méprisée par la complaisance queplusieurs ont à cette coquetterie.

C'est la faute où M.

Corneille est tombé dans le Martyre de Polyeucte, où, parmitant de propos chrétiens et tant de beaux sentiments de la religion, Pauline fait avec Sévère un entretien si peuconvenable à une honnête femme ». Chose singulière ; le prince de Conti, devenu dévot et ennemi du théâtre, n'est pas choqué comme d'Aubignac, parce mélange ; c'est « la religion » qui lui déplaît.

« En vérité, écrit-il dans le Traité de la Comédie (1667), y a-t-il riende plus sec et de moins agréable que ce qui est de saint dans cet ouvrage ? Y a-t-il personne qui ne soit mille foisplus touché de l'affliction de Sévère, lorsqu'il trouve Pauline mariée, que du martyre de Polyeucte ? » Saint-Evremond, l'homme du XVIIe siècle qui a le plus admiré Corneille et de la manière la plus pertinente, resteinsensible aux beautés de Polyeucte.

« L'esprit de notre religion est directement opposé à celui de la tragédie.L'humilité et la patience de nos saints sont trop contraires à la vertu des héros que demande le théâtre.

Quel zèle,quelle force le ciel n'inspire-t-il pas à Néarque et à Polyeucte ? et que ne font pas ces nouveaux chrétiens pourrépondre à ces heureuses inspirations ? L'amour et les charmes d'une jeune épouse chèrement aimée ne font aucuneimpression sur l'esprit de Polyeucte.

Insensible aux prières et aux menaces, Polyeucte a plus d'envie de mourir pourDieu que les autres n'en ont de vivre pour eux.

Néanmoins ce qui eut fait un beau sermon faisait une misérabletragédie, si les entretiens de Pauline et de Sévère, animés d'autres sentiments et d'autres passions, n'eussentconservé à l'auteur la réputation que les vertus chrétiennes de nos martyrs lui eussent ôtée.

» D'après Monchenay, Boileau admirait fort Polyeucte, mais il n'en dit rien dans Y Art Poétique.

Racine, qui sut rendresi hautement justice à Corneille dans un discours célèbre, nomme parmi ses chefs-d'œuvre le Cid, Horace, Cinna,Pompée, et il ne fait même pas allusion à Polyeucte.

La cause est entendue.

Les critiques, les lettrés, les délicats,au XVIIe siècle n'ont pas aimé Polyeucte, ou s'ils Font aimé, c'est en laissant de côté le martyre et en s'attachant àPauline et à Sévère.

La situation de Pauline leur paraissait piquante : que doit faire une femme mariée qui sentqu'elle aime encore un autre homme ou qu'elle va l'aimer ? Personne ne se méprit sur les intentions de Mlle deScudéry quand, au troisième tome de son Cyrus, elle mit en présence Tisandre (Polyeucte), Alcyonide (Pauline) etThrasybule (Sévère).

Elle voulait reprendre la pièce de Corneille et lui donner le dénouement que le public des salonsattendait.

Tisandre meurt et, avant de mourir, il lègue sa femme à Thrasybule et Alcyonide donne sonconsentement.

La Princesse de Clèves, dans le roman de ce nom, se montre plus intransigeante qu'Alcyonide, bienqu'elle aime Nemours et que son mari soit mort ; mais il y a dans son attitude un tel mélange de désenchantement,de scepticisme et de fatigue que nous ne sommes plus sur le plan romanesque où Corneille et Mlle de Scudéry ontvoulu établir Pauline, l'un pour l'élever ensuite vers Dieu, l'autre pour l'incliner à une solution terrestre. Les faits sont certains.

Mais pourquoi donc le XVIIe siècle en général a-t-il mal compris et peu goûté la tragédie deCorneille ? Les hommes de ce temps sont chrétiens.

Ils croient à la sainteté et au martyre et ils n'auraient pas l'idée des'intéresser à la pièce de Corneille comme à la reconstitution archéologique d'un monde effacé.

Ils la prennent ausérieux.

Ils comprendraient le spectacle du martyre, nettoyé de tout mélange humain, présenté dans un lieu décent,pour l'édification du peuple fidèle ; ce serait une sorte de liturgie qui est excellente en son lieu.

Mais Corneilles'empare de ce martyr, il le transporte dans la vie familière, il le représente comme un mari qui aime sa femme et il lemêle à un roman d'amour.

Et c'est cela qui les choque.

Les meilleurs, parmi eux, ont une sorte de pudeur jansénistequi les incline à croire que la religion est dégradée lorsqu'elle touche la réalité vulgaire, quand ses mystères sonttraînés sur les planches et représentés par des hommes et des femmes dont la profession est décriée et qui sontmême des excommuniés.

On comprend leur souffrance qui a une noble source. Mais j'imagine que la plupart ne l'éprouvaient pas et que leur gêne s'explique par d'autres motifs.

Disciples deMontaigne et de Descartes, ils avaient établi une séparation très nette entre la religion et la vie, la religionconsidérée comme un ensemble de prescriptions et de rites, à quoi on satisfait dans le privé ou dans certainescirconstances publiques déterminés, et la vie qui est régie par la sagesse humaine, par la coutume, et qui estordonnée vers le plaisir que nous devons nous donner les uns aux autres, étant constitués en société.

Pas plus qu'iln'apporte dans la vie de société ses inquiétudes personnelles, les préoccupations familiales, les habitudesprofessionnelles, l'honnête homme n'y apporte sa religion et n'y fait montre de sa dévotion.

C'est une sorte depacte.

Corneille brise le pacte.

Le saint personnage qu'il nous présente jette l'héroïsme religieux tout au travers dela famille et de la société.

Il trouble la famille puisqu'il abandonne sa femme et la lègue comme un objet à sonpremier « amant » ; il trouble la société, puisqu'il va bouleverser par un zèle intempestif une cérémonie officielle et. »

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