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J. Gracq, La Presqu'île

Publié le 21/02/2011

Extrait du document

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Simon, le héros, goûte, pendant tout un après-midi, à bord de sa voiture, aux charmes d'une promenade à travers la campagne bretonne. Il vient d'arriver au village fortifié de Coatliguen, où il décide de faire halte. (...) Dès qu'on avait quitté la place et qu'on entrait dans l'ombre des maisons, le soir était assis dans les ruelles, surveillées seulement du coin des seuils par l'oeil mi-clos des chats prudents. Le bruit du moteur une fois arrêté, le silence étourdissait un peu Simon : peu de monde à cette heure dans les ruelles pleines de courants d'air, qui, plutôt que pour des passants de chair, paraissaient faites pour des apparitions plus fuyantes ; un tourbillon de feuilles sèches, l'éclair d'un linge séchant à l'appui d'une fenêtre, ou la robe voletante d'un prêtre dans l'éloignement. Le bruit de ses pas sur le pavé de la rue retentissait contre le pavé des façades ; au long de ces venelles coudées il lui semblait se promener dans une oreille de pierre. L'exaltation qu'il avait ressentie sur la route était tombée ; cette citerne de froid et de silence entre ses margelles de pierre le dégrisait. Le froid, le silence, l'immobilité, la nuit, il les avait toujours aimés, mais parfois, au creux d'une forêt, devant une mare dormante, dans l'accueil figé d'une pièce vide, il les touchait 1 du doigt tout à coup comme une promesse glacée, un état final, dernier, qui une seconde laissait tomber le masque — ses soirées surtout, à la tombée du jour, étaient pleines de ces paniques mal domestiquées. Il sentait distinctement la fraîcheur tomber sur ses épaules ; il frissonna, fâché de sa promenade, rebroussa chemin vers la porte de la ville, que l'ombre des maisons coupait maintenant à mi-hauteur. Au haut de la tour qui la coiffait le soleil brûlait les touffes de giroflées des corniches et enflammait le cadran de l'horloge. Le cri des corneilles tombait sur la ruelle avec le soir. Plus résonnant, plus prolongé, plus caverneux, on eût dit, entre ces pierres affinées par la vibration des cloches.

J. Gracq, La Presqu'île.

Vous ferez un commentaire composé de ce passage. Vous pourriez étudier par exemple comment le romancier, à partir d'une description réaliste, introduit peu à peu le lecteur dans un univers étrange et inquiétant. Mais ces indications ne sont pas contraignantes : vous avez toute latitude pour orienter votre lecture à votre gré.

REMARQUE

Julien Gracq (né en 1910), fut à ses débuts très proche du surréalisme. Il a créé un univers romanesque très original, pénétré de rêve. La Presqu'île (1970) est un recueil composé de trois nouvelles. Ce texte est extrait de la deuxième d'entre elles.

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« une ville avec une « citerne de froid et de silence entre ses margelles de pierre ».

La fin du texte laisse place à cequi est encore une image peu courante : « ces pierres affinées par la vibration des cloches ». 2.

Le symbolisme du cadre.Les différents éléments de la scène peuvent être riches de signification : le soir, la venue de l'ombre évoquent lamort, tout comme la fraîcheur qui tombe.

La ville déserte confirme cette impression, renforcée encore par ce qu'onen voit.

En effet, les chats sont souvent les symboles d'un certain mystère, les corneilles sont des oiseaux funestes(d'autant que leur cri est « caverneux ») ; les « apparitions » (mot qui place déjà la ville dans une atmosphèreparticulière) peuvent d'une certaine façon être rattachées à la mort (c'est le cas des feuilles sèches, du prêtre, à larigueur, qui, en tout cas, représente une religion invoquée à la fin de la vie).

Enfin l'horloge, à la fin du texte,marque le temps qui passe. 3.

De l'exaltation à l'angoisse : la montée de l'idée de la mort.Le personnage est d'abord un peu dépaysé (« le silence étourdissait un peu Simon »), puis « dégrisé » (« l'exaltationqu'il avait ressentie sur la route était tombée ») par cette atmosphère.

L'auteur remarque qu'il est familier des idéesliées à la mort (« le froid, le silence, l'immobilité, la nuit...

»), mais que ce moment correspond à une irruptionparticulière de ces considérations, qu'il développe d'ailleurs ici avec une insistance qui montre leur force (« unepromesse glacée, un état final, dernier, qui une seconde laisse tomber le masque »).

Cette promenade se terminebrusquement en une « de ces paniques mal domestiquées », l'instinct lui commande un comportement peu logique («fâché de sa promenade, rebroussa chemin...

»), et les dernières observations auxquelles il se livre sont plus quejamais en rapport avec l'idée de la mort. CONCLUSION On assiste dans ce texte à un phénomène remarquable : par une sorte d'enchantement, un paysage ressenti commeétrange « investit » proprement un homme, lui donnant l'occasion de penser très intensément à la mort.

Ainsi, unvillage peut-être quelconque acquiert, à un très fort degré, une présence mystérieuse.

Pour Julien Gracq, lalittérature, même romanesque, a pour fonction de lire le réel, et d'en révéler l'inconnu.. »

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