J. Vallès, L'Enfant, chapitre XIX, "Louisette"
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
Ma mère vit mon chagrin le jour de l'enterrement.
"Tu ne pleurerais pas tant, si c'était moi qui étais morte ?"
Ils m'ont déjà dit ça quand le chien est crevé.
"Tu ne pleurerais pas tant."
Je ne dis rien.
"Jacques ! quand ta mère te parle, elle entend que tu lui répondes… - Veux-tu répondre ?"
Je n'écoute seulement pas ce qu'ils disent, je songe à l'enfant morte, qu'ils ont vu martyriser comme moi, et qu'ils ont laissé battre, au lieu d'empêcher
M. Bergougnard de lui faire du mal ; ils lui disaient à elle qu'elle ne devait pas être méchante, faire de la peine à son papa !
Louisette, méchante ! cette miette d'enfant, avec cette voix tendre et ce regard mouillé !
Voilà que mes yeux s'emplissent d'eau, et j'embrasse je ne sais pas quoi, un bout de fichu, je crois, que j'ai pris au cou de la pauvre assassinée.
"Veux-tu lâcher cette saleté !"
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Ma mère se précipite sur moi. Je serre le fichu contre ma poitrine ; elle se cramponne à mes poignets avec rage.
"Veux-tu le donner !
- C'était à Louisette…
- Tu ne veux pas ? – Antoine, vas-tu me laisser traiter ainsi par ton fils ?"
Mon père m'ordonne de lâcher le fichu.
"Non, je ne le donnerai pas.
- Jacques", crie mon père furieux.
Je ne bouge pas.
"Jacques ! " Et il me tord le bras.
Ils me volent ce bout de soie que j'avais de Louisette.
"Il y a encore une saleté dans un coin que je vais faire disparaître aussi", dit ma mère.
C'est le bouquet que me donna ma cousine.
Elle l'a trouvé au fond d'un tiroir, en fouillant un jour.
Elle va le chercher, l'arrache et le tue. Oui, il me sembla qu'on tuait quelque chose en déchirant ce bouquet fané…
J'allai m'enfermer dans un cabinet noir pour les maudire tout bas ; je pensais à Bergougnard et à ma mère, à Louisette et à la cousine…
Assassins ! assassins !
Cela sortait de ma poitrine comme un sanglot, et je le répétai longtemps dans un frisson nerveux…
Je me réveillai, la nuit, croyant que Louisette était là, assise avec son drap de morte, sur mon lit. Il y avait son bras grêle qui sortait, avec des marques de coups !
Le récit est pathétique: on s'apitoie sur le sort des enfants, innocents et fragiles, martyrisés par leurs parents. La douleur du narrateur se communique au lecteur.
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