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Lecture analytique de « la mort de Louisette », extrait de L'Enfant, de Vallès.

Publié le 02/10/2010

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L’Enfant de Jules Vallès, écrit en 1879, est un roman autobiographique. Sous le pseudonyme de Jacques Vingtras, il aborde son enfance, composée de larmes, de hontes, de coups mais aussi de joies. L’intérêt du roman est de parler au nom de nombreux autres enfants, qui comme l’auteur auront souffert durant leur enfance.

En effet, L’Enfant est l’histoire d’un héros victime du monde qui l’entoure mais le livre évoque également d’autres personnages importants comme la petite Louisette au chapitre 19. Fille d’un ami de la famille, elle meurt à dix ans des mauvais traitements infligés par son père M. Bergougnard. Dans cet extrait, nous constatons les sentiments violents que cette mort fait naître chez Jacques.

En quoi cet épisode constitue-t-il une étape importante dans la construction de la personnalité du héros ?

Nous montrerons que c’est un passage pathétique et tragique. Puis nous verrons qu’il est à l’origine de la révolte et du sentiment d’injustice du narrateur.

 

Premièrement, de ce passage se dégage une atmosphère pathétique et tragique.

Tout d’abord, ce récit, par la forte impression d’injustice qu’il éveille, relève du registre pathétique. Il suscite chez le lecteur une réaction de peine lorsque l’on apprend que la petite Louisette meurt sous les coups : « elle mourut à dix ans, de douleur, vous dis-je ! « (l.15-16). Des sentiments d’injustice, d’effroi et de pitié nous envahissent, ce qui est mis en abyme par les réactions de Jacques qui pleure et est impuissant face à cette mort : « mon chagrin « (l.18). On a le champ lexical de la tristesse : « chagrin «, « pleurerais «, « mes yeux s’emplissent d’eau «. La ponctuation expressive montre aussi que le narrateur est en train de réagir, de se poser des questions et de trouver des réponses. Les points d’exclamation, d’interrogation et de suspension sont nombreux et nous prouvent que l’esprit du narrateur est chamboulé : « assassins ! «. Jacques est d’autant plus touché qu’il s’identifie à Louisette - «comme moi « (l.28) – et commence à mesurer l’ampleur que peut prendre le combat contre la violence.

Ainsi, cette bataille perdue d’avance est marquée par une ambiance tragique. C’est d’abord la notion de « destin « qui apparaît, typique du tragique : « elle savait que toute petite encore elle allait mourir « (l.13). Jacques, comme un héros tragique, se sent impuissant et vide, empêché d’agir pour mettre fin à cette horrible fatalité. Par ailleurs, la mort est bien présente avec son champ lexical : « l’enfant morte « (l.12). La scène présente aussi un retournement de situation avec un passage du bonheur au malheur : « toute gaie « (l.6), « une grimace « (l.10). D’ailleurs, Jacques se réfugie dans « un cabinet noir « (l.61), lieu tragique symbolique où il va cacher sa peine. A la fin du passage, Jacques est réellement « hanté « par la petite morte comme si elle lui reprochait de n’avoir rien fait, ce qui est aussi une thématique tragique.

Enfin, la narration est construite tout entière dans le but de mettre en relief ces registres pathétique et tragique. Les phrases sont courtes, le texte est coupé d’alinéas qui constituent des pauses dans le récit : « Je ne dis rien « (l.14). L’abondance de blancs typographiques accentue l’effet de bouleversement du narrateur. Le texte prend ainsi une solennité tragique. On entre également dans les pensées de Jacques par le recours au monologue intérieur ce qui souligne son émotion : « voilà que mes yeux s’emplissent d’eau « (l.24). Le présent de narration utilisé à plusieurs reprises a également pour fonction de nous introduire au plus près des émotions du texte.

Ainsi, la mort de Louisette est racontée pour faire en même temps peur et pitié au lecteur qui ne peut être que touché par le sort réservé à la petite. Mais ce texte constitue aussi un tournant dans le roman : les émotions du jeune garçon sont si violentes qu’elles l’amènent à une révolte qui annonce sa prise d’autonomie progressive dans l’œuvre.

 

Dans un deuxième temps, la révolte du narrateur est provoquée par l’épisode tragique de la mort de Louisette.

Tout d’abord, Jacques est très affecté. Il décrit la dégradation physique et psychique de la petite en utilisant des comparaisons : « comme un chien qu’on bat « (l.3). Au début il l’évoque comme un bouquet frais, puis en opposition il décrit son état ensuite, en utilisant le champ lexical de la mort rapide et douloureuse : « ce ne fut pas long « (l.11), « blanche comme la cire « (l.12). L’auteur appuie sur ce fait par des antithèses qui montrent qu’il considère cette mort comme un scandale et ne s’y résigne pas : « si vieille […] à dix ans «, « son sourire […] une grimace « (l.13). Par ailleurs, cette mort est vécue comme un traumatisme qui explique la révolte du narrateur. On le voit en particulier lorsqu’il croit l’apercevoir après sa mort. Contrairement à d’autres extraits, il n’y a pas d’ironie ici, juste une profonde tristesse.

Ainsi, Jacques est amené à faire le bilan de sa vie et de son éducation, ce qui constitue un premier pas vers la rébellion. En effet, il n’écoute plus ses parents – « je ne dis rien « (l.24) - qui sont jaloux de son malheur : « Tu ne pleurerais pas tant « (l.23). Jacques comprend que sa mère est jalouse de son affection pour Louisette. Elle insulte des objets sacrés pour lui –« saleté « (l.40) et lui « tue « tous ses souvenirs matériels les plus précieux, ceux de Louisette et des cousines : « ils me volent ce bout de soie « (l.51), « on tuait quelque chose en déchirant ce bouquet fané « (l.59). Le bouquet fané fait aussi poétiquement référence à Louisette qui, arrivée comme un bouquet de fleurs fraîches, s’était fanée de douleur. L’indifférence des parents pour la jeune morte fait naître en lui un sentiment de haine. Jacques réalise également la monstruosité de ses parents en la comparant à celle de M. Bergougnard : « martyriser comme moi «. Il va se révolter.

En effet, le héros commence à réagir face à ses parents. Il  les accuse de leur silence face aux mauvais traitements infligés à la petite : «  qu’ils ont laissé battre « (l.29). Ils ont plutôt enfoncé Louisette dans son malheur en lui disant qu’ « elle ne devait pas être méchante « (l.32). Le chagrin et l’amertume de Jacques redoublent à cette pensée, c’est ainsi que pour la première fois il désobéit à sa mère : « Tu ne veux pas ? « (l.47). De ce fait, la révolte, inconsciente pour l’instant, que le héros est en train de construire, se renforce davantage. Il résiste aussi bien à la mère qu’au père qui croit de son devoir d’intervenir et échoue : « Veux-tu répondre ? – Je n’écoute seulement pas ce qu’ils disent. « (l.25). L’autorité bafouée du père et de la mère se transforme alors en violence physique, et là aussi la violence se heurte à la résistance de Jacques : « et il me tord les bras – je ne bouge pas« (l.44). La lutte silencieuse suit ainsi une gradation jusqu’au moment où la révolte devient verbale : « Non je ne la donnerai pas « (l.47). Il finit par exprimer hautement sa révolte par la malédiction qu’il formule – « les maudire tout bas «- et la répétition du mot « assassins ! « qui montre qu’il n’est plus dupe de l’éducation reçue. Même ses rêves crient à l’injustice : « il y avait son bras grêle avec des marques de coups « (l.67).

 

Ainsi, ces événements tragiques et pathétiques font réagir avec force le héros. Ce passage constitue  une étape importante dans le roman de formation car le personnage va devoir désormais trouver les moyens de sa révolte pour s’affranchir de ses oppresseurs. La rencontre avec la mort d’une si petite fille joue pour lui le rôle d’un électrochoc.

Il faudra néanmoins encore du temps à Jacques pour parvenir à une totale « libération «, qui constituera le titre du dernier chapitre.

 

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