Jacques Prévert : « Familiale », extrait de Paroles

La mère fait du tricot Le fils fait la guerre Elle trouve ça tout naturel la mère Et le père qu'est-ce qu'il fait le père? Il fait des affaires Sa femme fait du tricot Son fils la guerre Lui des affaires II trouve ça tout naturel le père Et le fils et le fils Qu'est-ce qu'il trouve le fils? II ne trouve rien absolument rien le fils Le fils sa mère fait du tricot son père des affaires lui la guerre Quand il aura fini la guerre II fera des affaires avec son père La guerre continue la mère continue elle tricote Le père continue il fait des affaires Le fils est tué il ne continue plus Le père et la mère vont au cimetière Ils trouvent ça naturel le père et la mère La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires Les affaires la guerre le tricot la guerre Les affaires les affaires et les affaires La vie avec le cimetière.

Lorsque la guerre s’achève en 1918, Jacques Prévert est malgré tout mobilisé. L’armée l’expédie au Proche-Orient. A son retour, un groupe qui rassemble le peintre Yves TanguyF358C, Raymond QueneauF358A, Georges Sadoul et Marcel Duhamel, se retrouve régulièrement rue du Château à Paris. Les uns et les autres ne sont pas indifférents à la corrosion et au dérèglement que le surréalismeK011 introduit dans toutes les formes d’expression. Parce que le surréalismeK011 se veut aussi affaire de révolution, il arrive que Prévert écrive des textes pour les représentations politiques que ses amis donnent parfois à la sortie des usines. C’est par cette activité de dialoguiste qu’il est d’abord reconnu. Il est le dialoguiste et le scénariste de films tels que Drôle de drame (1937), Quai des brumes (1938), Le jour se lève (1939). Pendant le temps de l’Occupation, il est encore l’auteur des scénarios et des dialogues des Visiteurs du soir et, une fois de plus, collabore avec le réalisateur Marcel Carné pour Les Enfants du paradis. C’est après la guerre que, dans le milieu de Saint-Germain-des-Prés, on découvre une autre facette de l’écriture de Prévert, ses poèmes. Paroles ou Histoires, qui paraissent tous deux en 1946, deviennent aussitôt les livres d’une génération ; qui plus est, le compositeur Kosma donne aux textes de Prévert une autre dimension en en faisant des chansons populaires, comme Les Feuilles mortes. Les collages de Prévert qui paraissent entre autres dans son livre Fatras en 1966, ont, comme ses textes, la verve des calembours, la drôlerie des tête-à-queue et le charme et la générosité d’une intelligence qui ne se prend jamais au sérieux.