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Je me souviens d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville: Les Confessions de Rousseau

Publié le 22/02/2012

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rousseau

Je me souviens d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je me rappelle pas lequel des deux. Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé. Il avait fait très chaud cej our-là ; la soirée était charmante ; la rosée humectait l'herbe flétrie ; point de vent, une nuit tranquille ; l'air était frais, sans être froid ; le soleil après son coucher avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexions rendait l'eau couleur de rose ; les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient l'un à l'autre. Je me promenais dans une sorte d'extase, livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie, je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade sans m'apercevoir que j'étais las. Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d'une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ; le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ; un rossignol était précisément au-dessus de moi ; je m'endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux en s'ouvrant, virent l'eau, la verdure, un paysage admirable. Je me levai, me secouai, la faim me prit, je m'acheminai gaiement vers la ville, résolu de mettre à un bon déjeuner deux pièces de six blancs (*) qui me restaient encore. J'étais de si bonne humeur, que j'allais chantant le long du chemin. Jean-Jacques Rousseau, Confessions.    (*) Pièce    de petite monnaie.    SUJET    Sous forme de commentaire composé, vous expliquerez ce texte en montrant comment le site et les circonstances concourent à créer chez l'auteur un sentiment de bonheur presque parfait.     

Introduction    ■ Les Confessions :    — justification,    — souvenirs souvent sublimés.    ■ Ici souvenir d'une nuit « délicieuse «.    ■ Art simple et subtil. Page musicale.    Première partie : Rousseau livre son âme, au cours du rappel du passé.    ■ « Bouquet d'impressions et de sensations «.    ■ Ce n'est pas une description.    ■ Rien de précis dans le lieu ni le temps.    ■ Impressions visuelles, tactiles, auditives.    ■ Rythme imitatif des phrases.    ■ Tout est délicatesse de rêve et de bonheur.    Deuxième partie : bonheur qui se résout même en extase.    ■ Le sentiment de joie domine.    ■ Le bonheur, pour Rousseau, ne peut se concevoir qu'hors de la ville, dans la Nature.    ■ Joie instinctive d'un jeune vagabond libre de toute entrave.    ■ Rêverie consciente, puis « sorte d'extase «.    ■ Mais joie dépourvue d'égoïsme, de mesquinerie.    ■ Douceur lente de la phrase ou au contraire coupes rythmiques.    Conclusion   

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« Page justement célèbre. Presque un poème en prose. Portée universelle. Cf.

Baudelaire.

Très différentes des Essais de Montaigne — récit des expériences de la vie de ce penseur —, les Confessions deRousseau sont à la fois justification et souvenirs souvent sublimés.

Persécuté et malade, le grand « philosophe » decette 2e moitié du 18e s.

désire démontrer que ses fautes et ses malheurs furent le fait d'une civilisation quidéforme l'homme.

Mais il se complaît aussi à évoquer les épisodes heureux de sa vie, comme ici où il se rappelle unenuit « délicieuse », passée à la belle étoile quand, en 1731, revenant de Paris, il effectue à pied son voyage versChambéry, où il doit retrouver « Maman », sa protectrice Mme de Warens.

C'est un art prenant, à la fois simple etsubtil, qui préside à cette page musicale.

Rousseau livre sort âme au cours du rappel du passé, faisant jaillir — en unparfait modèle de mémoire affective — un bouquet d'impressions et de sensations, rendues dans toute leur vivacitéet leur fraîcheur.

Mais comme le vieil homme malheureux n'a plus qu'une seule façon de vivre vraiment, c'est derevivre les douces heures d'autrefois, il atteint, dans ce rappel, un bonheur qui devient même de l'extase. * * « Bouquet d'impressions et de sensations » ! En effet ce n'est pas une véritable description qui nous est offerte.Tout demeure assez flou dans le lieu et dans le temps.

Il s'agit d'un « chemin » bien sûr, mais il côtoie«le Rhône oula Saône ».

Ce ne sont pas les précisions géographiques qui comptent, mais Y image qui demeure et ses lignes :celles du « chemin », d'une part, parallèle à l'eau courante, d'autre part « des jardins en terrasse », au dessin mi-rectiligne, mi-fantaisiste, qui le surplombent.

Quant au jour, à la date : autant d'imprécision ; sans doute fin deprintemps ou été, car « il avait fait très chaud ce jour-là ».

Donc tout demeure sous forme d'impressions visuellesd'abord, puis tactiles ; la chaleur écrasante de la journée, suivie d'une fraîcheur agréable et reposante : « l'air étaitfrais sans être froid » (octosyllabe dans cette prose rythmée).

La qualité de l'air, à laquelle Rousseau est toujourstrès sensible, l'a frappé au point qu'il la rappelle par le rythme des phrases courtes, à la cadence lente, imitative desouffles qui se posent (cf.

Hugo : « Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala » dans Booz Endormi) : « point devent,/une nuit tranquille » (encore un octosyllabe !).

De nouvelles sensations visuelles : ciel aux « vapeurs rouges», « eau couleur de rose » et auditives (chères à ce grand musicien : se rappeler que Rousseau fut d'abord célèbregrâce au succès de son opéra Le Devin de Village) remontent à la mémoire par bouffées.

Tout à la délicatesse durêve et du bonheur.

Rien ne choque brutalement les sens.

Pourtant Rousseau présente en réalité un coucher desoleil.

Mais que nous sommes loin des futures palettes mordorées et rougeoyantes des Romantiques et surtout desParnassiens ! (tel, chez Heredia : « Ferme les branches d'or de son rouge éventail »).

Les teintes deviennent pastel,grâce à la « réflexion » dans l'eau.

Quant à l'oreille, elle est comblée autant que l'œil par une « réflexion » auditivede « chants se répond [ant] l'un à l'autre ».

Une telle symphonie de sensations poétise la scène ; elle persiste aucours du sommeil où images (« ciel de lit...

formé par les têtes des arbres ») et sonorités (« un rossignol était...

au-dessus de moi », « je m'endormis à son chant ») se confondent pour rendre « doux » le«sommeil » du jeune homme.Elle éclate au réveil où, comme après l'andante puis la berceuse, le « tempo di marcia » salue brillamment le « grandjour ».

Un bruit léger (« eau ») perçu visuellement (« virent » ; véritable correspondance avant Baudelaire) ; couleur(« verdure ») et beauté (« paysage admirable ») entraînent le garçon à des réactions de jeune animal qui s'ébroue(« je me secouai ») avant de chercher sa pâture, car « la faim pr[end] » tout être sain au réveil.

Sa dernièresensation est toute d'activité : le voilà reparti sur les routes, lui qui écrira dans l'Emile : « Je ne conçois qu'unemanière de voyager plus agréable que d'aller à cheval, c'est d'aller à pied.

On part à son moment, on s'arrête à savolonté...

Partout où je me plais, j'y reste.

A l'instant que je m'ennuie, je m'en vais ». * * * Pas de « manière...

plus agréable » ! C'est ce sentiment de joie qui domine, d'autre part, ce passage.

Deuxépithètes en donnent la note fondamentale : « délicieuse » et « charmante ». Voilà le bonheur, et il ne peut se concevoir pour Rousseau qu'hors de la ville, loin des plaisirs décevants de lacivilisation, dans la nature pour laquelle son amour est ici à la fois profond et rudimentaire.

Il ne s'agit pas desexaltations mystiques de la 3 e Lettre de M.

de Malesherbes ou de la 5 e Promenade des Rêveries d'un promeneursolitaire.

C'est simplement la joie d'un jeune vagabond libre de toute entrave.

Une fusion indistincte de sensationssubtiles touchent ses sens et, à travers eux, son cœur.

Le monde physique pénètre son âme et y rejoint le bonheurd'être libre.

Une véritable«jouissance », celle de « tout cela » l'envahit ; il s'y livre sans réflexion.

Mais il n'est paspassif, comme dans certaines rêveries « où l'âme se réduit alors à la simple conscience de la vie organique etvégétative », et qu'il analyse dans le paragraphe qui suit ce passage.

Ici, il s'agit d'une rêverie consciente, non d'un« ravissement ».

Cependant la joie atteint une « sorte d'extase » dont la seule ombre est « le regret de jouir seul »de son bonheur.

C'est donc une joie dépourvue d'égoïsme jaloux et mesquin.

La phrase : « Je me promenais ...

jouirseul » est plus longue que les précédentes, sans coupes rythmiques, et suggère la « douceur » de la promenade, dela rêverie heureuse ; seule la lassitude physique, le besoin naturel de dormir pourront l'interrompre.

Mais lajouissance n'est pas, elle, interrompue ; les préparatifs sont joyeux : il aime bien mieux « la tablette d'une espècede niche ...

enfoncée dans un mur » et un ciel de lit composé des « têtes des arbres » que le plus beau palais ! Il. »

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