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Jean GIONO, Refus d'obéissance

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

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Dans Refus d'obéissance, publié en 1937, le romancier Jean GIONO explique les raisons de son pacifisme au moment où chacun sent l'imminence d'un second conflit mondial. Il commence par évoquer ses quatre années de combat lors de la Grande Guerre et les traces indélébiles que tout son être en garde. Je ne peux pas oublier. Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois' deux jours ou t'ois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l'entends, je la subis encore. Et j'ai peur. Ce soir est la fin d'un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L'air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L'horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque. J'ai été soldat de deuxième classe dans l'infanterie pendant quatre ans, dans des régiments de montagnards. Avec M. V., qui était mon capitaine, nous sommes à peu près les seuls survivants de la première 6e compagnie. Nous avons fait les Eparges, Verdun-Vaux, Noyon-Saint-Quentin, le Chemin des Dames, l'attaque de Pinon, Chevrillon, le Kemmel. La 6e compagnie a été remplie cent fois et cent fois d'hommes. La 6e compagnie était un petit récipient de la 27e division comme un boisseau à blé. Quand le boisseau était vide d'hommes, enfin quand il n'en resta4 plus que quelques-uns au fond, comme des grains collés dans les rainures, on le remplissait de nouveau avec des hommes frais. On a ainsi rempli la 6e compagnie cent fois et cent fois. Et cent fois on est allé la vider sous la meule. Nous sommes de tout ça les derniers vivants, V. et moi. J'aimerais qu'il lise ces lignes. Il doit faire comme moi le soir : essayer d'oublier. Il doit s'asseoir au bord de sa terrasse, et lui, il doit regarder le fleuve vert et gras qui coule en se balançant dans des bosquets de peupliers. Mais, tous les deux ou trois jours, il doit subir comme moi, comme tous. Et nous subirons jusqu'à la fin. Jean GIONO, Refus d'obéissance, 1937. 1. Le pronom personnel dominant est celui de la première personne du singulier, « je », indice du genre autobiographique (ou, du moins, d'un récit à focalisation dite interne) : le narrateur y raconte des souvenirs personnels (en l'occurrence, il s'agit d'une guerre qu'il ne peut oublier). A ce « je » s'oppose l'indéfini « on » : les autres hommes (« on va couper les blés »), ceux qui n'ont pas connu cette guerre ; dans le paragraphe suivant, le « on » représente l'anonyme responsable du massacre : « on a rempli la 6e compagnie », etc. Le pronom choisi renvoie à l'idée de déshumanisation. Plus loin dans le texte apparaît enfin un « il » (V., le capitaine survivant) : « il doit faire comme moi », que le narrateur rapproche de lui-même, ce que vient confirmer le pronom « nous » qui les englobe. Ce « nous » qui marque un élargissement progressif du texte, englobe finalement TOUS les survivants (« il doit subir comme moi, comme tous ») le drame de Giono est celui de tous les soldats qui survécurent à la boucherie. 2. « La compagnie était un premier récipient » : telle est la première image, une métaphore qui vise à assimiler les hommes à des choses. La comparaison suivante (« comme un boisseau à blé ») confirme l'idée que les hommes sont traités non en hommes mais en produits bons à être consommés : « comme des grains », « remplis », « meule ». Les hommes sont du blé. Peu importe leur nombre, ce qui compte c'est l'usage qu'on en fait. Dernière et terrible image : les survivants n'ont ni plus ni moins d'importance que des grains qui restent « collés dans les rainures ». C'est le hasard qui seul est responsable de cette survie, non une volonté humaine délibérée. Plan I. Les réalités de la guerre : — la guerre vue par un soldat ; — la précision des faits et des lieux ; — la déshumanisation (les hommes grains de blé). II. Sérénité présente de la nature : — le paysage du narrateur ; — le paysage du capitaine. III. Traumatismes : — le passé déborde sur le présent ; — « subir » toujours la guerre ; — le sentiment d'une faute que rien ne peut laver. Introduction Les principales phases de la « grande guerre » (1914-1918) ont été bien souvent décrites par ceux-là mêmes qui les vécurent : soit pour les glorifier, soit, le plus souvent, tels Barbusse dans le Feu, Dorgelès dans les Croix de bois ou Céline dans les premières pages du Voyage au bout de la nuit pour en dénoncer les horreurs. La guerre fait d'ailleurs partie des sujets les plus volontiers traités par les écrivains. Avec Giono, nous sommes loin d'une description des combats : le temps a passé, mais les traumatismes demeurent chez les survivants. Plus grave, en 1937, de lourdes menaces se profilent à l'horizon. Pour éviter une nouvelle guerre, le pacifiste militant qu'est Giono écrit Refus d'obéissance. Dans l'extrait proposé, la guerre est encore concrètement présente et précisément évoquée, malgré le temps et le décor environnant qui invitent plutôt à la paix. Mais n'y a-t-il pas des blessures dont on ne guérit jamais ?
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« ? 1.

Les réalités de la guerreLes réalités de la guerre apparaissent essentiellement dans le deuxième paragraphe de l'extrait, sous la forme d'unrécit rétrospectif au passé : le ton est d'abord celui d'une relation objective des faits à l'état brut : « j'ai été soldatde deuxième classe », par exemple.

L'utilisation de la première personne donne au texte l'aspect d'un témoignageauthentique ; en outre, le témoin est un humble soldat, un « sans grade », qui a servi dans « l'infanterie », « dansdes régiments de montagnards » (Giono est originaire de ce qui ne s'appelait pas encore alors les Alpes de Haute-Provence, terre de montagne âpre et escarpée autour de Manosque) ; victime exemplaire, banale en quelque sorte,de cette guerre, d'autant mieux placée de ce fait pour en parler : un homme parmi les autres, qui utilise un langagesimple, voire familier : « des fois », non pas un écrivain célèbre...

Ce sentiment de vérité est encore renforcé par laprécision de certaines remarques comme et 6' compagnie » et « 27' division ».Les lieux sont cités avec la même précision et la même simplicité ; mais ils évoquent désormais, dans la mémoirecollective des hommes, des combats sanglants et impitoyables.

Derrière la litanie des noms énumérés, « les Eparges,Verdun-Vaux, Noyon-Saint-Quentin, le Chemin des Dames, l'attaque de Pinon, Chevrillon, le Kemmel », toutel'horreur de la prétendue grande guerre qui est montrée ; il s'agit de la liste non exhaustive des massacres les pluscélèbres...

Les chiffres enfin donnent à leur tour poids et impression de vérité : vingt ans après, ces « quatre ans »pèsent lourd, plus lourd que tout ; quatre années d'horreur, seulement suggérées par des noms de lieux devenusthéâtres de combats, nu encore des nombres répétés plusieurs fois, « la 6e compagnie a été remplie cent fois etcent fois d'hommes » ; « on a ainsi rempli la 6e compagnie cent fois et cent fois » : les répétitions à quelques lignesde distance contribuent à créer ce climat d'atrocité.

Ces hommes qui remplissent « le boisseau » remplacent lesmorts au fur et à mesure ; la guerre devient, de façon allégorique, une mangeuse insatiable de soldats.La mort en effet, ou la guerre, transforment ces hommes en objets : ainsi la « compagnie » devient simple «boisseau » à blé.Déshumanisation sur laquelle insiste Giono par des expressions comme « quand le boisseau était vide d'hommes [...]on le remplissait à nouveau avec des hommes frais ».

La vie humaine n'a plus aucune valeur.

Les hommes sontdevenus des « grains » de blé.

Seule compte la masse ; qui se soucie des « grains », donc des individus qui lacomposent ? Telle est cette réalité de la guerre : les hommes sont des choses dont on se sert.

« Et cent fois on estallé vider (la compagnie) sous la meule » : la machine à broyer le grain est devenue une machine à broyer leshommes.

Là est le crime commis par ce « on » anonyme, ces gens qui sont responsables des massacres, les chefs,militaires, politiciens, marchands de canon et d'acier, à l'origine de la grande tuerie, et auxquels l'écrivain ne peutqu'opposer un « nous » timide, seul indice d'humanité qui reste au milieu de « tout ça » : « les derniers vivants », «M.V., qui était mon capitaine », seul rescapé du naufrage, avec le narrateur, et auquel, plus ou m'oins, toutes ceslignes sont dédiées ; tous deux vivants, mais marqués jusqu'à la fin de leurs jours par ce qui s'est passé et lesatrocités qu'ils virent, incapables d'oublier malgré la beauté du paysage qui les entoure. 2.

Sérénité présente de la natureDepuis la guerre pourtant, le temps a passé.

Tout autour du narrateur, les choses, la nature sont belles, paisibles,douces : « Ce soir est la fin d'un beau jour de juillet.

» La saison est rassurante, les couleurs sont chaudes, c'estl'été, avec la plénitude des champs de blé mûrs : « La plaine sous moi est devenue toute rousse.

» L'écrivain semblemême dominer, donc maîtriser les choses et le paysage (« sous moi » indique un point de vue surélevé).

« Les blés »sont prêts à être coupés.

Tout semble aller au mieux, dans un ordre retrouvé.

Les éléments sont en harmonie avecl'heure et le cadre : « l'air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes » ; tout paraît concourir à la sérénité, àl'équilibre.

Phrases amples, pleines, douces, qui laissent supposer que l'on croît dans les bienfaits d'une naturetoujours fidèle, toujours aimante.

Mais cette nature idéalisée a ses limites : « l'horreur de ces quatre ans esttoujours en moi ».

Ce souvenir est tellement fort que l'image des blés paisibles laisse bientôt place à la métaphorefilée du deuxième paragraphe où les hommes eux- joies ; malgré le temps qui passe, la vie qui reprend son courscomme le « fleuve vert et gras », le passé demeure plus présent que ce présent même.

Et c'est le destin de tous lescombattants qui est relaté ici : « tous les deux ou trois jours, [ M.V .1 doit subir comme moi, comme tous.

»mêmes sont devenus blés pour être fauchés par la mort avide, transformés en objets sans grande importance.Ainsi malgré la paix officiellement retrouvée et la présence apaisante des éléments fondamentaux, air et terre, lecalme ne revient pas.

Pas plus qu'il n'est revenu en « M.V.

», l'ancien « capitaine » redevenu tout simplement unsurvivant, auquel Giono pense à la fin de l'extrait, et dont il imagine les propres souffrances : car il ne s'agit pas d'unrécit personnel et nombriliste.

Au-delà de la souffrance propre de l'auteur, c'est celle de tous les survivants,marqués à vie par ce qu'ils ont vu, qui est décrite ici...

Hypothèse probable ainsi formulée : « Il doit faire comme moile soir » ; et d'évoquer « sa terrasse » et le paysage à « lui » qui s'étend à ses pieds : « il doit regarder le fleuvevert et gras qui coule en se balançant dans des bosquets de peupliers »...

Paysages différents : à la rousseur desblés se substitue la verdure des peupliers ; à ce ciel et à cette terre évoqués plus haut, a succédé « le fleuve »,l'eau nourricière (le fleuve est « vert et gras », donc porteur de vie généreuse).

Mais peu importent les différences :la, nature est la même, riche et amie, harmonieusement (le fleuve se balance poétiquement — avec des allitérationsen « b » — dans des bosquets et « coule » sans heurt ni obstacle)...

Mais rien ne peut « laver de la guerre », cette« marque » que les soldats, tels les forçats de jadis, portent sur l' épaulé de façon indélébile comme un traumatismeéternel. 3.

Traumatismes. »

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