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La Chute de Camus: Une confidence personnelle ?

Publié le 09/01/2020

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Mais il y a une autre impuissance, aussi grave : celle que Camus ressent devant des événements politiques sur lesquels il ne peut influer, et qui s'aggravera à mesure que durera la guerre d'Algérie. Sa crise de conscience n'est certes pas directement transposée dans celle de Clamence; au moins se pose-t-il, comme son personnage, des questions sur l'utilité de son métier, sur sa manière de se comporter avec autrui (en particulier avec les femmes), sur ses raisons d’être au monde.

Ainsi ce récit, probablement né d’une volonté de polémique, bascule-t-il en grande partie vers une remise en question de soi. Quand un intellectuel polémique avec d'autres intellectuels, il peut arriver un moment où ils sentent que leur polémique les isole du reste de la société; du même coup, elle les rend un peu complices d'un même jeu. Camus dut craindre de partager avec ses adversaires existentialistes une certitude d'avoir raison qui le coupait du monde.

Depuis quelques années déjà, il lui semblait perdre « un peu de cette chaleur de vivre qui l'animait». En décembre 1951, il s'est découvert à la radio un «ton gelé», dédaigneux, exaspérant1. On devine dès à présent le rôle qui pourra être attribué dans La Chute à l'interlocuteur de Clamence. Camus s'est tendu à lui-même un miroir, et il y a découvert un visage où se mêlaient quelque chose de lui-même et quelque chose de ceux qu'il détestait. On pourrait supposer qu'au sein de l'œuvre, l'interlocuteur soit celui qui contemple ce miroir1 2.

Procès d'une époque

Mais dans ce miroir apparaît surtout l'image d'une époque. En mars 1950, Camus avait donné dans ses Carnets une sorte d'allégorie de la société parisienne. « Paris commence par servir une œuvre et la met en avant. Mais une fois qu'elle est établie, c'est alors que le plaisir commence. Il s'agit de la détruire. Il y a ainsi à Paris comme dans certaines rivières du Brésil des milliers de petits poissons dont c'est la tâche. Ils sont minuscules, mais innombrables.

1. D'après R. Quilliot, dans Théâtre, récits..., p. 2009.

2. Sur les interprétations diverses de la nature et du rôle de l'interlocuteur, voir chapitres 7, 8 et 17.

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« l.'.aveu de Camus était plus transparent encore dans la nou­ velle de L:Exil et le Royaume intitulée «Les Muets» où le héros, Yvars, âgé de quarante ans, peine sur sa bicyclette parce qu'à son âge «les muscles ne se réchauffent pas si vite.

[ ...

]À quarante ans, on n'est pas encore aux allongés, non, mais on s'y prépare, de loin, avec un peu d'avance.

[ ...

] l.'.eau profonde et claire, le fort soleil, les filles, la vie du corps, il n'y avait pas d'autre bonheur dans son pays.

Et ce bonheur passait avec la jeunesse >l.

Yvars boîte, mais Camus a d'autres handicaps qui aggravent le poids de son âge et sa nostalgie des joies que procure la pleine liberté du corps.

Le paradoxe est que la tuberculose, dont il souffrit dès l'âge de dix-sept ans, l'ait contraint à ces hauteurs où Clamence plastronne.

Les cimes dont il est question dans La Chute, ce furent d'abord pour Camus celles où étaient bâtis les sanatoriums.

Il confiera que sa «sclérose pulmo­ naire» l'a rendu, comme Clamence, «claustrophobe» 1.

« Le livre pourrait blesser Francine», écrit-il par ailleurs quand il envoie le manuscrit dactylographié de La Chute, au début de 1956, à son amie Vivette Perret2.

Il aima ten­ drement et trompa souvent Francine, son épouse.

Les per­ formances de Don Juan de Clemence pouvaient-elles pas­ ser, aux yeux de celle-ci, pour un déballage de leur vie privée? «Celui-là, tu me le dois», dira Francine à son mari après la publication du livre3.

Mais que pensa-t-elle en lisant ces lignes où Clemence évoque le drame d'un homme qui ne peut s'empêcher de tromper sa femme, à qui il n'a rien à reprocher, et qui, saisi par le remords, finit par la tuer (p.

23)? Il fallait à Francine beaucoup d'abnéga­ tion ou un solide sens de l'humour.

Des confidences plus directes D'autres parentés entre Camus et Clamence sont encore plus directement visibles.

On peut isoler, dans le discours de Clamence, de nombreuses phrases qui ne seraient pas déplacées dans les Carnets de Camus.

Citons 1.

Carnets Ill, p.

241.

2.

Cité dans O.

Todd, Albert Camus, p.

636.

3.

Ibid., p.

637.. »

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