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LA CINQUIÈME (5e) SATIRE DE JUVENAL : LES AVANIES DU « CLIENT »

Publié le 03/05/2011

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I La cinquième Satire nous ramène à cet aspect curieux de la vie romaine, que Juvénal a déjà touché : je veux dire aux rapports entre patron et clients. Tout Romain riche avait sa clientèle, de qui il recevait des services de toute sorte, tandis qu'il assumait la charge d'une rémunération quotidienne, la sportule. Il était passé aussi en usage que, de temps en temps, le patron réunît à sa table quelques-uns de ses clients, pour leur marquer une bienveillance un peu plus personnelle que celle dont l'allocation matinale leur donnait le banal témoignage. Ces invitations tant espérées procuraient-elles toujours aux clients les satisfactions qu'ils en attendaient ? Il y avait lieu pour eux de déchanter, si l'on en croit Juvénal. Et cette cinquième Satire nous apporte une preuve nouvelle qu'entre patrons et clients les liens anciens de confiance, d'affection, d'entr'aide réciproque, s'étaient progressivement desserrés, pour faire place à une simple association d'intérêts, d'une entière aridité sentimentale.

« « Il considère comme au-dessous de lui d'obéir à un vieux client qui ose réclamer quelque chose, et qui est couchéquand il reste debout, lui ! — Les grandes maisons sont pleines de cette valetaille insolente.

» Trebius n'a à sa disposition que quelque esclave d'Afrique, à la main osseuse et noire, « qu'on ne voudrait pasrencontrer vers minuit, quand on circule en voiture, le long des tombeaux, sur les pentes de la Voie latine ».

Et c'esten rechignant que le personnel s'acquitte de son office, auprès de lui et de ses camarades.Du maître de maison, il ne faut attendre ni bonne grâce, ni les plus naturelles attentions.

Il n'a même pas la penséede faire porter une coupe de bon vin à un client qui souffre de l'estomac ; ou simplement de boire à la santé de seshôtes.Ceux-ci ne se risquent guère à élever la voix, fût-ce pour inviter leur « roi » à boire, ainsi qu'il est d'usage dans lesrepas d'amis :« Essaie seulement de desserrer les lèvres, comme si tu portais trois noms, et tu seras traîné par les pieds etdéposé dehors, tel le bandit Cacus frappé par Hercule.

» Ils gardent le silence et se font petits : « Il y a tant de choses qu'on n'ose articuler, quand on porte un habit râpé ! » Voilà encore une de ces réflexions pleines d'amère vérité, comme le poète en rencontre dès qu'il évoque les secrètessouffrances des déshérités.Pourquoi ces indignes traitements ? C'est qu'ils sont pauvres et que Virron n'a aucune raison de les ménager.

Commeil changerait d'attitude, si un coup de fortune venait enrichir l'un d'eux !« Qu'un dieu, qu'un simple mortel semblable aux dieux et meilleur que la destinée, te gratifie de 400.000 sesterces,sorti de ton néant quel ami tu deviendrais du coup pour Virron ! « Donnez donc à Trebius ; servez donc Trebius !Frère, veux-tu un morceau dans le râble même ? » O écus, c'est à vous qu'il rend hommage.

C'est vous qui êtes ses« frères ».Virron marque-t-il à tel ou tel, auquel cette chance n'est pas échue, un commencement de complaisance ? C'estque le bénéficiaire de ces menues attentions n'a pas d'enfants légitimes.

En ce cas, le patron compte bien figurer enbonne place sur son testament, et cette perspective adoucit un peu son humeur.

Si le client n'a qu'une simplemaîtresse et que celle-ci lui donne des enfants, Virron consentira aussi à leur faire quelques gâteries, car lesenfants naturels ne sont pas beaucoup à redouter, ne recevant d'ordinaire qu'une faible partie de l'héritagepaternel.Dès là que l'intérêt ne joue pas, l'égoïsme jouisseur, l'ingratitude cynique, le sans-gêne éhonté reprennent etexercent leurs droits. IIIVoilà une peinture bien noire.

Peut-on dire que Juvénal en ait systématiquement assombri les couleurs, compte tenudes grossissements purement verbaux qu'il se permet pour des effets comiques ?Ici encore des textes contemporains de Juvénal témoignent que ces façons de laisser humer à certaines catégoriesd'invités l'odeur de mets exquis, en ne leur réservant qu'une triste pitance, tendaient à passer en usage.Martial, à qui ses épigrammes valaient beaucoup d'invitations et de cadeaux, mais qui ne se croyait tenu qu'à uneéquitable dose de reconnaissance, fait grief à l'un de ses prétendus bienfaiteurs de lui avoir servi un menu différentdu sien : « Toi, tu gobes des huîtres engraissées dans le lac Lucrin ; moi, je suce une moule, qui m'écorche la bouche.

On teréserve des champignons exquis ; moi, on m'en donne qui sont bons pour les pourceaux.

Tu es aux prises avec unesole ; moi, avec une brême.

Tu te gorges du gras croupion d'une blanche tourterelle ; on me sert, à.

moi, une piedécédée dans sa cage.

Si je soupe avec toi, Ponticus, pourquoi donc soupé-je sans toi ? Puisque la sportule estsupprimée 1, que cela me porte profit mangeons au moins la même chose ! »Il s'en prend ailleurs encore aux combinaisons avaricieuses de ce Ponticus : « Nous autres, nous buvons dans du verre ; toi, Ponticus, dans une coupe de myrrhe.

Pourquoi cela ? C'est de peurque la transparence du récipient ne trahisse la différence des vins ! » Pline le Jeune raconte dans une de ses lettres qu'il lui est arrivé récemment de dîner chez un personnage « quicroyait unir l'économie à la magnificence », mais qui lui a paru à la fois ladre et dépensier.

Il se faisait servir, pour luiet un groupe d'amis, parmi lesquels Pline lui-même, des plats excellents, et réservait à tous les autres convives desaliments communs, et en médiocre quantité.« Le vin était enfermé dans de petites bouteilles et il l'avait réparti en trois catégories, non pour laisser la faculté dechoisir, mais afin d'ôter le droit de refuser : il en avait une pour lui et pour nous ; une autre pour les amis du seconddegré (car il étage ses amis) ; une autre pour nos affranchis et les siens.

». »

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