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La découverte du Voreux par Etienne: Première partie, chapitre I - Germinal de Zola

Publié le 17/01/2022

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Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Étienne, qui s'oubliait devant le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carrée de la pompe d'épuisement. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde. Tout en l'examinant, il songeait à lui, à son existence de vagabond, depuis huit jours qu'il cherchait une place ; il se revoyait dans son atelier du chemin de fer, giflant son chef, chassé de Lille, chassé de partout ; le samedi, il était arrivé à Marchiennes, où l'on disait qu'il y avait du travail, aux Forges ; et rien, ni aux Forges, ni chez Sonneville, il avait dû passer le dimanche caché sous les bois d'un chantier de charronnage, dont le surveillant venait de l'expulser à deux heures de la nuit. Rien, plus un sou, pas même une croûte : qu'allait-il faire ainsi par les chemins, sans but, ne sachant seulement où s'abriter contre la bise ? Oui, c'était bien une fosse, les rares lanternes éclairaient le carreau, une porte brusquement ouverte lui avait permis d'entrevoir les foyers des générateurs, dans une clarté vive. Il s'expliquait jusqu'à l'échappement de la pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relâche, qui était comme l'haleine engorgée du monstre.

Venant de Marchiennes à pied, sans but déterminé, Etienne est un vagabond sans gîte ni travail, dénué de tout ; il va s'arrêter à la fosse du Voreux, attiré pendant sa marche de nuit (il est 3 h du matin) par les trois feux rougeoyants, qui signalent l'emplacement du puits. Il s'y réchauffera, après s'être fait connaître, lui, étranger à la mine, au plus ancien ouvrier, Bonnemort, qui travaille en surface comme charretier. Tandis que Bonnemort transporte, avec son cheval, les berlines de houille que l'on décharge, Etienne procède à un « état , des lieux « rapide. Il fait froid (on est en mars), le vent souffle en bourrasques et la nuit noire ne laisse entrevoir à Etienne, grâce aux trois feux de houille, qui brûlent dans des corbeilles de fonte, que les constructions de la fosse et, plus loin, très vaguement, les toitures du coron (le village des mineurs).

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« le Voreux paraît effrayant et renforce le désarroi du vagabond livré au monstre.

Se tournant vers lui-même, Etiennese découvre vulnérable : « Tout en l' examinant, il songeait à lui, à son existence de vagabond », précise lenarrateur.On constate que le narrateur rapporte, en discours indirect, les réflexions d'Etienne, qui se réduisent, du reste, àdes souvenirs, plutôt qu'a des pensées : « il se revoyait dans son atelier ».

Cette vue rétrospective s'organisesuivant une progression chronologique sans faille, dont les articulations essentielles sont les suivantes : « depuishuit jours...

» ; « le samedi, il était arrivé..

» ; « il avait dû passer le dimanche...

» ; « le surveillant venait de l'expulser à deux heures de la nuit...

»C'est seulement après ce récit, énoncé en discours indirect, que se font jour les pensées désespérées d'Etienne, parl'intermédiaire de ce mode d'énonciation, systématique dans Germinal, qu'est le discours indirect libre (abréviationcommode de ce qu'il faudrait nommer le discours rapporté indirect libre).De façon imperceptible, et comme subrepticement, ce type de discours s'immisce dans le récit indirect : « l'on disaitqu' il y avait du travail aux Forges ; et rien, ni aux Forges, ni chez Sonneville, il avait dû passer le dimanche caché...» La forme négative (« et rien, ni...

») est la transcription littérale du discours direct, tenu par Etienne : « rien, niaux Forges, ni chez Sonneville...

», qui s'insère dans le discours indirect employé par le narrateur, lequel reprend latroisième personne : « il avait dû passer le dimanche caché...

».

Dans la phrase suivante, et jusqu'à la fin dupassage, le discours indirect n'a certes pas disparu, mais il sert à faire valoir le sentiment éprouvé par le personnageau plus intime de lui-même, que traduit le discours indirect libre.Cette forme d'énonciation, à la manière du discours direct, reprend littéralement la modalité négative ouinterrogative dans la phrase : « rien, plus un sou, pas même une croûte : qu'allait-il faire ainsi...

? » Ce typed'énonciation, à la manière, également, du discours indirect, adapte le discours (direct) tenu par Etienne : «qu'allait-il faire...

? », transposition qui reproduit les paroles : « que vais-je faire...

? », en les modifiant par lasubstitution de la troisième personne à la première et de l'imparfait au présent de l'indicatif.Le discours indirect libre constitue donc une forme mixte, qui combine le discours rapporté, direct et indirect à lafois, sans que la ponctuation signale son emploi : il est inséré dans le texte, sans les deux points ni les guillemets,et se trouve simplement juxtaposé, sans verbe introducteur, au discours indirect habituel.Les marques du discours indirect libre étant repérées, il est nécessaire de signaler quelle est sa valeur expressivedans le texte, en particulier la relation ambiguë qu'il instaure entre le narrateur et son personnage.

Tout est, ici,affaire de point de vue.

Le narrateur reproduit, tout en les adaptant, les sentiments et les pensées de sonpersonnage, mais sans rompre la continuité de son récit, comme si sa propre voix, quoique distincte, se mettait àl'unisson de celle de son personnage.La juxtaposition des deux discours, dont les marques respectives tendent à se confondre, vise, en fait, à donner lechange sur l'identification du narrateur et de son personnage.

Par suite, le lecteur, auquel s'adresse le récit, est prisà partie, lui aussi, par cette attention, empreinte de sollicitude, du narrateur envers son personnage.Insensiblement, mais aussi insidieusement, le lecteur est amené à partager le point de vue qui s'exprime dans cetteattitude énonciative. Un homme démuni, en quête de repèresEtienne se voit confronté à une situation conflictuelle, qui se présente, en fait, comme une alternative : au completdénuement de sa condition, passée et présente, dont l'indice le plus clair est la constatation négative (« rien...

plusun sou...

pas même »), fait échec, apparemment, l'accueil du Voreux, mais cet accueil est équivoque, le Voreuxétant perçu comme un monstre.Etienne reconnaît progressivement les lieux ; il demeure, néanmoins, désemparé, affamé, sans espoir ; ce qui leretient, c'est que la fosse constitue un abri contre la bise cinglante, grâce à la chaleur protectrice de ses brasiers,mais aussi le fait qu'une autre chaleur, matérielle et humaine, se laisse surprendre dans l'ouverture brusque d'uneporte.

Etienne peut « entrevoir les foyers des générateurs dans une clarté vive », aussi se demande-t-il pourquoi ilaffronterait, de nouveau, l'obscurité de cette nuit sans étoiles, le froid et l'inconnu (« qu'allait-il faire par leschemins sans but...

? »).Localiser les parties de la fosse, en comprendre la fonction, c'est déjà revêtir d'un sens intelligible un lieu inconnu,s'y intégrer par l'esprit : Etienne se rassure par ce « oui » récapitulatif : (« Oui, c'était bien une fosse...

»), ceraisonnement qui offre un repère dans la réalité, une explication : « Il s'expliquait jusqu' à l' échappement...

»Etienne regarde, observe, reconnaît un territoire quelque peu familier et, faute de comprendre, il interprétera. Un monstre anthropophage et persécuteur : le VoreuxLa présence de modalisateurs comme sembler, s' expliquer, introduit dans le récit le raisonnement subjectif dupersonnage : la fosse « lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue...

» ; de même, la pompe d'épuisement faitentendre « cette respiration grosse et longue », aussitôt interprétée comme pouvant figurer « l'haleine engorgée dumonstre ».

Voilà ce qu'Etienne « retrouvait », voilà ce qu'« il s'expliquait ».Le Voreux se présente comme un monstre dans l'imagination, déformée par la peur, de ce vagabond (le narrateurprécisera, deux pages plus loin, qu'Etienne est « tourmenté du désir et de la peur de voir »).

Vision inévitable, parcequ'elle fascine, du fait de la lumière et de la chaleur ; mais elle angoisse aussi, en éveillant la crainte d'une agressionmortelle.La cheminée ressemble à la « corne menaçante » d'une bête, la fosse tout entière se découvre « au fond d'un creux», pour mieux se livrer à ses activités de dévoration et de digestion (le choix du terme Voreux, ce qui dévore, estsignificatif).

Occupée à « manger le monde » par l'ouverture du puits où s'engouffrent les cages contenant lesmineurs, la fosse fait entendre sa respiration profonde.Compte tenu des circonstances, qu'Etienne doit, pour le moment, subir, le Voreux est perçu comme une projection. »

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