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L'arrivée d'Etienne au Voreux - Première partie, chapitre I - Germinal de Zola

Publié le 17/01/2022

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Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres. L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche, à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.

Un lundi de mars 1866, vers trois heures du matin, Etienne Lantier, désigné de façon anonyme par l'expression « un homme «, se dirige à pied vers Montsou, après avoir quitté Marchiennes vers deux heures : il a parcouru près de dix kilomètres. Le narrateur nous le montre arrivant à la hauteur de la fosse du Voreux, que signalent trois brasiers, dont les feux rouges trouent l'épaisse nuit noire. Pauvrement vêtu d'une veste et d'un pantalon de velours de coton, Etienne a le corps tout endolori par les rafales « glacées « du vent de mars ; en particulier, ses mains saignent, meurtries.

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« lourde, un tas écrasé de constructions ».

Cet homme seul marche sans rien voir, pas même le « sol noir », dans unespace immense et vide.

Terre nue, dénuée de tout relief, de tout être vivant : « aucune ombre d'arbre ne tachaitle ciel ».

La plaine n'offre que la saisissante présence de son immensité vide, qu'accuse la tracé géométrique de laroute pavée, « coupant tout droit », à travers champs, « avec la rectitude d'une jetée ».Entre le milieu naturel, à la fois paysage, décor de la mine et lieu d'un drame, et le personnage, Etienne, cetétranger, cet intrus, il y a, certes, une correspondance mais, également, un antagonisme : un rapport de forcess'instaure entre la présence écrasante, omnipotente, du paysage sans limites, et l'extrême faiblesse de l'homme quis'y trouve perdu. L'impuissance de l'hommeFace à la toute-puissance d'une nature élémentaire, Etienne est, lui-même, astreint à des gestes élémentaires, quilui sont dictés par l'agression de l'environnement : il grelotte, gêné par son petit paquet, son seul souci étant deprotéger ses mains saignantes.

Tout comme le paysage alentour, Etienne est réduit à une présence.

Mais sondénuement paraît complet ; « sans travail et sans gîte », il semble même avoir été dépossédé de son humanité; le «vide de sa tête » fait de lui un être instinctif dominé par le « besoin douloureux » de se chauffer aux trois brasiers,qui figurent, dans cette solitude, la vie.

Il sera, dès lors, tenté de s'approcher de cette bouée de sauvetage,naufragé perdu dans l'immensité de la nuit, pour reprendre la métaphore nautique du texte. Le drame humainLa description fait partie intégrante du projet du romancier,.

qui est d'évoquer le drame humain : le paysage n'estpas décrit en raison de son caractère pittoresque.

Bien que le printemps soit proche, c'est un paysage hivernal quiprévaut.

Hostile à l'homme, le paysage, par sa force écrasante, souligne l'impuissance d'un vagabond, qui ne trouvenul réconfort dans son errance.

Comme le signale Marcel Girard (voir Bibliographie), « D' un coup d'œil, Zola a jugé laplaine du Nord : c' est le décor typique du drame humain.

»Dans le même article, cet auteur montre avec finesse que le noir de la nuit, s'il est tout naturellement associé aucharbon de la mine, ferme aussi l'horizon, peuple l'espace de dangers, impose une violence à laquelle fait écho laviolence des mineurs.

Par contraste, le rouge des mains ensanglantées d'Etienne, tout comme le rouge des brasiersbrûlant au Voreux, signalent, selon Marcel Girard, « la présence d' un élément nouveau, inouï, propre à changer,peut-être, la condition de l' homme, quelque chose de brutal et de différent » ; et le feu est, le plus souvent,associé au sang : « le rouge de la Révolution tend à recouvrir complètement le noir de la misère ». CONCLUSION Quand Zola ébauche son roman, il souligne l'intérêt symbolique de la saison hivernale : « Le roman aura lieu l' hiver,la misère devant être plus grande ».

De même, le site du Voreux, créé à partir d'éléments composites empruntés àDenain, Anzin, Bruay, est conçu pour préparer la catastrophe finale.Il n'est pas jusqu'à la composition qui ne concoure à souligner l'intérêt symbolique que revêt le paysage : lagermination printanière, évoquée dans le dernier chapitre de Germinal, fait antithèse avec ce premier chapitre.

Il estsignificatif que l'arrivée d'Etienne au Voreux se produise en mars, sans que soit évoqué le renouveau.Pour que le printemps s'impose et revête une fonction symbolique, il faudra qu'il mûrisse et germe dans laconscience des mineurs, moyennant une lutte — celle du Travail aux prises avec le Capital, thème fondamental deGerminal.

Alors, un an plus tard, Etienne pourra quitter Montsou, par le même chemin qui l'y a conduit, mais selon uncheminement désormais assuré de ses acquis.Rien, en apparence, n'a vraiment changé, la grève se concluant sur un échec ; pourtant, le vagabond du premierchapitre reprendra la route, en sachant où il se dirige, rempli d'une promesse de vie, que l'hiver finissant ne pouvaitannoncer.. »

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