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La Fontaine: Le Villageois et le Serpent - Livre VI - Fable 13

Publié le 17/01/2022

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Esope conte qu'un manant, Charitable autant que peu sage, Un jour d'hiver se promenant A l'entour de son héritage, Aperçut un serpent sur la neige étendu, Transi, gelé, perclus, immobile rendu, N'ayant pas à vivre un quart d'heure. Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure; Et, sans considérer quel sera le loyer D'une action de ce mérite, Il l'étend le long du foyer Le réchauffe, le ressuscite L'animal engourdi sent à peine le chaud Que l'âme lui revient avecque la colère Il lève un peu la tête, puis siffle aussitôt Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père. «Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire ! Tu mourras!« A ces mots, plein d'un juste courroux, Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête; Il fait trois serpents de deux coups, Un tronçon, la queue et la tête. L'insecte, sautillant, cherche à se réunir, Mais il ne put y parvenir. Il est bon d'être charitable : Mais envers qui ? c'est là le point. Quant aux ingrats, il n'en est point Qui ne meure enfin misérable.

 

 

La valeur littéraire de cette fable est indéniable : La Fontaine à partir d'une anecdote toute simple y présente une scène pittoresque, amusante, très animée, où le choix des mots et le rythme des vers donnent à la leçon morale les atours plaisants d'une poésie légère et humoristique. Le fabuliste* français se révèle ainsi supérieur à nombre de ses prédécesseurs, dont le style restait plus plat et solennel. La morale de cette histoire témoigne de la même virtuosité en jonglant avec plusieurs sources bien connues de tous à l'époque: les fabliaux, les deux versants de la Bible. L'auteur y fait triompher cependant une morale plus populaire que proprement chrétienne, et qui lui est habituelle.

 

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« réflexes qui persistent encore un peu.

Des allitérations en [s] et [t] imitent ces mouvements convulsifs : « L'insectesautillant ».L'observaion réaliste s'accompagne cependant de quelque fantaisie, car le paysan attribue au reptile des sentimentshumains, en le croyant sensible aux bienfaits.

Il lui parle d'ailleurs comme à un homme :« Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire ? » (v.

18).

Néanmoins la description ne reprend pas cettepersonnification, en dehors de la mention de la « colère » (v.

14), qui annonce le « courroux » (v.

19) du manant.Le mot « âme » est ambigu, car, surtout à notre époque, il évoque plutôt ce qui est humain.

Mais il avait aussi auxvne siècle le sens de « vie », comme dans l'expression encore actuelle « rendre l'âme ».

Ailleurs dans la fable c'estle paysan seul qui manifeste des sentiments très humains dans les deux sens du terme (« qui appartient à l'homme »; « plein de bonté »).

Le contraste est d'ailleurs frappant entre les fréquents qualificatifs moraux qui dressent leportrait de l'homme (« charitable », « peu sage », « son bienfaiteur, son sauveur et son père »), et les attributsphysiques appliqués au reptile (« transi, gelé, perclus, immobile rendu », « engourdi »).

Seul l'adjectif « ingrat » (v.18), mis en valeur en début de vers, donne une attitude morale à la bête, mais ici encore, c'est le paysan qui la luidonne.

Le serpent présente cependant le caractère moral que lui attribuent en général les humains d'aprèsl'observation qu'ils ont pu en faire : il cache sa cruauté sous des dehors innocents, comme en témoignent lesexpressions familières : « comme un serpent caché sous les fleurs » ou « venimeux comme un serpent », quiévoquent la perfidie.

Le vers 14 : « L'âme lui revient avec la colère » rappelle ce lien établi dans l'inconscientcollectif : il est dans la nature d'un serpent d'être mauvais.

La Fontaine respecte son procédé habituel, qui consisteà donner aux bêtes le caractère que leur attribue d'ordinaire le bon sens populaire, mais il ne va pas jusqu'à faireparler ou agir le reptile comme un homme, alors qu'il le fait souvent dans ses Fables.La caractéristique essentielle de la fable ici est dans la vivacité du rythme et du ton.

L'emploi alterné de deux typesde vers (treize alexandrins, quinze octosyllabes) produit des accélérations pour les actions les plus spectaculaires :le sauvetage de l'agonisant (v.

11 et 12) et son assassinat (v.

21-22) sont en octosyllabes et tranchent avec ladescription plus lente, en alexandrins, du serpent évanoui (v.

5-6).

Le passage de douze à huit syllabes sertégalement à mettre en évidence la proximité de la mort (« N'ayant pas à vivre un quart d'heure », v.

7) ou l'échecdu serpent (« Mais il ne put y parvenir », v.

24).

Le choix de quatre vers courts pour la morale finale contribueégalement à la rapidité de l'ensemble.On retrouve ces effets à l'intérieur des vers, où les coupes reproduisent le rythme des actions.

Le vers 22 imite parexemple la séparation en trois morceaux du serpent : « Un tronçon, la queue, et la tête.

» Ailleurs, un enjambementsouligne la détermination et la cruauté du paysan, en rejetant en début de vers le futur « Tu mourras ».L'accumulation des verbes d'action contribue à cette vivacité : plein d'énergie charitable, le paysan « prend », «emporte » (v.

8), « étend » (v.

11), « réchauffe », « ressuscite » (v.

12), puis montre un zèle égal dans sa violencedestructrice : « prend », « tranche » (v.

20), « fait » (v.

21).

Le serpent, une fois revigoré, montre une activitéidentique : « lève », « siffle » (v.

15), « fait », « tâche à » (v.

16), « cherche à » (v.

23).

Ces derniers verbesdécrivent cependant plutôt un effort vers le haut qui s'achève en chute : la supériorité de l'homme est complète.L'emploi des temps, par leur choix et leur variété, contribue à la vivacité du texte.

Du présent (« conte », v.

1), onpasse au passé simple du récit (« aperçut », v.

5), qui n'exclut pas le futur « Tu mourras », v.

19), au présent denarration (v.

7 à 23), puis on retourne au passé simple (« il ne put », v.

24).

Le passé simple permet de situerl'action dans le passé, tandis que le présent de l'indicatif qu'il encadre sert à rendre l'action plus rapide et vivante.Enfin le présent intemporel du quatrain final est caractéristique des vérités générales.La succession rapide des contrastes et des ruptures de ton rehausse encore la promptitude de la scène.

Le premiercontraste thématique est celui du froid et du chaud, de l'immobilité et du mouvement : « hiver » (v.

3), « neige »(v.

5), « transi, gelé » (v.

6) tranchent avec « foyer » (v.

11), « réchauffe » (v.

12), « chaud » (v.

13), tandis que« étendu » (v.

5), « immobile » (v.

6), « engourdi » (v.

13) s'opposent aux verbes d'action du serpent des vers 15et 16.

La rupture de ton est sensible entre le registre plutôt élevé (« bienfaiteur », v.

17 ; « juste courroux », v.

19; « ingrat », v.

18) et les tournures familières qui suivent (« Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête », « Ilvous fait », v.

20-21).

La concision du style est particulièrement sensible dans le raccourci remarquable des vers18-19 : « voilà donc mon salaire ? / Tu mourras » : l'absence de liaison accentue le passage rapide entre l'affront etla vengeance.

De même le dénouement tombe comme un couperet : « Mais il ne put y parvenir.

» Ces quelquesmots suffisent pour suggérer la mort.Cette petite scène animée et pittoresque, qui n'exclut pas l'effet théâtral (l'image du triple serpent au vers 21),s'achève sur une morale courte mais complexe. L'anecdote est en effet un prétexte pour offrir une réflexion intemporelle sur les hommes.« Le Villageois et le Serpent » illustre l'expression « réchauffer un serpent dans son sein », qui exprime l'idée que labonté est souvent suivie d'ingratitude.

Le mot « réchauffe » (v.

12) apparaît d'ailleurs dans la fable, et le « foyer »(v.

11) symbolise l'intimité du « sein ».

La Fontaine ne puise cependant pas seulement son inspiration dans le bonsens populaire, mais aussi dans la Bible, comme l'indique l'abondance des éléments issus des deux Testaments.

Lesymbole du péché originel contenu dans le serpent depuis l'histoire d'Adam et Ève de la Genèse se greffe ausymbolisme animal populaire.

La restriction du vers 2 (« peu sage ») fait que le lecteur soupçonne l'issue dès le vers5 où apparaît le serpent : une telle bête ne peut qu'apporter des déboires.

Le vocabulaire religieux s'accumule au fildes vers : « charitable », « bienfaiteur », « sauveur », « père », « ressuscite » et même « juste courroux »,expression appliquée aux colères de Dieu dans l'Ancien Testament.

Ce réseau accentue la parodie de la parabole du« bon Samaritain », où le Christ raconte que cet homme humble donne son vêtement à un malheureux qui gît aubord d'une route : le sauvetage du serpent s'y apparente, par la gravité de son état (« N'ayant plus à vivre qu'unquart d'heure », v.

7) et la bonté du manant, qui n'écoute que son coeur « Sans considérer, quel sera le loyer » (v.9).L'esprit tout charitable de l'Evangile n'inspire cependant que la première partie du texte.

Certains éléments signalentbientôt la précarité du dévouement chrétien du paysan, qui retrouve un raisonnement plus calculateur, comme. »

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