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LA FONTAINE : Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14) - (vers 33-55).

Publié le 17/02/2011

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Le Monarque lui dit : « Chétif hôte des bois,  Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix!  Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes  Nos sacrés ongles; venez, loups,  Vengez la reine, immolez tous  Ce traître à ses augustes mânes. «  Le cerf reprit alors : « Sire, le temps des pleurs  Est passé; la douleur est ici superflue.  Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,  Tout près d'ici m'est apparue;  Et je l'ai d'abord reconnue.  « Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,  Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes.  Aux champs élyséens, j'ai goûté mille charmes,  Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.  Laisse agir quelque temps le désespoir du roi :  J'y prends plaisir. « A peine on eut ouï la chose,  Qu'on se mit à crier : « Miracle, Apothéose! «  Le cerf eut un présent, bien loin d'être puni.  Amusez les rois par des songes,  Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges :  Quelque indignation dont leur cœur soit rempli,  Ils goberont l'appât; vous serez leur ami.

Le travail de La Fontaine dans ses Fables consiste à transformer un apologue assez sec donné par la tradition en une sorte de tragi-comédie qui souligne discrètement le ridicule des personnages. La fable qui relate les étranges obsèques de la lionne est composée comme une tragédie classique. D'abord c'est un récit en vers de 8 pieds qui sert à l'exposition des faits et des caractères qui vont se heurter. Puis l'attitude scandaleuse du cerf noue l'action. Le conflit avec le roi rend le drame inévitable. Les vers 33- 49 correspondent au quatrième acte, le plus important, qui est consacré, comme chez Racine, à des délibérations qui suspendent le coup final et préparent le dénouement, conséquence logique des passions. Ici, La Fontaine s'est amusé à développer avec originalité deux discours : le réquisitoire du roi et le plaidoyer du cerf.

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« est mise en relief par le rejet et la coupe au deuxième pied.

Ensuite la douleur s'exprime par les sons s, i, du vers 34.Désireux de garder ses distances, notre Sire utilise le pluriel de majesté; il n'a pas de griffes, de pattes quidéchirent, mais de sacrés ongles (V.

36) qui s'appliquent et s'opposent aux membres profanes (V.

35) du misérable.

Après trois vers de réquisitoire, la sentence est exprimée en vers de huit pieds : ...

venez loups, (V.

36-38) Le monarque irrité ne daigne pas se venger lui-même.

Il a des exécuteurs des hautes oeuvres auxquels il s'adresseavec une solennité dévote : immolez...

à ses augustes mânes. II.

- LA RHÉTORIQUE EFFICACE D'UN COURTISAN FLAGORNEUR Pour conjurer ce danger et écarter la gueule des loups déjà tendue vers sa gorge, le cerf a besoin d'argumentspersuasifs.

Mais « la vraie éloquence se moque de l'éloquence » et le cerf ne cherche point à se justifier par laraison.

Il invente au contraire un conte absurde : d'abord c'est un effet de surprise, marqué par le rejet : est passé.Puis, pour mieux l'exploiter, il répète son idée : la douleur est ici superflue (V.

40) Ensuite vient le rêve, le merveilleux auquel les hommes sont toujours prêts à ajouter foi.

Un détail pittoresque faitpasser le mensonge : couchée entre des fleurs (V.

41) Pour que la chose parût vraisemblable, il fallait que l'apparition eût lien tout près d ici (V.

42) afin que le cerf pût rapidement revenir la narrer.

D'ailleurs, au temps de Louis XIV, les apparitions bénéficiaient d'unpréjugé favorable, et il fallait un certain temps pour dévoiler éventuellement leur imposture.Mais l'illusion est double : dans le mensonge du cerf se trouve inséré un discours fictif attribué à la lionne.

Ainsi tousles courtisans seront obligés de témoigner foi et respect à ses saintes paroles.

Par la bouche de la lionne, le rusécompère n'a aucune peine à se décerner tous les titres qu'il veut.

Le mot Ami, placé en tête casse la sentence duroi, renvoie dans le rang les loups-bourreaux.Mais pour le cerf l'essentiel est de motiver l'absence de pleurs.

Il le fait habilement en intercalant sa justificationdans l'interdiction même du deuil placée en rejet (v.

44-45) : Quand je vais chez les dieux La reine est bienheureuse, canonisée, immortelle (bien qu'elle ait jadis étranglé la femme et le fils du cerf).

Cettedéfunte moitié use également d'un langage royal ; mais il est plus féminin que celui du monarque, avec une nuancede douceur féline, qui apparaît dans le rythme et la musique du vers 46.

Elle minaude, à la manière d'une Célimène.Comme on ne flatte jamais assez, le cerf ne ménage pas ses efforts : la reine est sainte, et converse, c'est-à-direvit avec tous les saints du paradis.

On pense à ces oraisons funèbres du XVIIe siècle où le prédicateur était obligéde faire l'éloge de grandes dames dont la vie avait été scandaleuse.

D'ailleurs toute cette fable est une discrèteparodie de la pompe funèbre que nous connaissons par l'étude de Bossuet.Il reste à expliquer pourquoi le cerf s'est laissé traîner en justice pour lèse-majesté et n'a pas révélé plus tôt sa. »

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