La guerre de Troie n'aura pas lieu de Giraudoux ► Souvenirs inédits de Madeleine Ozeray

Dehors l’air est mouillé. Il tombe une légère pluie d’été. On respire le parfum de l’eau. Dans le vase de Venise bleu, les roses carmin se mêlent aux fleurs de verre.

Giraudoux lut La Guerre de Troie n’aura pas lieu dans le bureau de Jouvet rue Caumartin, quinze jours avant son voyage en Amérique. Jean-Louis Vaudoyer et Pierre Renoir étaient présents. Le cœur me battait chaque fois que Pâris, Hector, ou Cassandre prononçaient le nom d’Hélène. Comme elle se faisait attendre ! Giraudoux ne put s’empêcher d’éclater de rire en lisant la scène des deux vieillards. Et Jouvet se mit à rire aussi. Mais quand du haut du rempart Cassandre annonça : « La voilà, Hélène », le même trac que celui d’une générale m’étreignit la gorge. Je restai figée et émerveillée à la fois jusqu’à la dernière réplique de Cassandre à la Paix : « Oui, tu es malade. » La scène de Troïlus qui commence le deuxième acte s’envola comme un nuage dans le ciel bleu de Troie. Je baissai les paupières pour garder dans mes yeux cette vision de la petite reine grecque assise aux créneaux, rajustant sa sandale. Tout en percevant l’adorable voix de Giraudoux qui s’amusait comme un gosse en lisant la scène des épithètes, j’essayais d’imaginer comment je jouerais Hélène. Jusqu’à présent, s’était-elle montrée sous son jour véritable à Hector? Au premier acte elle s’amuse avec lui. Elle joue un personnage. Elle est sincère quand elle est visionnaire. Mais qui est-elle ? ■ Que deviendra-t-elle par la suite ? Durant le discours aux morts je levai les yeux vers Jouvet. Il me regardait. Le dialogue entre belles-sœurs me déçut. La tirade d’Hélène sur les rainettes m’étonna. Je ne la compris pas. A la dernière réplique de la pièce : « Le poète troyen est mort; la parole est au poète grec », pris par le charme de Giraudoux, la magie poétique du texte, cette prophétie de la guerre, chacun se tut. Dans ce silence je revis toute la pièce. Il me sembla qu’elle avait été écrite pour la rencontre Ulysse-Hector, mais qu’il y avait le ravissant personnage d’Hélène...

- Et pourquoi Hélène n’entrerait-elle pas sur l’air d’une valse ? dit Giraudoux.

- Oui, pourquoi pas ? répondit Jouvet.