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LA HUITIÈME (8e) SATIRE DE JUVENAL: NOBLESSE ET MÉRITE PERSONNEL

Publié le 02/05/2011

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I La huitième Satire fait partie du troisième livre avec la septième et la neuvième, que nous avons déjà étudiées. Elle a dû être composée comme celles-ci, au début du principat d'Hadrien. Et pourtant on y relève déjà les premiers vestiges de certaines faiblesses qui iront s'accentuant dans la dernière partie du recueil. Non qu'on soit obligé de croire aucune satire apocryphe (comme le voulait Ribbeck). Mais il est impossible de n'y pas constater un fléchissement : la touche y est moins vigoureuse, les tons moins opulents, l'originalité moins piquante. Elles ressemblent davantage à des dissertations morales, méthodiquement développées. Le poète tend à substituer à l'observation directe des faits particuliers, au réalisme véridique où il triomphait naguère, la mise en oeuvre des lieux communs et des généralités éloquentes ; tentation paresseuse à laquelle il cède souvent, non sans de prestigieuses reviviscences de ses supériorités d'autrefois.

« IIILa Satire VIII développe ce thème, que sans le mérite personnel, la noblesse de rate n'est qu'une illusion vaniteuse.S'il est une idée qui nous paraisse usée et rebattue, c'est assurément celle-là.

Nos auteurs classiques nedédaignaient pas de la paraphraser.

Boileau s'y est essayé dans sa cinquième satire, qui ne passe pas pour une deses meilleures, mais qui contient pourtant quelques bons morceaux.

En voici un qui procède directement de Juvénal: Voyez de quel guerrier il vous plaît de descendre ;Choisissez de César, d'Achille ou d'Alexandre :En vain un faux censeur voudrait vous démentir,Et si vous n'en sortez, vous en devez sortir.Mais, fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne,Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tousSont autant de témoins qui parlent contre vous,Et tout ce grand éclat de leur gloire ternieNe sert plus que de jour à votre ignominie.En vain, tout fier d'un sang que vous déshonorez,Vous dorme: à l'abri de ces noms révérésEn vain vous vous couvrez des vertus de vos pères :Ce ne sont à mes yeux que de vaines chimères... Elle a inspiré quelques accents vigoureux à Corneille, au cinquième acte du Menteur (x.

III), quand Gérontedécouvre les fraudes de son fils Dorante.

Molière lui-même en a tiré parti pour les admonestations éloquentes deDon Louis à son fils Don Juan :« Ah ! quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance ? Etes vous en droit,dites-moi, d'en tirer quelque vanité ? Et qu'avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme ? Croyez-vous qu'ilsuffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'être sortis d'un sang noble, lorsque nousvivons en infâmes ? Non, non, la naissance n'est rien où la vertu n'est pas ! etc...Don Louis brode largement sur ce canevas.

On a remarqué que sa véhémente tirade est pleine de vers dedifférentes mesures, surtout d'octosyllabes.

Cette belle prose rythmée est, au théâtre, d'un indiscutable effet,encore que le principe amplement affirmé par le vieillard s'inscrive parmi les plus connues des vérités premières.Depuis lors, les théoriciens politiques, les polémistes et folliculaires ont fait un tel abus de l'opposition entre noblesseet valeur individuelle, qu'ils nous en ont donné à jamais la lassitude et le dégoût.Déjà à l'époque de Juvénal, ce sujet ne pouvait passer pour très neuf.

Il n'était pas aussi vieux jeu qu'il l'est devenudepuis, mais il ne serait pas trop malaisé de ressaisir les vestiges d'une longue tradition littéraire et philosophique, oùétait affirmé le peu de prix de la noblesse en soi, dès là qu'elle ne trouve pas ses étais et sa contre-partie dans lessupériorités morales de celui qui veut s'en parer.Ce point de vue s'explique aisément, quand on se rappelle le rôle que jouaient dans la philosophie populaire antiquela morale cynique et la morale stoïcienne.

L'idée maîtresse du cynisme, c'était la lutte contre les vaines servitudessociales, contre le caractère artificiel, corrupteur de toute civilisation ; la glorification de l'état de nature, dressé enface des « préjugés » et des « conventions » dangereuses et nuisibles.

L'idée maîtresse du stoïcisme, c'était quefortune, naissance, rang social, tous ces accidents n'ont d'autre importance que celle que l'opinion leur attribue ; etque les seules choses qui comptent vraiment, ce sont celles qui dépendent de nous, la sagesse, la « vertu ».Cynisme et stoïcisme étaient donc d'accord pour considérer la noblesse comme un privilège négligeable aux regardsde quiconque connaît le prix vrai des choses humaines.On trouve des vues de ce genre, développées en forme ou jetées en passant, chez le stoïcien Diogène de Babylone,chez l'écrivain juif Philon, chez le rhéteur Dion Chrysostome, chez Epictète, Sénèque le rhéteur, Sénèque lephilosophe, et bien d'autres. IVTout en s'inspirant de cette tradition, Juvénal ne permet pas qu'elle déforme sa façon personnelle de penser et desentir.

Il n'est nullement, par principe, un ennemi de la noblesse.

De rapides allusions, jetées dans plusieurs de sespièces, montrent qu'il avait souffert de la voie ruinée par les abominables pratiques des délateurs, décimée parl'hostilité jalouse d'un Néron ou d'un Domitien, jusqu'à ce que Trajan essayât de la relever par ses mesuresréparatrices.

Rien ne décèle chez lui l'esprit d'envie, de dénigrement, d'animosité mesquine, ni cette morgueplébéienne qui est aussi désobligeante que l'autre.Au fond, les Romains étaient très fiers de leur noblesse, si diminuée fût-elle pour le nombre et pour les ressources.Comment un Latin authentique n'eût-il pas été ému en pénétrant dans l'atrium des Claudii, par exemple, en ycontemplant ces portraits d'aïeux qui évoquaient le souvenir de vingt-deux consuls, de cinq dictateurs, de septcenseurs, de sept grands triomphes et de deux petits triomphes ? Sénèque lui-même, quoique pénétré de l'espritstoïcien, peu favorable, je l'ai dit, au principe de la distinction des classes, va jusqu'à admettre qu'il est légitime defavoriser dans le choix de certains postes les descendants des nobles, fussent-ils très loin des vertus de leursancêtres, en considération des mérites que ceux-ci se sont acquis.

« C'est un hommage que nous devons à toutevertu, écrit-il, de ne point l'honorer seulement lorsqu'elle est devant nous, mais aussi lorsqu'elle a disparu de notreprésence.

Comme elle s'appliqua jadis à rendre des services dont la portée dépassât une génération, ...

nous, de. »

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