La marquise de Rambouillet avait coutume de dire que : les esprits doux et amateurs de belles-lettres trouvent peu leur compte à la campagne.
Publié le 09/02/2012
                             
                        
Extrait du document
Madame,
Une lettre de Monsieur de Balzac me mande ce matin le récit de la dernière réunion plénière tenue en la Chambre bleue de l'incomparable Arthénice. Vous avez bien voulu dire à Monsieur de la Ménardière, de qui je le tiens, que je manquais ce soir-là parmi les beaux esprits de la rue Saint-Thomas du Louvre: ce souvenir bienveillant pour le poète campagnard que je suis m'est trop précieux, pour que je ne vous témoigne pas, par le plus prochain courrier, ma respectueuse reconnaissance....
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exposées 	devant 	vous  : vous 	me 	permettrez 	donc 	de 	conserver 	cette 	con	
viction, 	que 	le 	séjour 	à la 	campagne 	est  utile 	aux 	écrivains 	de 	tous  les 	temps 	
et 	surtout 	à ceux 	du 	nôtre.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Le 	travail 	littéraire 	me 	semble 	exiger 	un 	calme 	d'esprit, 	une 	pleine 	posses~ 	
sion 	de 	soi, 	une 	fraîcheur 	d'idées 	que 	comporte 	peu 	la 	vie agitée 	de 	Paris.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
La 	nature 	éternellement 	jeune 	nous 	donne, 	aux 	champs, 	des 	leçons 	de 	
simplicité 	et 	la 	notion 	de 	la 	vraie 	grandeur 	: dans 	les 	sociétés  les 	mieux 	
composées, 	ne 	voit-on 	pas 	souvent  des exemples, 	n'entend-on 	pas 	des 	
maximes 	contraires? 	
L'antique 	fable  d'Antée 	représente 	le 	géant 	reprenant 	force 	et 	courage 	
chaque 	fois que ses épaules 	touchaient 	la 	terre; 	il 	m'est 	avis,  Madame,.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
que 	c'est 	le 	symbole  des avantages 	du 	séjour  à 	la 	campagne 	pour 	les 	
auteurs 	de 	ce 	temps.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Sans 	doute, 	l'écrivain 	ne 	se 	doit 	pas 	tenir 	éloigné  de 	Paris 	et 	surtout 	
de 	ces 	centres 	d'où 	jaillissent 	tout 	bon 	goût, 	toute 	finesse 	d'esprit 	et 	ce 	
suprême 	bon 	ton 	qui 	assurent 	le succès  des ouvrages.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais 	ne 	faut-il 	
pas 	craindre 	qu'à 	ne 	jamais 	quitter 	la 	ville, 	le 	poète 	contracte 	des 	
habitudes 	de 	faux 	bel 	esprit, 	où 	la 	fadeur 	remplace 	la 	force 	des 	sen	
timents 	naturels? 	N'est-ce 	pas 	contre 	ce défaut, 	d'ailleurs, 	que 	vous 	
avez 	lutté, 	Madame, 	par 	votre 	influence? 	
Puis, 	au 	milieu 	du 	bruit 	éternel 	des 	réunions 	brillantes, 	il 	me 	semble 	
que 	ma 	pensée, 	mon 	âme 	m'échappent, 	tandis 	que  je les 	retrouve 	avec 	
le 	calme 	des 	champs.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Dans 	mes 	promenades, 	il me 	paraît 	qu'avec 	les 	senteurs 	des 	fleurs 	
nouvelles 	arrivent 	à l'esprit 	des 	idées 	saines, 	dont 	j'ai 	le 	loisir 	de 	goûter 	la 	
justesse.
                                                            
                                                                        
                                                                    
Quel 	
moyen, 	au 	sein 	des 	fêtes 	de 	la 	nouvelle  régence, 	dans 	l'enivrement 	
des 	distractions 	actuelles 	de 	la 	cour, 	dans 	les 	réjouissances 	des 	victoires 	et 	
les 	bruits 	de 	batailles,  quel 	moyen 	d'obtenir 	la 	paix 	nécessaire 	à l'éclosion 	
des 	pensées 	fécondes? 	
Je 	n'en 	ferai 	donc 	point 	mystère 	: j'aime 	la 	campagne 	pour 	elle-même 	
et 	pour 	son 	calme 	inspirateur.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Et 	si je voulais 	citer 	mes  autorités, 	quelle 	
plus 	belle 	occasion 	d'évoquer 	les noms 	de 	Virgile 	à Andes, 	d'Horace 	à 	
Tibur, 	de 	Cicéron 	à Tusculum, 	composant 	dans 	la 	solitude 	des 	ouvrages 	
admirés? 
Chez,.nous, 	Ronsard 	et  Belleau 	ont 	aimé 	les  forêts  et les 	champs 	qu'avril 	
couvre 	de 	verdure.
                                                            
                                                                                
                                                                    	C'est 	dans 	la 	solitude, 	mère 	et 	nourricière 	des 	grandes 	
idées, 	que 	l'esprit 	se  fortifie 	et 	s'élève 	plus 	facilement 	à Dieu.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Rien 	de 	plus 	propice 	au 	travail 	que  les 	heures 	matinales 	à la 	campagne~ 	
L'esprit, 	reposé 	par 	un 	sommeil 	doux 	et 	réparateur, 	se 	réveille 	alerte 	avec 	
la 	nature 	entière 	: les 	pensées  semblent 	chanter 	en 	nous 	avec les oiselets 	
de 	la 	feuillée.
                                                            
                                                                                
                                                                     Ainsi 	qu'une 	fleur sous 	la 	rosée, 	l'âme 	reprend 	une 	vigueur 	
nouvelle 	pour 	les 	travaux 	du 	jour.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
Puis, 	lorsque 	les 	mille 	bruits 	de 	la 	nature 	se 	taisent 	à l'entrée 	de 	la 	nuit, 	
les 	pensées 	profondes 	descendent 	du 	ciel 	dans 	l'âme; 	c'est 	l'heure 	des 	
recueillements 	religieux,  de 	l'intimité 	divine : avec 	un 	peu 	de 	talent 	naturel, 	
les 	beaux 	vers 	simples 	et 	pleins 	de 	sens 	doivent 	éclore 	spontanément.
                                                            
                                                                                
                                                                    	
J'ai 	plus 	d'une 	fois  regretté  que nos 	bons 	auteurs 	paraissent 	aujourd'hui 	
trop 	peu 	goûter 	les 	charmes 	de 	la 	belle 	et 	vraie 	nature.
                                                            
                                                                                
                                                                    	Ils se 	sont 	adonnés 	
aux 	spéculations 	philosophiques 	et 	ont 	admirablement 	décrit, 	dans 	leurs 	
œuvres, 	les 	âmes 	vivant 	au 	sein 	d'une 	civilisation 	raffinée.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais ont-ils 	
compris 	les 	ressources 	qu'offrirait 	la 	peinture 	des âmes 	naïves? 	Il 	y  a 	là,.
                                                                                                                    »
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