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La modernité comme expérience du deuil chez Baudelaire

Publié le 07/09/2013

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baudelaire

Le premier effet des miroirs est d'abolir les lointains. La

triple fusion que cette image réalise ici supprime la distance

qui séparait le poète de l'idéal mais qui en même temps

engendrait la représentation de celui-ci. Cette union des sens,

des esprits et des coeurs, qui n'est concevable que dans la

mort, ne prend son sens que par la foi dans la résurrection.

Mais l'éternité dans l'instant évoquée dans ces vers, si elle est

projetée dans l'avenir, est surtout tournée vers le passé. Le

cercle des temps se referme sur le triomphe de «l'aura«, la

splendeur retrouvée d'une antériorité étouffée sous la pesanteur

de la vie mutilée. Bien que les correspondances ne soient

pas au centre de ce poème, elles en constituent l'indispensable

arrière-plan évoqué par le «bleu mystique«. Seule la

sublimation du souvenir peut expliquer le dernier tercet.

Le ciel livide

Rien de tel dans le poème «A une passante«, beaucoup plus

tardif et qui traduit sans doute une évolution dans le sens du

désenchantement et de la lucidité. On y retrouve toutes les

composantes du sonnet précédent, mais au lieu de culminer

dans une apothéose glorieuse, elles se fondent dans un éclair

unique et sans lendemain. Le désir et le souvenir s'y rencontrent

pareillement mais pour y mourir ensemble dans un éclat

instantané qui brille au-dessus de l'abîme éternel comme un

défi aux puissances suprêmes.

Alors que les yeux des «Aveugles« sont des miroirs qui

reflètent une double absence, celle du Ciel et celle du regard

humain, l'oeil de la passante est devenu lui-même le «ciel

livide«.

Ce qui était jadis un artifice de la poésie précieuse est

devenu le moyen de la dévalorisation d'un idéal jugé illusoire.

Par ce brusque rapprochement, toute la force du désir,

toute la magie du souvenir se rabattent sur l'instant présent

dans un mouvement de concentration qui le détache de la

durée comme la passante elle-même se détache de la foule.

Cet éclair qui perce la nuit du temps, qui la départage entre

un avant et un après, prend toute la force d'un «infini diminutif

«. On assiste à un rétrécissement analogue à celui qui est

décrit dans la première strophe du «Voyage«:

"Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,

L'univers est égal à son vaste appétit,

Ah! que le monde est grand à la clarté des lampes!

Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! "

baudelaire

« Dont le regard m'a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l'éternité? Ailleurs, bien loin d'ici, trop tard! jamais peut-être! Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!" Ce sonnet est placé dans les «Tableaux parisiens» entre le poème sur «Les Aveugles» et «Le Squelette laboureur».

Comme toujours chez Baudelaire, ce choix n'est pas l'effet du hasard.

L'œil de la passante est à mettre en rapport avec les yeux vides des aveugles.

«La rue assourdissante» reprend l'image de la cité qui, dans le poème précédent, «chante, rit et beugle».

Mais l'image de cette femme inconnue «en grand deuil» apparaît surtout, sous l'apparence anecdotique, comme une allégorie de la Mort qui répond à celle que Baudelaire déve­ loppera sur le mode sarcastique dans «Le Squelette labou­ reur».

Un éclair unique La passante se détache de la foule, mais elle est portée par la foule.

A travers l'éclair unique du regard qu'il échange avec cette apparition fugitive, le poète communie avec la foule.

Le choc de cette rencontre est procuré par la foule, par la soli­ tude dans la foule.

On trouve là, bien sûr, un nouvel exemple de cette «sainte prostitution de l'âme qui se donne, tout entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se montre, à l'in­ connu qui passe».

Toutefois, cet abandon à la fulgurance de l'instant implique de multiples résonances avec les principaux thèmes et symbo­ les de la poésie baudelairienne.

On peut dire que le regard échangé entre le poète et I' «inconnue qui passe» concentre à la fois la poétique de l'allégorie et la poétique de la moder­ nité en «un éclair unique, comme un long sanglot, tout chargé d'adieux», pour reprendre les termes qui se rapportent à une situation analogue décrite dans «La Mort des amants», l'un des poèmes qui dressent autour de cette rencontre une constellation à la fois lumineuse et funèbre.

Plutôt qu'une élégie on pourrait voir, en effet, dans cet adieu «A une. »

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