LA MYSTIFICATION LITTÉRAIRE (Histoire de la littérature)
Publié le 24/11/2018
                             
                        
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                                MYSTIFICATION LITTÉRAIRE. Socrate, on le sait, n’a laissé aucun écrit. Ses pensées ne nous sont connues que par les œuvres de deux de ses disciples, Xénophon et, surtout, Platon. Et pourtant on vit paraître sous son nom, en 1892, chez Stock, un charmant petit ouvrage (viii-48 pages de format in-16 carré) intitulé la Couronne de Xanthippe. Il s’agissait d’un choix de vingt-cinq épi-grammes, parmi les quarante qui auraient été retrouvées. Textes brefs et modestes, d’un antiféminisme bonhomme et résigné, bien conformes à ce qu’on pouvait attendre de Socrate dans ses relations avec son épouse Xanthippe :
Le même jour sont nés le désir et la femme.
L'homme fait un foyer et dit : « Brille! » à l'amour;
— « Brûle! » dit sa compagne, en soufflant sur la flamme. La femme et le tourment sont nés le même jour.
Comme toutes les éditions scientifiques de textes anciens, les épigrammes de Socrate étaient accompagnées d’un apparat critique étoffé : un avertissement du traducteur (dûment paginé en chiffres romains); une description des sources du texte; des notes explicatives détaillées, de caractère linguistique, philologique, historique, littéraire. En un mot, un excellent travail d’érudition, sur un texte dont la révélation devait constituer un véritable événement littéraire.
La Couronne de Xanthippe ne doit rien à Socrate. Elle a pour auteur Maurice Pottecher, romancier, essayiste et dramaturge, créateur, notamment, du théâtre du Peuple à Bussang.
On a dans cet exemple — choisi au hasard dans un corpus considérable — les traits essentiels de ce qu’il est convenu d’appeler la mystification (parfois, sans différence de sens appréciable, la supercherie) littéraire : un auteur X (ici, Pottecher) fait passer (ou tente de faire passer) sa propre production pour celle d’un autre auteur Y (ici, Socrate). Il s’aide pour cela de l’autorité d’un troisième auteur (ou groupe d’auteurs) Z : ici, le « traducteur-annotateur ». La mystification est réussie quand le lecteur — et, spécifiquement, le lecteur professionnel qu’est le critique ou l’éditeur — lit le texte comme s’il était de Y, sans soupçonner l’intervention de X.
Dans le cas de la Couronne de Xanthippe, la mystification ne pouvait pas réussir. Pottecher a, de façon certainement intentionnelle, laissé apparaître quelques traits qui la dénoncent presque immédiatement, notamment les circonstances de la découverte du « manuscrit » (de la main de Socrate!) et la personnalité de l’autorité Z : Martin Petitclerc, élève de M. Courtaud-Profiterol! Mais il n’est pas difficile de citer d’autres « mystifications » qui ont «réussi». Encore faut-il remarquer que, pour être identifiées comme mystifications, il faut bien qu’un jour elles aient été « éventées » : la véritable réussite, pour une mystification — comme pour un faux en peinture —, est de n’être jamais réputée pour telle. Il est donc à la fois évident et nécessaire qu’un nombre non négligeable de textes reposent sur une « mystification » à jamais camouflée.
La Chasse spirituelle offre un bon exemple de mystification « réussie ». A des fins de vengeance personnelle contre des attaques qu’ils jugeaient excessives, deux jeunes comédiens, Akakia-Viala (pseudonyme anagramma-tique de Marie-Antoinette Allevy) et Nicolas Bataille, réussirent, en 1949, à publier la Chasse spirituelle, donnée pour un inédit de Rimbaud et dont il est évidemment facile, après coup, de dire qu’elle est un pastiche « maladroit ». Le rôle, ici ambigu — victime ou complice? —, de l’autorité était tenu par Pascal Pia, auteur d’un avant-propos. Malgré les très lucides conseils de prudence prodigués, notamment, par Emmanuel Peillet, les critiques littéraires que visait la supercherie tombèrent dans le piège : ils garantirent l’« authenticité rimbal-dienne » du texte, jusqu’au moment où les deux pasticheurs révélèrent à grand bruit leur machination.
Petite anecdote, sans grande portée, de la vie littéraire parisienne? Sans doute. Mais le mécanisme de cette mys
tification est en lui-même intéressant. Il fait apparaître en effet la fonction que joue dans la lecture du texte littéraire la notion centrale du nom de l’auteur. Toute mystification repose sur un changement de nom. C’est donc un cas spécifique de pseudonymie. Mais une pseu-donymie aggravée ou, à tout le moins, dépourvue des circonstances atténuantes qu’on peut dans certains cas trouver à la pratique pseudonymique.
 
                                «
                                                                                                                            et, 
surtout,  Platon.
                                                            
                                                                                
                                                                    Et pourtant  on vit  paraître  sous son 
nom,  en 1892,  chez Stock,  un charmant  petit ouvrage 
(vm-48  pages de format  in-16 carré)  intitulé  la Couronne 
de  Xanthippe.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il s'agissait  d'un choix  de vingt-cinq  épi
grammes,  parmi les quarante  qui auraient  été retrouvées.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Textes  brefs et modestes,  d'un antiféminisme  bonhomme 
et  résigné,  bien conformes  à ce  qu'on  pouvait  attendre  de 
Socrate  dans ses relations  avec son épouse  Xanthippe 
Le  même  jour sont  nés le désir  et la femme.
                                                            
                                                                                
                                                                    
L'homme  fait un foyer  et dit:  « Brille!  »à l'amour; 
- « Brûle! >> dit  sa compagne,  en soufflant  sur la flamme.
                                                            
                                                                                
                                                                    
La  femme  et le tourment  sont nés le même  jour.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Comme  toutes les éditions  scientifiques  de textes 
anciens,  les épigrammes  de Socrate  étaient accompa
gnées  d'un apparat  critique  étoffé : un  avertissement 
du  traducteur  (dûment paginé en chiffres  romains);  une 
description  des sources  du texte;  des notes  explicatives 
détaillées,  de caractère  linguistique,  philologique,  histo
rique,  littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                     En un mot,  un excellent  travail d'érudi
tion,  sur un texte  dont la révélation  devait constituer  un 
véritable  événement  littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                    
La  Couronne  de Xanthippe  ne doit  rien  à Socrate.
                                                            
                                                                                
                                                                     Elle 
a  pour  auteur  Maurice  Pottecher,  romancier,  essayiste et 
dramaturge, créateur,  notamment, du théâtre  du Peuple  à 
Bussang.
                                                            
                                                                                
                                                                    
On  a dans  cet exemple  -choisi  au hasard  dans un 
corpus  considérable  -les traits  essentiels  de ce qu'il 
est  convenu  d'appeler  la mystification  (parfois, sans dif
férence  de sens  appréciable,  la supercherie)  littéraire : 
un  auteur  X (ici,  Pottecher)  fait passer  (ou tente  de faire 
passer)  sa propre  production  pour celle  d'un autre  auteur 
Y  (ici,  Socrate).
                                                            
                                                                                
                                                                     Il s'aide  pour cela de l'autorité  d'un 
troisième  auteur (ou groupe  d'auteurs)  Z :  ici,  le « tra
ducteur-annotateur>> .
                                                            
                                                                                
                                                                    La  mystification  est réussie  quand 
le  lecteur  -et, spécifiquement,  le lecteur  professionnel 
qu'est  le critique  ou l'éditeur- lit le texte  comme  s'il 
était  de Y, sans  soupçonner  l'intervention  de X.
                                                            
                                                                                
                                                                    
Dans  le cas  de la Couronne  de Xanthippe,  la mystifi
cation  ne pouvait  pas réussir.
                                                            
                                                                                
                                                                     Pottecher  a, de  façon  cer
tainement  intentionnelle,  laissé apparaître  quelques traits 
qui  la dénoncent  presque immédiatement,  notamment les 
circonstances  de la découverte  du « manuscrit  >> (de  la 
main  de Socrate!)  et la personnalité  de l'autorité  Z  : 
Martin  Petitclerc,  élève de M.
                                                            
                                                                                
                                                                     Courtaud-Profiterai!  Mais 
il  n'est  pas difficile  de citer  d'autres  «mystifications>> 
qui  ont «réussi>> .
                                                            
                                                                                
                                                                    Encore  faut-il remarquer  que, pour 
être  identifiées  comme mystifications,  il faut  bien  qu'un 
jour  elles  aient  été > : la  véritable  réussite, 
pour  une myst;Jication  -comme  pour un faux  en pein
ture  -,  est de n'être  jamais  réputée  pour telle.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il est 
donc  à la  fois  évident  et nécessaire  qu'un nombre  non 
négligeable  de textes  reposent  sur une  > 
à  jamais  camouflée.
                                                            
                                                                                
                                                                    
La  Chasse  spirituelle  offre un bon  exemple  de mysti
fication  .
                                                            
                                                                                
                                                                     A  des  fins  de vengeance  personnelle 
contre  des attaques  qu'ils jugeaient  excessives,  deux  jeu
nes  comédiens,  Akakia-Viala (pseudonyme  anagramma
tique  de Marie-Antoinette  Allevy) et Nicolas  Bataille, 
réussirent,  en 1949,  à publier  la Chasse  spirituelle,  don
née  pour  un inédit  de Rimbaud  et dont  il est  évidemment 
facile,  après coup,  de dire  qu'elle  est un pastiche > .
                                                            
                                                                                
                                                                    Le  rôle,  ici ambigu  -victime  ou complice? 
-,  de l'autorité  était tenu par Pascal  Pia, auteur  d'un 
avant-propos.
                                                            
                                                                                
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dence  prodigués,  notamment,  par Emmanuel  Peillet, les 
critiques  littéraires  que visait  la supercherie  tombèrent 
dans  le piège  : ils  garantirent  l'>  du texte,  jusqu'au  moment où les  deux  pasti
cheurs  révélèrent  à grand  bruit leur machination.
                                                            
                                                                        
                                                                    
Petite  anecdote,  sans grande  portée,  de la vie  littéraire 
parisienne?  Sans doute.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais le mécanisme  de cette  mys- tification 
est en lui-même  intéressant.
                                                            
                                                                                
                                                                     Il fait  apparaître 
en  effet  la fonction  que joue  dans  la lecture  du texte 
littéraire  la notion  centrale  du nom  de 1' auteur.
                                                            
                                                                                
                                                                     Toute 
mystification  repose sur un changement  de nom.
                                                            
                                                                                
                                                                     C'est 
donc  un cas  spécifique  de pseudonymie.
                                                            
                                                                                
                                                                     Mais une pseu
donymie  aggravée  ou, à tout  le moins,  dépourvue  des 
circonstances  atténuantes qu'on peut dans  certains  cas 
trouver  à la  pratique  pseudonymique.
                                                            
                                                                                
                                                                     Celle-ci, on le sait 
[voir  PsEUDONYME],  est l'objet  d'une réprobation  diffuse.
                                                            
                                                                                
                                                                    
A  1' égard  de la mystification,  la réprobation  se fait 
condamnation  : il  est,  à proprement  parler, immoral  de 
présenter  un texte  sous un autre  nom que celui  de son 
auteur  véritable.
                                                            
                                                                                
                                                                     Malgré la notoriété  de Romain  Gary, 
malgré  l'émotion  provoquée  par son  suicide,  la révéla
tion  de la «  supercherie  >> (tel  est le mot  qui fut le plus 
souvent  employé)  à laq yelle  il s'était  livré en attribuant 
certains  de ses  livres  à EMILE  AJAR (pseudonyme  de Paul 
Pavlowitch,  qui fut le cousin  de Gary)  donna  lieu à des 
commentaires  dans l'ensemble  plus sévères  qu'admira
tifs.
                                                            
                                                                                
                                                                     En voici  un exemple  : 
> (Jacqueline  Piatier, 
le  Monde).
                                                            
                                                                                
                                                                    
On  croit  entrevoir  les fondements  de cette  sévérité  -
qui  fut,  avec  d'inévitables  nuances, celle de toute  la 
critique  (y compris,  de façon  plus subtile,  de ceux  qui, 
par  provocation,  poussèrent  des hurlements  de feint 
enthousiasme)  : ce  qui  est mis  en cause par  la > , c'est  l'appareil  même de la circulation  du texte 
littéraire,  fondé sur la notion  de l'auteur  un, totalement 
responsable  de tout  ce qu'il  écrit et, à ce  titre,  jouissant 
d'un  droit  absolu  de propriété  sur son  œuvre,  et sur  elle 
seule.
                                                            
                                                                                
                                                                     Et  si les  procédures  de la production  littéraire 
n'étaient  pas conformes  à ce  modèle?  S'il y avait,  chez 
l'> , une  pulsion  (plus ou moins  intense,  plus ou 
moins  contrôlée)  à se  dédoubler?  Débat trop complexe 
pour  être abordé  à propos  du problème  > (ou 
réputé  tel...) de la mystification.
                                                            
                                                                                
                                                                     On se contentera  donc 
d'une  très modeste  constatation,  livrée à l'état  brut : 
la  mystification  littéraire est inséparable  de l'institution 
littéraire.
                                                            
                                                                                
                                                                     En témoigne  la notoriété  de certaines  mystifi
cations,  qui conservent  souvent, malgré le temps,  un 
relent  de scandale  : le  Sefer  Ha-Yacar,  texte anonyme 
juif,  sorte  d'anthologie  biblique, réputé pour dater  du 
xn e siècle,  mais sans doute  rédigé  au xve;  les  Poèmes 
d'Ossian,  prétendument  recueillis «dans  les montagnes 
d' Écosse>>  par James  Macpherson,  en réalité  composés 
par  lui;  les Lettres  de la religieuse  portugaise,  > attribuées  par Guilleragues  à Mariana  Alco
forado;  le Théâtre  de Clara  Gazul,  de Prosper  Mérimée 
(et,  du même  Mérimée,  dangereux  récidiviste,  la Guzla 
[anagramme  de Gazul]  et les  poèmes  de Hyacinthe 
Maglanovitch);  J'irai cracher  sur vos  tombes,  suivi de 
Et  on  tuera  tous les affreux  et de  Les  morts  ont tous  la 
même  peau, trilogie  attribuée  à un  mythique  romancier 
américain  du nom  de Vernon  Sullivan  et dont  le« traduc
teur>>  -Boris  Vian -était  en réalité  l'auteur.
                                                            
                                                                                
                                                                     Dès la 
fin  du X!Xe siècle,  l'infatigable  érudit Joseph Marie  Qué
rard  ne consacra  pas moins  de sept  tomes  à son  ouvrage 
les  Supercheries  littéraires  dévoilées  (1869-1889)! 
Chez  les plus  vétilleux  des censeurs  littéraires,  la han
tise  de la mystification  devient à proprement  parler 
pathologique  : ainsi  chez Henry  Poulaille,  dont l' obses
sion  était  d'attribuer  à Corneille  l'œuvre de Molière,  ou.
                                                                                                                    »
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