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LA POSTERITE DU "ROUGE ET NOIR" DE STENDHAL

Publié le 14/03/2011

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stendhal

     Stendhal était mort méconnu, presque inconnu, mais confiant dans le jugement de la postérité. Il n'avait pas eu tort. Une seconde vie allait commencer pour lui. Il n'y a dans l'histoire littéraire aucun exemple d'une semblable résurrection.

   De 1851 à 1854 paraissent deux éditions sous le titre encore peu justifié d'Œuvres complètes. Se vendent-elles bien ? Je ne sais. Il est sûr, en tout cas, qu'il a déjà de fervents admirateurs. Il ne les doit pas au Lundi aigre-doux que lui consacre enfin Sainte-Beuve. Le mouvement d'opinion qui se dessine en sa faveur semble être parti de l'Ecole Normale. S'il faut en croire Francisque Sarcey, l'honneur en reviendrait à cette « promotion de 1848 «, unique dans les fastes de l'Ecole, et dont il faisait partie avec Taine, Prévost-Paradol, Edmond About, Paul Albert, Yung, Jean-Jacques Weiss, et autres grands ou charmants esprits.

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« le philosophe du « surhomme », de la « vie dangereuse » et de la « mort en beauté ».

Et les « rougistes » citaientorgueilleusement les paroles de Nietzsche : Le contraire de l'inexpérience des Allemands et de leur innocence « in voluptate psychologica » et l'expression laplus réussie de l'esprit inventif vraiment français dans le domaine des frissons délicats, c'est Henri Beyle, — cethomme curieux, anticipant et précurseur, qui parcourut dans un temps napoléonien « son » Europe, plusieurs sièclesd'âme européenne, comme explorateur et découvreur de cette âme.

Il a fallu deux générations pour le joindre, pourrésoudre quelques-uns des problèmes qui le tourmentaient, et qui ravissaient cet épicurien admirable, cet homme àpoints d'interrogation, qui a été le dernier en date des grands psychologues français. Stendhal avait vraiment toutes les chances.

Les assassins eux-mêmes travaillaient pour lui et lui faisaient de lapublicité.

En 1888, se produisit l'affaire Chambige qui, par certains côtés, rappelait Rouge et Noir.

Il s'agissait d'unjeune homme de vingt-deux ans qui, à Constantine, ayant séduit une jeune femme de huit ans plus âgée que lui,amie de sa famille, mère de deux fillettes qu'elle chérissait de toute son âme, honnête, bonne et douce comme uneMme de Rénal, l'avait attirée dans une villa proche de la ville, et là, après l'avoir tuée d'un coup de revolver à latempe, avait fait le simulacre de se tuer à son tour, — sans se faire grand mal.

Il prétendait n'avoir agi que d'accordavec elle; mais cela semblait fort douteux, et en tout cas divers détails, impossibles à citer, dans la mise en scènedu meurtre, attestaient de sa part un cynisme ou plutôt un sadisme révoltant.

L'émotion fut grande, non seulementen Algérie, mais dans la France entière, et tous les journaux se crurent obligés, en commentant l'affaire, d'ychercher des rapports avec Rouge et Noir.

Des rapports, il y en avait, en effet, non pas tant dans les faits que dansla personne morale de la victime et surtout dans celle du meurtrier.

Ce jeune homme avait fait en partie ses étudesà Paris.

Il y avait fréquenté d'assez malsains littérateurs soi-disant d'avant-garde, qui se qualifiaient eux-mêmes de« décadents » et se complaisaient dans la peinture des perversions sentimentales; il avait lu certains philosophesalors en crédit, prétendus représentants de l'esprit scientifique qui ne croyaient ni à Dieu, ni à l'âme, ni au librearbitre, et qui avaient aboli en lui la notion du bien et du mal; il était en un mot, comme Julien Sorel, un cœur et uncerveau pervertis par les livres.

De là le roman que son crime inspira l'année suivante à M.

Paul Bourget, ce Disciplequi ne se cachait pas de vouloir être un recommencement de Rouge et Noir, mais où les exposés de doctrines, lesingénieuses considérations philosophiques et pédagogiques étouffent un peu trop le drame de la vie.

Et bienentendu, à propos du Disciple comme à propos de l'affaire Chambige, pendant des semaines et des semaines lapresse ne cessa de nous parler de Stendhal. Il était tout naturel, d'ailleurs, en dehors même de tout incident particulier, qu'il fût très goûté en ces dernièresannées du XIXe siècle, et que ces écrits, — y compris les inédits au fur et à mesure de leur publication, Journal,Souvenirs d'égotisme, Vie d'Henri Brulard, Lucien Leuwen, Lamiel, etc.

—, fussent accueillis avec une extrêmefaveur.

La mode était aux « documents humains », aux « analyses suraiguës », à la dissection des âmescompliquées et un peu malades, aux « planches d'anatomie morale », en même temps qu'au dilettantisme, aucosmopolitisme, à l'impressionnisme, aux « sensations » d'Italie ou d'ailleurs, aux journaux intimes, à la littérature dumoi, au culte du moi, — bref, à tout ce qu'il avait lui-même aimé et pratiqué.

Maurice Barrés, qui tenait de lui autantque de Renan, eût été bien ingrat s'il n'eût mêlé sa voix insinuante et persuasive à toutes celles qui le célébraient.

Iln'avait garde d'y manquer, nous donnant les œuvres de son maître chéri pour « d'excellents bréviaires où lajeunesse fortifie sa volonté », saluant en lui le champion de l'honneur et de la moralité, le vrai représentant de latradition cornélienne, se pâmant devant le texte mutilé et informe de Lucien Leuwen que publiait Jean de Mittv, ydécouvrant « toute la psychologie d'une époque », et se scandalisant si Coppée, en franc gamin de Paris, comparaîtle Journal à des « notes de blanchisseuse ». Le chœur des « rougistes » menait si grand tapage qu'à la longue nous en étions agacés.

Peu à peu nous nousressaisîmes.

Les deux grands romanciers russes que nous lisions tous nous y aidèrent.

Ils nous aidèrent tout à la foisà rendre pleine justice au talent de Stendhal, et à en discerner les limites ou les lacunes. Entre eux et lui, en effet, il y a des analogies et des différences également frappantes.

Chez eux comme chez lui,l'analyse psychologique est de qualité supérieure.

Que Tolstoï nous peigne les âmes généreuses et tourmentées d'unprince André Bolkonsky, d'un Pierre Bazoukhov, d'un Levine ou d'une Anna Karénine, nous y pénétrons aussi avantque dans celle de Julien Sorel; la science du cœur humain est la même, et souvent les procédés sont identiques.

Demême avec Dostoïevski, quoique celui-ci se penche de préférence vers des êtres anormaux, des exaltés, des demi-fous, et que chez lui comme souvent chez Stendhal la psychologie confine à la pathologie.

On ne lit pas les premierschapitres de Crime et Châtiment sans penser à Rouge et Noir.

Le héros Raskolnikov est un étudiant pauvre qui seprend pour un homme supérieur, et à ce titre se croit le droit de tout risquer, de tuer même, pour se procurer lemoyen de faire son chemin.

L'étude égale en minutieuse et cruelle précision celle qu'avait donnée Stendhal.

MaisDostoïevski et Tolstoï embrassent du regard la vie entière.

S'ils n'en cachent pas les laideurs, ils en voient aussi labeauté.

Ils assainissent, ils élargissent nos cœurs, ils les ouvrent à des pitiés nouvelles.

Par l'inspiration générale deleurs écrits, par l'esprit de bonté et de miséricorde, par le grand souffle chrétien qui les anime, ils sont à cent lieuesde Stendhal et plus près de Hugo que de lui. Nous les lisions, et chaque jour plus attentivement, et ils nous donnaient beaucoup à réfléchir.

Ils modifiaient notrefaçon de sentir et de juger.

Je me souviens d'avoir, non sans étonnement, entendu dire à Faguet, vers 1890, qu'ilpréférait la Chartreuse de Parme à Anna Karénine.

Cinq ou six ans plus tard : « Je me suis trompé, me disait-il; jevois bien à présent que des deux œuvres, la plus vraie, la plus humaine, c'est Anna.

» Aujourd'hui, et depuis une trentaine d'années, 1 heure du jugement impartial a sonné pour Stendhal; l'âge des. »

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